Docteure Hajar Moujtahid
Hajar Moujtahid est médecin en formation au Maroc avec une expérience en milieu hospitalier et clinique. Entrepreneuse sociale et passionnée par les questions de santé et la recherche de solutions innovantes dans le domaine de la santé, son action est centrée sur l’humain et sur le patient, notamment en offrant des expériences éducatives. Son parcours, riche et inspirant, s’appuie également sur une solide expérience de travail avec les minorités et les populations à faible revenu. Entretien.
La Nouvelle Tribune : Médecin de formation, comment et pourquoi avez-vous développé une approche d’entrepreneuriat social dans votre parcours ?
Hajar Moutahid : Mon aventure avec l’entrepreneuriat est partie d’un heureux hasard. J’étais étudiante en 2e année médecine quand j’ai rejoint le club Enactus FMPR, affilié à l’organisation Enactus Morocco qui a pour mission d’engager les étudiants universitaires à favoriser le progrès sociétal à travers leurs actions entrepreneuriales. Mon aventure a commencé timidement en participant aux différentes compétitions Enactus ou en organisant des événements locaux au niveau de notre faculté et progressivement j’ai commencé à développer de l’intérêt pour l’entrepreneuriat et l’impact qui peut en découler…
J’étais sensible aux différentes problématiques santé de la population générale et des étudiants en médecine et j’ai très vite compris grâce à mes mentors que si tu n’aimais pas quelque chose, changela et si tu ne peux pas la changer, change ton attitude. J’ai alors compris qu’il était de ma responsabilité de m’engager dans une mission pour créer de l’impact et trouver des solutions innovantes aux différentes problématiques auxquelles je pourrais être confrontée en tant que futur médecin, professionnel de santé ou juste citoyenne et faire ma part du colibri.
Vous êtes co-fondatrice et “Chief program officer” de la Healthcare Education Startup. Quelle est la mission de cette aventure entrepreneuriale et comment se matérialisent ses réalisations ?
Healthcare Education est une startup médicale dont la vision est de créer un monde plus attentionné en développant les personnes les plus motivées. HCE vise à être une plateforme éducative de premier plan en Afrique et dans la région MENA, offrant la meilleure expérience d’apprentissage aux prestataires de soins de santé, aux soignants et aux patients. Autonomiser les patients grâce à un accès démocratisé aux connaissances médicales fait également partie des objectifs. Avec 4 autres de mes collègues, nous avons initié cette aventure il y a plus de 4 ans aujourd’hui avec le rêve naïf de révolutionner la santé au Maroc et en Afrique…
Les années ont passé et les challenges se sont décuplés. Nous sommes restés deux à frayer le chemin, la tête stable et la mission inchangée, malgré les difficultés. Au bilan de 2020, j’ai beaucoup de fierté pour tout ce qu’on a réalisé jusqu’à présent mais je reste sur ma faim pour tout ce que nous projetons.
Parmi nos réalisations au cours de ces années passées, nous avons développé une dizaine de programmes qui ont impacté des centaines d’étudiants en médecine et professionnels de santé. Nous comptons également à ce jour une communauté de plus de 100 experts, médecins, professeurs et autres. Et avec le temps nous avons réussi à constituer un système autour d’un écosystème de professionnels de santé, étudiants, patients et population générale pour induire le changement inclusif qui permettra une santé équitable et sans concurrence pour tous.
L’éducation et l’innovation semblent être au centre de votre parcours professionnel. En tant que co-fondatrice du programme StepOut, quel diagnostic faites-vous de la situation des étudiants en médecine au Maroc et en général ?
Il est très difficile de se prononcer sur l’éducation médicale au Maroc par souci de crédibilité surtout, mais aujourd’hui il est un fait que tout le paradigme institutionnel dans le monde entier doit être repensé, cette crise nous l’a bien montré. Mais, si je peux puiser dans mon expérience personnelle et les retours des centaines d’étudiants qui ont bénéficié de nos programmes, je peux constater qu’il y a diverses problématiques liées à la formation médicale et je peux en citer quelques-unes :
– Le Manque de visibilité et de guidance dans les études médicales
– Le Manque de feedback dans l’apprentissage
– Le Manque d’immersion dans l’apprentissage
Sans vouloir généraliser ni condamner, ces constats partent d’une expérience personnelle et d’un travail introspectif mené par Step Out. Ceci dit, il y a énormément d’initiatives aujourd’hui au Maroc qui oeuvrent à améliorer les choses, mais le challenge serait de fédérer toutes ces initiatives et les inclure de façon officielle dans le cursus académique.
Je profite de cet entretien pour inviter les étudiants en médecine et chaque professionnel de santé à s’investir dans l’amélioration de la formation médicale et le système de santé… Se munir de fibres entrepreneuriales, percevoir les différents problèmes comme des opportunités pour amener des solutions et améliorer les choses. Je pense que l’amélioration du système de santé sera de plus en plus conditionnée par l’implication des professionnels de santé et leur prise d’initiatives…
Les étudiants en médecine ont également toute leur place dans ce processus et sont invités à être proactifs et apprendre le problem-solving sur terrain en cherchant des solutions aux différentes situations auxquelles ils pourront faire face…
Et cela laisse penser que l’éducation entrepreneuriale associée à l’éducation médicale peut être un vrai pivot pour les facultés de médecine qui de simples usines à fabriquer des médecins se transformeront en institutions socialement responsables, génératrices de leaders et d’acteurs de changement…
Compte tenu de votre implication dans le programme AlHakeem, quelles sont vos recommandations pour répondre au manque d’éducation des patients et du grand public sur les questions de santé ?
Le modèle actuel de prestation de soins de santé devient de moins en moins viable. Pour apporter des améliorations continues à la santé dans le monde, les soins de santé devront être transformés, avec le digital occupant une place centrale. En 2021 et la pandémie nous l’a bien montrée, il y a deux grands shifts à réaliser… Une médecine plus proche de chez soi, délocalisée des centres hospitaliers et structures sanitaires (avec toute la révolution technologique) et une médecine plus axée sur la prévention. Parce que l’approche actuelle dans la prise en charge des maladies chroniques est malheureusement obsolète et ce partout dans le monde.
Le modèle traditionnel de soins aigus ne convient pas aux maladies chroniques 24/7 comme le diabète. Il est donc temps d’autonomiser les patients et la population générale à s’impliquer et être acteur de leur santé. Il faut développer dès le plus jeune âge la conviction qu’un comportement maîtrisé peut permettre d’éviter l’apparition des maladies ou leur aggravation.
Et pour réussir une telle approche, il est indispensable que le médecin généraliste devienne le pivot de toute stratégie de prévention sanitaire. Il faut pour cela faire évoluer le contenu de l’enseignement initial et continu des médecins. Le système de santé doit être géré de façon transversale et non verticale. Le parcours du patient doit être organisé et coordonné afin de faciliter la gestion de son capital de santé et responsabiliser chacun dans sa prise en charge.
Quelle est votre lecture de l’impact de la pandémie de la Covid-19 au Maroc sur les minorités et les populations à faible revenu ? Qu’en sera-t-il de l’innovation sociale dans une ère post-covid ?
Il va sans dire que la pandémie a mis à mal plusieurs économies dans le monde entier et que le Maroc n’est pas mieux loti. Selon le dernier rapport de l’ONDH observant l’impact de la pandémie sur la population et l’économie locale du Maroc, 57% des entreprises ont subi un arrêt permanent/provisoire de leur activités et l’impact économique en va de même sur les familles marocaines et plus spécifiquement les populations à faible revenu… Mais je redresserai la question sur les problématiques auxquelles j’ai une réponse ou ébauche de réponse… L’impact de la pandémie sur la santé (y compris la santé mentale) des Marocains, l’impact de la pandémie sur la santé des professionnels de santé.
D’ailleurs, le dernier rapport du HCP observant l’impact de la pandémie sur l’accès aux services de santé a montré que 49% des ménages ont souffert d’anxiété au cours du confinement et le déclenchement de la pandémie et les ménages à faible revenu sont les plus touchés. Je ne suis pas la mieux placée pour faire une lecture experte sur l’impact de la pandémie Covid-19 sur les ménages et notamment les populations à faible revenu, mais il est avéré que la pandémie a eu des répercussions majeures sur la situation économique, psychologique et sanitaire des ménages et des minorités.
Maintenant, le positif est que cette pandémie nous a également appris plusieurs enseignements. Et l’innovation sociale dans ce genre d’événements extraordinaires a toute sa place. Cela permettra au Maroc en transformation, de libérer les valves et d’ouvrir les possibilités pour créer plus de collaborations. Ces dernières vont nous permettre de réduire les inégalités et générer plus de croissance inclusive.
Entretien réalisé par Zouhair Yata