Madame Lamya El Mernissi est juriste de formation, titulaire d’un troisième cycle en Droit des affaires à Paris V.
Trois ans au barreau de Paris avec une expérience dans toutes les branches du Droit, avec une forte implication dans le suivi des dossiers qui lui étaient confiés.
De retour au Maroc, elle intègre le cabinet Figes, fondé en 1976 par le Professeur El Mernissi et y travaille depuis vingt-cinq ans en qualité d’associée-gérant.
Grâce à sa formation et à sa pratique du droit des affaires à Paris, elle a pu s’intégrer facilement au nouveau Droit des sociétés appliqué dans notre pays à partir de 2000, dont elle connaissait toutes les arcanes grâce à la proximité de cette législation avec le droit français.
Le cabinet dans lequel elle exerce, de taille raisonnable, a été fortement impliqué dans les grands dossiers d’infrastructures, notamment Tanger-Med, les énergies renouvelables ou encore le projet de l’usine de dessalement d’eau de mer à Agadir sur lequel Mme El Mernissi travaille actuellement, confortant l’idée que le travail de ce cabinet apporte sa modeste contribution aux grands projets structurants du Royaume.
La Nouvelle Tribune : Mme El Mernissi, en tant que femme spécialiste du Droits des Affaires, quelle est votre perception de cette activité ? La femme y est-elle bien présente ?
Me Lamya El Mernissi :
Je pense être dans une situation particulière, du fait que je suis la fille du Professeur El Mernissi, bien connu dans le monde du Droit et notamment pour sa participation à la formation de dizaines de promotions de juristes nationaux issus de la Faculté des sciences juridiques de Casablanca, mais aussi de Rabat et de Fès. Je me sens un peu protégée !
Et donc, je n’ai jamais eu à me battre plus que les autres parce que j’étais une femme.
Mais, plus généralement, je peux témoigner qu’aujourd’hui il y a une jeune génération de juristes et d’avocates qui s’assument très bien, plaident de façon efficace dans des dossiers qui ne sont pas toujours faciles, loin s’en faut !
Qu’est ce qui caractérise votre métier de juriste d’affaires ?
J’ai constaté au fil de mon expérience professionnelle, qu’avec la mondialisation, ce métier s’est de plus en plus structuré. Et ce, à l’image des banques qui, sur des dossiers d’infrastructures, par exemple, dans lesquels elles sont en co-financement avec des consœurs étrangères, travaillent sur des contrats standardisés, et de plus en plus en anglais.
Aujourd’hui, les juristes d’affaires marocains sont en compétition avec de grands cabinets d’affaires internationaux, qui travaillent au Maroc. Et, dans la réalité, il n’y a pas de gap entre nos pratiques et les leurs.
Et ce qui fait notre force, c’est la connaissance du Droit marocain, ce qui est d’ailleurs l’exigence de nos clients pour les projets structurants que j’évoquais plus haut.
Par exemple, le droit foncier marocain présente des spécificités, comme les terres soulaliyates, qu’il s’agit d’expliquer à des opérateurs ou investisseurs étrangers, en particulier les asiatiques, dont la culture juridique est bien éloignée de la nôtre.
A cela, il faut ajouter notre connaissance de la culture marocaine qui est le fondement d’une bonne relation avec nos clients nationaux, mais aussi la compétence issue de notre expérience internationale lorsqu’il s’agit d’intervenants étrangers à qui il nous revient d’expliquer le contexte local, tant sur le fondement juridique que culturel.
De même, il arrive que des lenteurs administratives compliquent l’avancement des projets et contrats et là encore, il nous revient de faire comprendre les raisons ou les causes de ces freins et les moyens de les lever.
Il y a donc une « donnée pays » qu’il faut prendre en compte et notre connaissance des réalités de l’environnement juridique, notamment de celui des affaires, de l’Administration, etc., est un atout dont seul un cabinet national peut exciper.
