Une grève nationale est annoncée dans le secteur des pharmacies. La principale raison à l’origine de ce mouvement de contestation serait liée aux dispositifs médicaux. «Mais pas seulement ! », tiennent à rappeler les professionnels. Horaires, concurrence déloyale, exercice illégal, non publication des sanctions disciplinaires, application des textes de lois… De nombreuses doléances sont derrière le coup de gueule des officinaux. «La non publication de l’arrêté sur la pharmacopée et le monopole des produits stérile, la non concertation pour les amendements de la loi 17 04, le décret sur la réserve hospitalière, la refonte du dahir 1922 et dahir 1976…», sont autant de griefs, selon la fédération nationale des Syndicats des Pharmaciens du Maroc.
«C’est une anarchie totale. Nous avons travaillé depuis un an et demi sur les dossiers disciplinaires et le SGG n’a pas publié les sanctions», s’indigne Dr Souad Motaouakkil, présidente du Conseil régional Sud de l’Ordre. Déterminé à faire le ménage dans le secteur, le CRPOS est vient d’annoncer l’existence d’une pharmacie illégale en plein centre de Casablanca, en exercice depuis plus de 40 ans, et une deuxième depuis plus de huit ans. Les instances représentant le secteur comptent ainsi réunir leurs voix, en montant au créneau. « La décision de la grève est une décision qui a été adoptée il y a plus de 6 mois et reconfirmée lors du dernier conseil fédéral à Casablanca », précise le président de la Fédération.
Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie et Fondateur des sites www.pharmacie.ma et www.medicament.ma, nous éclaire sur la situation en tant que professionnel, confronté au quotidien à ces questions.
La Nouvelle Tribune : Cela fait plus de dix ans que la loi 17-04 régulant le secteur pharmaceutique a été adoptée. Pourtant, selon les professionnels, certaines dispositions de cette loi ne sont pas encore appliquées, de quoi s’agit-il au juste ?
Dr Abderrahim Derraji : La loi 17-04, portant code du médicament et de la pharmacie a été promulguée le 22 décembre 2006. C’est une loi qui répond globalement aux attentes du secteur. Malheureusement, certaines dispositions de cette loi restent tributaires de la publication des textes d’application.
Si on prend le cas des dispositifs médicaux (DM), d’après le code du médicament et de la pharmacie, les DM stériles font partie intégrante du monopole du pharmacien. Mais dans les faits, les pharmaciens ont attendu la loi 84-12 relatives aux DM qui n’a été publiée qu’en 2013 et son décret d’application n°2-14-607 qui n’a été publié qu’en 2014. Et avec ces deux textes, ils ne sont toujours pas tirés d’affaire. Les DM continuent à se vendre comme n’importe quelle vulgaire marchandise et des fois même dans des coffres de voiture. La raison est simple, l’effectivité de cette loi est tributaire d’un arrêté qui fixera la pharmacopée de référence.
L’affaire des implants mammaires PIP nous a démontré l’importance de bien maîtriser la traçabilité des dispositifs médicaux. Et c’est probablement ce scandale sanitaire qui a accéléré la promulgation de la loi 84-12 et de son décret d’application. Mais malheureusement, des considérations qui nous échappent empêchent aujourd’hui l’application de la loi.
Les professionnels revendiquent également la révision de la loi 17-04…
La mise en application de la loi 17-04 a également mis à nu certaines incohérences qui justifient des amendements de cette loi. Les pharmaciens ont fait des propositions dans ce sens à l’administration et ils attendent son retour pour faire avancer ce dossier.
Les industriels attendent à leur tour la publication des textes d’application de la loi 17-04 pour mieux encadrer la publicité, la pharmacovigilance, les bonnes pratiques de fabrication et de distribution, les études cliniques, les biosimilaires et la bioéquivalence…
Quelle évaluation peut-on faire aujourd’hui du Code du prix du médicament, dont la réforme, on le sait, avait nécessité des concessions de part et d’autres ? Est-ce qu’aujourd’hui on peut dire que le citoyen marocain a mieux accès aux médicaments ?
