À l’occasion de la tenue de la 4ème édition d’Africa Financial Summit tenue en décembre à Casablanca sous le thème « Le temps des puissances financières africaines est venu », Mme Ramatoulaye Goudiaby, Directrice d’AFIS et grande experte de la finance africaine, ayant occupé divers postes stratégiques dans des sociétés de trading, des institutions bancaires et d’assurance françaises de premier plan, a accepté de répondre à nos questions sur les perspectives de développement du secteur financier africain et des défis auxquels il fait face.
La Nouvelle Tribune : Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels le secteur financier africain doit faire face aujourd’hui ?
Ramatoulaye Goudiaby : Le secteur financier africain est confronté à plusieurs défis majeurs et notamment le coût élevé des financements, parmi les plus chers au monde, ce qui limite les investissements dans les infrastructures et les entreprises. À cela s’ajoute l’accès limité des petites et moyennes entreprises (PME) aux financements, un facteur qui entrave leur capacité à innover et à contribuer pleinement à la croissance économique.
Un autre défi majeur réside dans l’intégration régionale insuffisante. Les marchés financiers africains restent morcelés, ce qui restreint la mobilisation des ressources et les investissements transfrontaliers. Par ailleurs, l’inclusion financière demeure une problématique centrale : une grande partie de la population reste exclue du système financier formel, bien que des innovations comme le mobile money aient apporté des solutions prometteuses. Enfin, la consolidation du secteur est cruciale pour garantir sa stabilité et soutenir une croissance durable.
Aborder ces défis nécessite une collaboration étroite entre les gouvernements, les régulateurs, les institutions financières et les acteurs du secteur privé pour créer un environnement propice à une croissance durable et inclusive du secteur financier africain.
Comment envisagez-vous le rôle d’AFIS dans la transformation du secteur financier en Afrique ?
L’Africa Financial Summit (AFIS) joue un rôle central dans la transformation du secteur financier africain. En tant que plateforme panafricaine, AFIS favorise le dialogue entre décideurs publics et privés, permettant d’identifier et de lever les obstacles qui freinent le développement financier sur le continent.
AFIS contribue également à l’intégration régionale, en soutenant des initiatives alignées sur les ambitions de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF). Cette collaboration vise à interconnecter les marchés financiers africains pour stimuler les échanges et la mobilisation des ressources.
En réunissant des leaders publics, des fintechs, des institutions financières et des investisseurs, AFIS encourage la création de partenariats stratégiques. Ces collaborations innovantes soutiennent l’innovation et la digitalisation en promouvant l’adoption de technologies financières de pointe, essentielles pour moderniser et rendre le secteur plus inclusif.
Comment les produits financiers peuvent-ils soutenir les travailleurs informels, qui représentent 83 % de l’économie africaine ?
Les produits financiers ont le potentiel de transformer la vie des travailleurs informels en facilitant leur intégration au système financier formel. Cela peut améliorer leur résilience économique et leur capacité à se formaliser progressivement.
Pour être efficaces, ces produits doivent être accessibles, tant en termes de coût que de facilité d’utilisation. Ils doivent également être spécifiquement conçus pour répondre aux besoins du secteur informel, qui représente une part essentielle de l’économie africaine. La distribution de ces produits via des canaux innovants, comme le mobile money, peut accroître leur adoption.
Les institutions financières, en partenariat avec les gouvernements et les fintechs, ont un rôle clé à jouer dans le développement de ces solutions adaptées. Cela permettra de renforcer l’inclusion financière et de soutenir ce pilier crucial de l’économie africaine.
Pensez-vous que la création d’un marché boursier panafricain soit réalisable à court terme ? Quels en seraient les principaux avantages ?
La création d’un marché boursier panafricain est une vision stratégique porteuse de transformation économique pour l’Afrique. Bien que sa réalisation à court terme semble difficile, une approche progressive axée sur l’interconnexion des bourses existantes est une étape pragmatique. En effet, plusieurs défis structurels tels que les problématiques de fragmentation réglementaire et institutionnelle, d’infrastructures, de profondeur de marché et de confiance des investisseurs doivent être surmontés avant que cette vision puisse se concrétiser.