A quel point, le métier de juriste des affaires, s’est-il développé au Maroc ?
Nous travaillons avec une clientèle de qualité et de haut niveau, qu’elle soit nationale ou étrangère.
Certains de nos clients sont cotés en bourse, il s’agit donc de sociétés bien structurées, notamment avec des politiques RSE, preuve de leur position dans l’économie.
Par ailleurs, sur un parcours professionnel de vingt-cinq ans, je peux attester que les choses avancent et qu’il y a des progrès notables dans l’arsenal juridique.
Peut-être pas à la vitesse souhaitée, mais, in fine, cela nous permet de traiter nos dossiers et d’accomplir nos missions de façon positive.
La dernière évolution très appréciable concerne la législation sur les sûretés mobilières, qui était une demande pressante notamment des institutions financières, tant nationales qu’étrangères ou multilatérales.
Elle leur permet de prendre des sûretés qui sont plus adéquates à leurs exigences, facilitant ainsi l’accès au crédit parce qu’elles donnent plus de confort aux banques grâce aux nouveaux modes de réalisation des sûretés, (appropriation par les créanciers des biens garantis ou de leur vente en dehors de la procédure judiciaire).
L’évolution du droit des affaires, a permis aussi d’ouvrir nos frontières à cette profession notamment avec l’arrivée de cabinets étrangers…
En effet, Casablanca Finance City les attire depuis 10 ans, par des avantages fiscaux importants. On peut se demander si certains cabinets d’avocats d’affaires, qui bénéficient du statut CFC, ont respecté les engagements et les objectifs assignés à la création de cette zone offshore, eu égard au chiffre d’affaires réalisé sur l’Afrique.
En fait, il y a eu et il y a toujours des questionnements sur le hub africain que constitue Casablanca.
Il est vrai que cela a été très vendeur à un moment donné et explique la venue de ces cabinets internationaux, basés à Paris ou à Londres essentiellement.
Certes, c’est ce qui a permis au métier de juriste d’affaires de se structurer parce qu’il fallait se mettre à niveau pour coexister avec de tels mastodontes, rester dans la compétition et travailler avec les mêmes méthodes.
Mais, ils ont été trop nombreux à investir le marché marocain qui est un marché étroit et peu extensible et surtout sensible aux aléas de la conjoncture.
Or celle-ci n’est pas très porteuse depuis plusieurs années et se caractérise actuellement par l’attentisme, une des habitudes de notre pays et qui touche les porteurs de projets ou d’investissements.
Nombre de ces cabinets ont donc beaucoup déchanté, à l’exception de quelques-uns, qui ont eu l’intelligence d’intégrer dans leurs équipes des juristes marocains, qui connaissaient leur pays et sa législation.
Je remarquerai d’ailleurs que bien souvent les projets en Afrique ne sont pas gérés par Casablanca, mais plutôt par Paris ou Londres et que notre volonté de devenir un hub pour notre continent n’est pas encore très affirmée.
Dans ces conditions, qu’attendez-vous du nouveau modèle de développement, qui suscite beaucoup d’espoir en interne et à l’extérieur ?
La question est de savoir si la mise en place de ce nouveau modèle s’accompagnera d’un bilan de ce qui a été précédemment entrepris à l’image de ce qui avait été fait par feu Meziane Belfquih.
Certes, nous avons l’avantage de bénéficier d’une vision, inspirée par les directives royales, qui s’inscrit dans la durée et la continuité, ce qui représente un avantage certain, car elle se situe au-dessus des contraintes et aléas politiciens.
Ceci étant, vous savez, notre pays a parfois pris les mauvaises options, dont on paye les conséquences, notamment celle d’un modèle économique qui n’est plus approprié ou qui est arrivé à ses limites.
Ainsi, les grands projets d’infrastructures ont, à un moment, fait tourner le pays parce que le besoin de routes, d’autoroutes, de ports, d’aéroport, de centrales électriques, etc., était pressant.
