Des manifestants lancent des pierres sur l'armée à Tripoli, dans le nord du Liban, le 28 avril 2020 © AFP Ibrahim CHALHOUB
De nouveaux heurts ont opposé mardi à Tripoli, la capitale du nord du Liban, l’armée à des manifestants dénonçant une inflation galopante et une dépréciation sans précédent de la monnaie nationale, en pleine pandémie de Covid-19.
Après quelques heures de calme, des protestataires sont de nouveau descendus en fin de soirée dans la rue faisant craindre de nouvelles violences marquées la nuit dernière par la mort d’un manifestant de 26 ans, tué par balle par l’armée.
Des manifestations ont eu lieu à plusieurs endroits de la ville, dont le quartier al-Mina, où les protestataires ont endommagé la façade d’une banque, selon une journaliste de l’AFP.
Un autre rassemblement a eu lieu devant le domicile d’un ancien Premier ministre, Nagib Mikati.
Plus de 20 manifestants ont été blessés dans les affrontements nocturnes, dont quatre hospitalisés, selon la Croix-rouge libanaise. La veille, outre le manifestant tué, une vingtaine de civils ont été blessés ainsi que 40 militaires, selon l’armée.
A Beyrouth, une centaine de manifestants ont défilé dans le quartier Hamra, où se trouve le siège de la Banque centrale, scandant des slogans contre son gouverneur. A Saïda (sud), des manifestants ont lancé des cocktails Molotov sur la branche locale de la Banque centrale.
Dans la journée, Tripoli, la deuxième ville du pays, a été le théâtre de violences. Des centaines de jeunes ont saccagé et incendié une demi-douzaine de banques, arraché les pavés des trottoirs pour les lancer sur l’armée et incendié deux véhicules militaires.
Ils ont été dispersés à coups de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc.
Face à la crise économique inédite depuis la fin de la guerre civile (1975-1990) et malgré les restrictions imposées face au nouveau coronavirus, la mobilisation populaire — déclenchée initialement à l’automne dernier– a repris il y a quelques jours contre le pouvoir accusé de corruption et d’incompétence. Plusieurs banques ont été vandalisées à travers le pays.
– « Cri des gens » –
« Je veux élever la voix contre la faim, la pauvreté, l’inflation et l’injustice », a lancé un manifestant de 41 ans, Khaled.
Ce vendeur de pièces de rechange pour motos dit ne plus pouvoir subvenir aux besoins de ses trois enfants depuis la perte de son emploi, dans un contexte dégradé avec la pandémie.
Le Premier ministre Hassan Diab a reconnu « une aggravation à une vitesse record de la crise sociale », assurant « comprendre le cri des gens », mais a également rejeté « tout vandalisme », lors d’une réunion du gouvernement.
Il a dans le même temps dénoncé les « intentions malveillantes en coulisses ».
Son ministre de l’Economie, Raoul Nehmé, a fait état d’une hausse de 55% des prix sans préciser la période correspondante.
La crise économique a été le principal catalyseur en octobre 2019 d’un soulèvement inédit contre une classe politique inchangée depuis des décennies et accusée de corruption et d’incompétence.
Elle s’est amplifiée avec l’interdiction par les banques de tout virement à l’étranger et la mise en place de restrictions draconiennes sur les retraits en dollars, suspendus totalement en mars.
Les banques sont accusées par la rue de complicité avec le pouvoir et d’avoir contribué à l’endettement public effréné et la faillite de l’Etat.
– « Explosion inévitable » –
Tout cela a été aggravé par les mesures préventives contre la propagation du virus, qui ont paralysé un pays où sont officiellement recensés 717 cas, dont 24 décès.
Au Liban, environ 45% de la population vit désormais sous le seuil de la pauvreté, selon des estimations officielles.
En quelques semaines, la livre libanaise, indexée sur le dollar depuis 1997, a perdu plus de 150% de sa valeur face au billet vert au marché noir, dépassant le seuil des 4.000 livres pour un dollar. Le taux officiel de 1.507 livres reste inchangé.
L’inflation est quotidiennement dénoncée sur les réseaux sociaux, les prix de certains produits alimentaires ayant quasiment doublé.
Le gouvernement affirme travailler sur un plan de relance économique n’ayant toujours pas été finalisé.
« Jusqu’à présent, le gouvernement n’a rien fait, si ce n’est suspendre le paiement des eurobonds », a affirmé à l’AFP l’économiste Sami Nader, en référence au premier défaut de paiement dans l’histoire du pays, annoncé en mars.
D’après lui, le pays se dirige « vers une explosion sociale inévitable, avec une monnaie ayant perdu près de 200% de sa valeur, et une forte baisse du pouvoir d’achat ».
LNT avec Afp