Le décret 2-13-852 relatif aux conditions et aux modalités de fixation du prix public de vente des médicaments fabriqués localement ou importés a été publié le 18 décembre 2013. Ce texte a permis la mise en place d’un benchmark avec sept pays de référence pour définir le prix à adopter au Maroc. Il a défini le mode de décrochage du médicament générique et il a instauré 2 marges pour les médicaments ayant un prix fournisseur hors taxe inférieur à 588 DH, et 2 forfaits pour les produits dont le prix est supérieur à ce montant.
Ce décret a permis un nivellement vers le bas des prix des médicaments. L’effet de ce nivellement aurait dû, en théorie, être compensé par une augmentation des volumes. Mais, cela n’a pas été le cas puisqu’on assiste dans le meilleur des cas à une stagnation du chiffre d’affaires aussi bien des pharmaciens que des producteurs et distributeurs.
Comment peut-on expliquer cela ?
Malheureusement, le benchmark a été pratiqué d’une manière sélective, du coup les médicaments qui ont un prix inférieur à celui pratiqué dans les pays de références ont gardé leur prix inchangé.
De nombreux médicaments ont même des prix qui compromettent leur rentabilité. Ces produits risquent de disparaître du marché avec tous les risques que cela comporte.
En ce qui concerne les produits dits onéreux, la marge qui est réservée au pharmacien n’est que de 400 DH sur un produit dont le prix peut des fois dépasser 4000 DH. En raison de cette marge insignifiante, les pharmaciens ne peuvent pas commander ces produits. Et étant donné que le laboratoire ne peut plus livrer directement le malade, on se trouve devant une impasse et ces patients ne peuvent malheureusement pas accéder à leurs médicaments.
C’est vrai qu’on a beaucoup gagné en transparence avec le nouveau décret de fixation des prix des médicaments. C’est vrai aussi que les prix sont bas. Mais ce que nous craignons, en tant que professionnels de santé, c’est qu’il nous arrive le même sort que certains pays qui ont privilégié la course vers les prix les plus bas en sacrifiant au passage la qualité.
Malgré ces baisses, les malades ne consomment pas plus de 400 DH de médicaments par an. Ceci est à mon sens dû au taux de couverture médicale qui reste faible par rapport aux pays voisins. Le malade marocain continue, selon des chiffres officiels de l’ANAM, à payer 50% des frais de soins de santé de sa poche.
Dans beaucoup de pays les médicaments dits de conseil ont un statut spécifique qui permet au pharmacien de compenser en partie la baisse des prix des médicaments. Là aussi, il y a une réglementation à mettre en place en concertation avec les pharmaciens et les autres composantes du secteur.
Enfin, sur un autre registre, pourquoi n’arrive-t-on pas aujourd’hui, alors qu’on en parle depuis près de deux décennies, à faire face aux médicaments qui arrivent sur le marché par voie de contrebande ?
Quand la contrebande se limitait à l’Oriental, on a eu comme l’impression que ce problème ne figurait pas parmi les priorités. Mais aujourd’hui, la contrebande commence à s’enraciner dans de nombreux souks. Et même si le problème n’est pas propre au Maroc, il est aujourd’hui primordial de s’y atteler.
Aujourd’hui, il y a un problème qui est aussi grave, c’est la vente via internet de médicaments. Pas plus tard que la semaine dernière, les policiers ont procédé à l’arrestation d’un habitant de Salé en possession de millier de boites d’insuline. Les gérants de plusieurs associations de malades ont également été pris la main dans le sac et sous couvert de social, certains font un commerce illégal et juteux de médicament.
Mais, les autorités semblent sensibilisées à ces risques et on espère qu’on ne laissera pas le tsunami des médicaments contrefaits déferler sur notre pays.