Aujourd’hui, il est clair que la commande publique de gros projets n’est plus là.
Et la constitution d’une commission spéciale qui se penche sur les nouvelles priorités est en soi une excellente chose, reste à savoir si ses recommandations seront rapidement suivies d’effets concrets.
En tant que juriste d’affaires, vous êtes bien placée pour reconnaître que le Maroc est à deux vitesses et que vous vous insérez dans la voie la plus rapide. Comment contribuez-vous à réduire ce gap ?
En tant que citoyenne, je perçois les choses comme chaque individu qui est inséré dans une société donnée. On ne peut vivre en dehors de ces réalités.
On peut être privilégiée, exercer un métier dans les meilleures conditions possibles, cela n’empêche que l’on ne peut pas vivre dans sa bulle !
Et il s’agit d’essayer, chacun à sa manière, ses moyens et sa profession, de contribuer au développement de la société et du pays.
Je considère que chacun à son niveau et dans le champ de ses activités propres, doit y contribuer à travers des actions propres ou dans un collectif.
Bien sûr, les constats que l’on peut faire, dans des domaines comme la santé ou l’éducation sont effectivement déplorables et nous sommes clairement dans un Maroc à deux vitesses comme vous dites.
Le premier est un Maroc qui est globalement conforme aux standards internationaux, qui avance et qui est souvent très performant.
Mais toute une autre fraction du pays, autrement plus importante, accuse de retards importants.
La nécessité donc d’accrocher au train du développement et de la modernité des wagons encore immobiles sur cette voie est donc réelle et c’est tout le défi qui se pose au pays dans des domaines stratégiques et pour des populations qui peuvent se considérer, à juste titre, comme marginalisées.
Il est ainsi nécessaire également que ceux qui sont dans la première catégorie sortent de leur bulle, enlèvent leurs œillères et se frottent à la réalité.
Et vous-même ?
Je m’implique en fonction de mes possibilités. Par exemple, il y a quelques jours, à l’invitation de l’association Noujoum, j’ai participé à une visite de la maison des enfants de l’hôpital Ibn Rochd dont le but est d’aider les enfants à supporter la maladie dans un espace dédié et de leur permettre également de continuer leur scolarité.
En dehors de ma vie professionnelle qui est très prenante, je m’investis dans des actions au profit d’associations qui travaillent pour améliorer le quotidien et l’espoir des enfants. A ce titre, je fais partie d’un collectif d’artistes, appelé « Sing for Smile », qui offre des spectacles de chant au profit de différentes associations choisies pour leur implication et leur sérieux.
Notre finalité, tout en exerçant notre passion, est de nous engager dans une voie aux implications sociales et sociétales destinées à alléger le vécu et la situation des démunis ou des malades en offrant le produit financier de nos spectacles aux associations.
Je m’insère ainsi, dans une action purement caritative, mais il est clair que cela n’est qu’un premier pas qui permet déjà d’illustrer positivement le rôle de la société civile qui est assurément primordial afin de participer à réduire les inégalités et les disparités entre tous les Marocaines et Marocains.
Alors, à notre niveau, ce ne sont que de « petites pierres », mais si chacun apportait sa contribution, cela serait beaucoup plus fort et plus profitable à la société et au pays.
Malheureusement et dans le même temps, on constate un certain retrait de la société civile dans ses engagements sociaux, lesquels étaient plus prégnants dans les années 90 et 2000, notamment parce que la tâche est énorme et que plusieurs associations ont baissé les bras.
Également, parce que les associations peuvent constituer des enjeux de pouvoir et que le comportement de certains membres sert plutôt leur intérêt personnel que la nécessité de venir en aide à ceux qui en ont besoin.
En réalité, même au sein de la société civile et des associations, il convient de mettre en place un mode organisationnel, de la transparence, parce que les donateurs sont très sollicités alors qu’une certaine défiance s’est installée.
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli