Photo prise le 23 mars 2019 montrant le drapeau des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les combattants kurdes, flotter en haut d'un bâtiment dans le village de Baghouz, où les FDS ont défait les jihadistes du groupe Etat islamique. © AFP GIUSEPPE CACACE
Le « califat » autoproclamé par l’organisation jihadiste la plus redoutée au monde a été éliminé par les forces arabo-kurdes soutenues par les Etats-Unis, après la conquête samedi du dernier territoire tenu par le groupe Etat islamique (EI) en Syrie.
Pour célébrer la victoire, des combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), fer de lance de la lutte antijihadistes dans la Syrie en guerre, ont hissé leur drapeau jaune dans le village conquis de Baghouz où les derniers jihadistes avaient désespérément résisté.
Au sol, à quelques mètres du fleuve, un drapeau noir de l’EI git à même le sol, pris dans des branches desséchées, selon une équipe de l’AFP sur place.
Près de Baghouz, à Al-Omar, un champ pétrolier utilisé comme base arrière de l’assaut antijihadistes, des combattants et combattantes des FDS, dominées par les kurdes, ont chanté et dansé la dabké, danse traditionnelle du Proche-Orient. Une fanfare militaire a joué des hymnes, dont celui des Etats-Unis, devant des commandants et responsables kurdes.
La perte de cette dernière poche dans l’est syrien, près de la frontière irakienne, signe ainsi la fin territoriale de l’EI en Syrie, après sa défaite en Irak en 2017.
Après s’être emparé de vastes régions en Syrie et en Irak, l’EI avait proclamé en juin 2014 un « califat » sur un territoire grand comme le Royaume-Uni, instaurant sa propre administration et collectant des impôts avant de lancer une campagne de propagande pour attirer des recrues étrangères.
Mais l’organisation jihadiste la plus brutale dans l’histoire moderne y avait aussi fait régner la terreur: décapitations, exécutions massives, rapts et viols…. Sans compter les enlèvements d’étrangers et les attentats meurtriers revendiqués en Syrie, dans d’autres pays arabes ou asiatiques et même en Occident ainsi que la destruction de trésors archéologiques.
La victoire contre l’EI, proclamée après une dernière campagne militaire de six mois, est une date marquante dans la lutte contre les mouvements jihadistes dans le monde.
« Les FDS annoncent la totale élimination du soi-disant califat et une défaite territoriale à 100% de l’EI », a déclaré un porte-parole des FDS, Mustefa Bali dans un communiqué.
Il a aussi promis de « pourchasser ce qui reste des jihadistes et de les anéantir », alors que des combattants de l’EI ont fui, après les revers des deux dernières années, dans le désert s’étendant du centre de la Syrie jusqu’à la frontière irakienne.
A Baghouz, les combats ont été très violents face aux derniers irréductibles de l’EI qui étaient au final acculés dans une petite bande de territoire au bord du fleuve Euphrate, dans la province de Deir Ezzor.
– Des jihadistes étrangers –
« Ceux qui étaient retranchés jusqu’à la fin étaient principalement des étrangers: Tunisiens, Marocains, et Egyptiens », dit Hisham Haroun, 21 ans, un combattant des FDS qui a participé aux derniers jours de la bataille.
Autour de lui, les restes d’un campement de fortune où se terraient les jihadistes parfois dans des tunnels souterrains et des caves.
Battus par le vent, au milieu de carcasses de voitures calcinées, des draps, des tapis ou des couvertures épaisses, étendues sur des tiges de fer ou des arbustes, faisaient office de tentes. Certaines dissimulent des tranchées.
Des corps sans doute de jihadistes gisaient au sol, mais on ignorait ce qu’il est advenu des combattants de l’EI qui résistaient encore il y a quelques heures.
Le dernier assaut contre Baghouz, lancé début février, est la phase finale d’une opération déclenchée en septembre 2018 pour chasser l’EI des derniers secteurs sous son contrôle en Syrie.
Soutenu dans les airs par la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, il a été ralenti par la sortie de l’enclave de dizaines de milliers de personnes.
Depuis janvier, plus de 67.000 personnes ont quitté la poche de l’EI, dont 5.000 jihadistes arrêtés après leur reddition, selon les FDS. Les civils, la plupart des familles de jihadistes, ont été transférés dans des camps principalement dans celui d’Al-Hol (nord-est) où ils vivent dans des conditions difficiles.
Parmi les rescapés, des milliers d’étrangers venus de France, de Russie, de Belgique et de dizaines d’autres pays, pour rejoindre le « califat ». Leur rapatriement fait toujours débat notamment au sein des pays occidentaux.
En six mois de combats, plus de 750 membres des FDS ont péri et presque le double de jihadistes, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Il n’y a pas de bilan pour les victimes civiles.
Dans une première réaction d’un pays membre de la coalition antijihadistes, le président français Emmanuel Macron a jugé qu’un « danger majeur » pour la France avait été « éliminé » après la chute du « califat ».
– « Fondre et fuir » –
Quelques heures avant l’annonce de sa défaite, l’EI a appelé ses partisans à résister et à mener des attaques contre « les ennemis » en Occident.
Le groupe jihadiste a vu son « califat » se réduire comme peau de chagrin avec la multiplication des assauts ces deux dernières années.
Mais après les pertes territoriales, des combattants de l’EI restent disséminés dans le désert syrien ainsi que dans des zones désertiques de l’autre côté de la frontière, en Irak.
Des cellules dormantes parviennent aussi à mener des attentats meurtriers, disent les experts selon lesquels l’EI a déjà entamé sa mue en organisation clandestine.
L’EI « est une organisation terroriste. Tout ce que (ses membres) ont à faire, c’est baisser les armes, tenter de se fondre dans la population et fuir », estime John Spencer du Modern War Institute à l’académie militaire West Point. « Ils ne sont pas partis et ils ne s’en iront pas comme ça ».
La bataille contre l’EI était le principal front de la guerre aux multiples acteurs en Syrie qui a fait plus de 370.000 morts depuis mars 2011, le régime de Bachar al-Assad, soutenu par la Russie et l’Iran, ayant reconquis près des deux-tiers du pays.
LNT avec AFP