Si les investisseurs privés nationaux sont taxés de ne pas être assez dynamiques, quid des investissements étrangers ?
Pour répondre à cette question, nous nous sommes adressés à un banquier aguerri en matière de financement des grands investisseurs et qui, plus est, dispose d’une expérience à l’international, M. Mohamed Agoumi, Directeur général délégué, en charge de la Coordination à l’International de BMCE Bank of Africa, qui n’engage dans ses réponse que sa personne, bien évidemment.
En bon ordre
Sa réaction première à notre interrogation a été la suivante : « Il convient pour inciter tout investissement de passer par des efforts que seul l’État peut entreprendre et organiser et qui ne relèvent pas de questions financières, mais de réformes structurelles en matière d’organisation de l’État et de ses services. »
En effet, au-delà des atouts du Maroc en matière de stabilité politique et sécuritaire, il faut savoir que cela n’est pas évident pour les investisseurs notamment étrangers. Concrètement, s’ils nous comparent à Dubaï, que les investisseurs étrangers apprécient tout particulièrement, au-delà d’une organisation sécuritaire et de surveillance sans failles, sachant que Dubaï est devenu l’un des pays les plus sûrs au monde, l’argument majeur reste la rapidité administrative.
Pour créer une société à Dubaï, on obtient par Internet une licence et trois résidences en moins d’une semaine.
Et c’est là où l’on voit que l’attrait le plus important est organisationnel, au niveau des pouvoirs publics.
A ce titre, un cercle de réflexion de banquiers qui travaille sur les incitations à l’investissement privé, a suggéré que le Maroc dépose sa candidature à l’OCDE, laquelle était auparavant réservée aux pays occidentaux.
Car, tant sa candidature que son acceptation, se basent sur des critères de Doing Business, d’intégrité, d’impact social, d’efficacité administrative, etc.
Et, selon M. Mohamed Agoumi, même si l’on y travaillait cinq ou dix ans et que notre candidature n’était pas retenue, le plus important aurait été le bout de chemin accompli pour accélérer l’acte d’investir et rendre les investisseurs rassérénés et confiants.
C’est une démarche envisageable car actuellement des pays d’Amérique latine se préparent à une adhésion à l’OCDE car le fondement de toute adhésion à cette organisation internationale repose sur «l’organisation de l’État ».
La confiance, oui mais…
Car pour l’investisseur étranger, la question de la confiance est fondamentale, c’est la base de toute décision de s’installer dans un pays.
Rappelons-nous qu’au moment du Printemps arabe, le Maroc, du fait de sa stabilité politique, passait en premier, seule primait la confiance dans le régime.
Aujourd’hui, nous sommes dans un monde qui a déjà beaucoup changé depuis cette date, énormément changé même. Et, dans ce changement, notre stabilité n’est qu’un des avantages compétitifs.
Les investisseurs étrangers s’intéressent désormais aux autres critères de la confiance.
Comment se porte la Justice, quel est le système de change, la sortie de devises est-elle possible, les réserves de change sont-elles suffisantes pour servir les dividendes, la limitation des transferts de devises sont -elles envisageables à un moment donné ?
Voilà les questions auxquelles notre pays est confronté avec les investisseurs étrangers.
Mais, la confiance répond aussi à des questions particulières et précises et que décline pour nous M. Agoumi.
Notamment, en rapport à la compétitivité du Maroc, les investisseurs potentiels posent quatre types de questions :
«Premièrement, pour leur installation, est-ce que les loyers sont chers ou non ?
Deuxièmement, quel est le coût de la main-d’œuvre ?
Troisièmement, quel est le coût de l’énergie ?
Quatrièmement, quels sont les coûts du transport et de la logistique ?
En voici les réponses :
Pour la partie loyers, terrains, etc., avec les aides de l’État notamment, les investisseurs peuvent trouver des moyens peu onéreux de s’installer.
En ce qui concerne la main d’œuvre, elle est effectivement d’un coût attractif, mais à condition qu’elle bénéficie d’une formation dont l’absence explique son coût plutôt bas.
La formation va coûter de l’argent qu’il leur faudra intégrer dans le business plan.
Après cela, ceux qui auront été formés, seront sollicités par d’autres secteurs et exigeront donc de meilleures rétributions.
Et l’investisseur participera lui-même à renchérir le coût de sa propre main d’œuvre !
Par contre, le Maroc n’est absolument pas compétitif sur le coût de l’énergie.
Mais, dans cinq ans, l’énergie alternative sera encore plus exigée, plus compétitive et le coût de l’énergie solaire pourra même être inférieur au thermique ».
Et donc, par rapport à l’énergie, comme le précise notre interlocuteur, il convient de faire acheter le futur aux investisseurs, notamment le solaire et l’éolien.
Où trouver l’argent ?
Sur le financement, la question est simple.
Soit l’investisseur s’adresse au marché marocain, pour produire et vendre au Maroc. Dans ce cas-là, les marges dégagées dans notre pays, suffisent.
Soit il est exportateur ou étranger, et ses revenus sont en devises, et pour le financer, la meilleure option pour une banque marocaine est le prêt en devises à des taux infiniment plus faibles.
En effet, la banque marocaine emprunte en euros sur le marché international à 0,25% et avec l’intégration de la part du risque et le coût de l’euro, son coût de refinancement revient à 1%. En prêtant aux exportateurs à 2% ou à 2,5% en euros, la banque marocaine gagne la différence.
Bank Al-Maghrib autorise ce genre de deal à condition que la banque marocaine soit remboursée en euros. Les investisseurs étrangers et les exportateurs divisent ainsi quasiment par trois le coût de leurs financements.
Gageons donc que nos banques exploiteront de plus en plus ce filon du financement en devises dans la recherche de diversification…
Certes, le Maroc se trouve encore dans une position faible vis à vis des investisseurs étrangers, mais M. Mohamed Agoumi nous a offert la conclusion suivante : « Pendant des siècles, les Chinois ont été malmenés par l’Occident qui était en position de force. Pendant ce temps-là, ils courbaient l’échine tout en sachant qu’avec le temps ils deviendraient plus forts.
Aujourd’hui, ils le sont devenus et donc, leurs négociations avec les pays puissants s’équilibrent. Il ne faut jamais croire que l’on peut discuter d’égal à égal avec des gens quand le rapport de force leur est favorable. »
Donc, l’essentiel pour le Maroc, c’est que les investisseurs viennent, en attendant de devenir plus forts…