Des initiatives comme le projet African Exchanges Linkage Project-AELP visent à établir une plateforme intégrée permettant aux investisseurs de négocier sur plusieurs marchés africains via un seul point d’accès. Cette solution intermédiaire peut poser les bases d’un marché unique à plus long terme. Un tel marché deviendrait ainsi un levier essentiel pour mobiliser des capitaux (en facilitant l’investissement transfrontalier et réduisant les barrières aux flux de capitaux) et dynamiser l’économie et promouvoir l’intégration du continent sur la scène financière mondiale.
Quels types de partenariats internationaux pourraient bénéficier aux institutions financières africaines ?
Je suis convaincue que les institutions financières africaines peuvent tirer d’énormes avantages des partenariats internationaux, en particulier des collaborations Sud-Sud, qui offrent une alternative prometteuse aux modèles traditionnels de coopération Nord-Sud. Ces partenariats permettent d’échanger des solutions adaptées aux défis communs des pays émergents, tels que l’inclusion financière, le financement des PME et la gestion des risques économiques.
Par exemple, des pays comme l’Inde et la Chine, pionniers dans les solutions fintech (paiements mobiles, plateformes de crédit peer-to-peer), peuvent partager leur expertise pour accélérer l’inclusion financière en Afrique. Les banques de développement et fonds souverains d’Asie, d’Amérique latine et du Moyen-Orient peuvent co-investir dans des projets d’infrastructure numérique, tels que des centres de données et des plateformes d’échange régionales. Ces partenariats encouragent également des investissements alignés sur les normes ESG, nécessaires pour promouvoir un développement durable.
En diversifiant leurs sources de financement et en s’appuyant sur les meilleures pratiques des marchés émergents, les institutions financières africaines peuvent renforcer leur résilience face aux chocs économiques globaux. Des initiatives comme l’African Exchanges Linkage Project (AELP) illustrent comment des partenariats Sud-Sud bien structurés peuvent également favoriser une meilleure intégration financière au niveau continental.
Ainsi, en diversifiant leurs sources de partenariats, les institutions financières africaines réduisent leur dépendance vis-à-vis des acteurs traditionnels du Nord, augmentant ainsi leur résilience face aux chocs économiques globaux.
Comment améliorer l’accès de l’Afrique aux marchés internationaux de capitaux ?
L’accès aux marchés internationaux de capitaux est crucial pour permettre aux pays africains de financer leurs projets de développement, leurs infrastructures critiques et leurs besoins en liquidités à des conditions compétitives. Toutefois, cet accès reste limité en raison de défis tels que la perception élevée du risque, les conditions macroéconomiques et les déséquilibres structurels.
Pour améliorer l’accès de l’Afrique aux marchés internationaux de capitaux, plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre. Tout d’abord, il est essentiel de réduire la perception du risque associé aux économies africaines. Cela peut être réalisé grâce à une meilleure gouvernance économique et à la publication de rapports financiers transparents.
Le développement d’instruments financiers innovants, comme les obligations vertes et sociales, peut également jouer un rôle important. Ces outils permettent de répartir les risques entre investisseurs publics et privés, rendant les investissements plus attractifs.
Mobiliser le capital institutionnel local est une autre priorité. Par exemple, les fonds de pension peuvent être incités à co-investir avec des acteurs internationaux, renforçant ainsi les capacités de financement du continent.
Il est également important de renforcer les capacités institutionnelles, notamment en formant les équipes gouvernementales à la gestion de la dette et à la structuration d’obligations complexes. Enfin, une meilleure coordination régionale, notamment par l’harmonisation des cadres réglementaires, permettrait de réduire les coûts d’accès aux marchés internationaux et de promouvoir une intégration financière accrue.
Entretien réalisé par Selim Benabdelkhalek