Entretien avec M. Hippolyte d’Albis, Président du Cercle des économiste français et Professeur à l’Ecole d’économie de Paris (PSE)
M. Hippolyte d’Albis, président du Cercle des Économistes français et professeur à l’École d’Économie de Paris, spécialiste reconnu des questions démographiques, a été l’un des principaux animateurs des Rencontres économiques d’Aix-en Provence, tenues récemment.
Cette manifestation annuelle regroupe des intervenants de haute qualité, experts, intellectuels de haute volée, de l’Hexagone ou de l’étranger, depuis plusieurs années et constitue un think tank des plus appréciés par ses analyses et propositions.
C’est dans ce contexte que M. Hippolyte d’Albis a bien voulu répondre aux questions de La Nouvelle Tribune axée sur la pauvreté et l’impact de la pandémie du nouveau coronavirus.
La Nouvelle Tribune :
Les Rencontres économiques d’Aix, récemment tenues, ont porté sur les changements induits par la crise sanitaire, quels en ont été les impacts sociaux ?
Hippolyte d’Albis :
En effet, lors des Rencontres économiques, beaucoup d’intervenants ont insisté sur la situation difficile des personnes dont l’emploi est précaire. En France, ce sont essentiellement ceux qui avaient des contrats de travail courts ou des missions d’intérim qui ont souffert des restrictions d’activité économique imposées par la crise sanitaire. Parmi eux, on trouve beaucoup de femmes et de jeunes, en particulier les étudiants qui financent leurs études en travaillant à côté. Certains ont même dû abandonner leurs études parce qu’ils ne pouvaient plus payer leur logement ou leurs besoins essentiels.
Comment mesurez-vous la problématique de l’appauvrissement dans les pays riches malgré une présence forte de l’Etat?
C’est vrai qu’il y a eu une baisse de la création de richesse, essentiellement du fait de l’interdiction d’exercer certaines activités et de la désorganisation du commerce international, mais la population ne s’est pas vraiment appauvrie. Il ne faut pas oublier que les États des pays riches se sont endettés massivement et que cet argent a été en partie redistribué.
En France, le système du chômage partiel a consisté en un paiement des salaires des personnes empêchées de travailler par l’État (et en fin de compte par la Banque Centrale, qui avait racheté les dettes !).
L’appauvrissement sera réel si la croissance économique n’est pas rapidement de retour. Le remboursement des dettes exige un enrichissement.
La crise sanitaire n’a-t-elle pas révélé une certaine réalité sociale des plus défavorisés, et ne sera-t-elle pas l’occasion d’un réajustement social, que les États devront engager ?
Cette réalité existait déjà avant la crise sanitaire. Les inégalités se sont évidemment tendues mais la réponse de l’État a été très rapide, et en fin de compte si l’on considère les revenus après transferts publics, les inégalités ont même diminué en 2020.
La crise a surtout révélé un risque de crise intergénérationnelle. Certain ont mis en avant que l’on avait sacrifié les jeunes pour sauver les plus âgés. Je ne pense pas qu’il faut raisonner comme cela. Si réajustement social il doit y avoir, il me semble important que l’État permette à la fois à nos jeunes de construire leur avenir et à nos ainés d’avoir une fin de vie digne.
Quelle perception avez-vous des effets sociaux de cette pandémie dans les pays du Sud où la pauvreté est déjà prégnante ?
Les pays du Sud avaient été relativement épargnés par la crise financière de 2008, mais ce n’est pas le cas avec la crise actuelle. La baisse des cours des matières premières, des investissements et le tarissement de certaines sources de financement ont des conséquences dramatiques pour les populations les plus fragiles, non couvertes par une protection sociale. La priorisation de vaccins vers les pays du Nord est non seulement inique mais, en outre, risque de faire durer la crise économique au Sud. Aussi, je crains des conséquences fortes et durables sur la pauvreté.
Au Maroc, une politique sociale plus volontariste est en cours d’implémentation, qu’elles devraient être les grandes orientations à suivre en la matière ?
Les politiques publiques mises en place au Maroc au cours des dernières années avaient permis une baisse de la pauvreté et des inégalités. Malheureusement, avec la crise sanitaire, une partie importante de la population s’est trouvée sans ressources mais des transferts publics massifs ont permis de limiter la hausse de la pauvreté.
La question sociale est clef et je salue la réforme en cours visant à la généralisation de la protection sociale. Il me semble que la question des retraites est primordiale car la part des plus de 60 ans dans la population est susceptible de doubler d’ici 2050. Le système doit être simple et juste et sa gestion doit être confiée à des institutions crédibles et compétentes.
Le Maroc est au carrefour de flux migratoires importants, quels sont les impacts de la pandémie sur ces flux, pourraient-ils s’atténuer de ce fait ?
Je connais surtout la question des flux migratoires vers la France. En 2019, près de 35.000 Marocains avaient reçu un premier titre de séjour, ce qui en fait la première nationalité dans le flux extra-européen vers la France. Il est probable que la crise sanitaire réduise pour un temps les flux pour motifs d’étude. Ce fut clairement le cas en 2020, et peut être aussi pour la rentrée de septembre 2021. Il est possible aussi que la crise conduise les pays européens à une restriction des flux migratoires, notamment pour motifs économiques. En revanche, le motif familial, qui représente la moitié du flux extra-européen vers la France n’a pas de raison d’être réduit.
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli
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