
Le Maroc s’est lancé dans une réforme budgétaire majeure pour les années 2024-2026, avec comme objectifs de renforcer ses finances publiques et continuer de redéfinir ses politiques de compensation. Au cœur de cette initiative, la réforme progressive du régime de la compensation se présente comme le pivot essentiel de cette transformation. Les ambitions gouvernementales sont claires : un déficit budgétaire cible de 4% en 2024, diminuant progressivement à 3,5% en 2025, puis à 3% en 2026, avec pour objectif de stabiliser la dette publique à 68,5% du PIB d’ici 2026, avant de la réduire davantage à près de 65% du PIB d’ici 2030. Lors de la présentation au Parlement des détails du programme d’aide sociale directe, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, avait levé le voile sur la date de lancement de la réforme de la Caisse de compensation.
Cette réforme représente un virage stratégique dans la gestion des finances publiques et doit permettre de dégager les marges budgétaires nécessaires au financement du programme des aides sociales. Aziz Akhannouch avait souligné la nécessité de poursuivre le remaniement du système de compensation, initié en 2013 sous l’ère de Benkirane.
En effet, le budget de l’État ne sera pas en mesure de financer l’aide sociale directe tout en supportant l’intégralité du coût du système de compensation, avait insisté le Chef de gouvernement. À noter que la mise en œuvre du programme d’aide sociale directe nécessitera un budget global de 25 milliards de dirhams (MMDH) en 2024, qui sera porté à 29 MMDH par an en 2026. Bien que le gouvernement n’ait pas encore communiqué sur les niveaux de hausse qui seront appliqués au sucre et au blé tendre, les augmentations sur le gaz butane étaient connues. Ainsi, des hausses progressives du prix de la bonbonne de gaz de 12 kg sont attendues, avec la hausse de ce mois de mai, puis une hausse de 10 dirhams par an jusqu’en 2026. La bonbonne coûte désormais 50 dirhams, et la différence entre ce montant et le prix réel, qui est actuellement d’environ 140 dirhams, soit 90 dirhams, continuera à être supportée par l’État.
En clair, le consommateur devra payer en 2026 sa bonbonne de gaz à 70 dirhams. Ceci offre un éclairage sur les ajustements tarifaires à venir ainsi que les marges que le gouvernement pourrait dégager. Akhannouch avait aussi spécifié que, postérieurement à la troisième augmentation, l’État assumerait la différence de prix au sein de la caisse de compensation, en fonction des fluctuations du marché international. Ce redéploiement du mode opératoire de la Caisse représente un ajustement progressif, écartant ainsi toute notion de suppression brutale de la Caisse de compensation ou de libéralisation des prix, que les citoyens appréhendaient.
Une réforme nécessaire
Depuis la libéralisation des prix du carburant en 2015, la Caisse de compensation a pesé lourdement sur les finances de l’État, avec un coût estimé à près de 175 milliards de dirhams, selon Fouzi Lekjaa, ministre délégué chargé du Budget. Toutefois, le constat est saisissant : seulement 20% de cette somme ont bénéficié aux plus démunis, tandis que plus des deux tiers ont profité à des segments plus aisés de la population. Cette distribution inégale des subventions a donc remis en question l’efficacité des politiques de compensation en termes de redistribution des ressources.
Lors de l’approbation par la Chambre des députés du projet de Loi de Finances 2024, Lekjaa avait fait remarquer qu’au cours d’une période mensuelle, un citoyen défavorisé acquiert une seule bonbonne de gaz, tandis qu’un individu plus fortuné en achète six au même prix subventionné. Il a également assuré que le gouvernement maintiendra les subventions sur les autres produits, avec des prix plafonnés, ce qui limitera ainsi l’impact sur le pouvoir d’achat des citoyens.
Impact positif sur les dépenses publiques
Selon les projections du ministère des Finances pour la période 2024-2026, cette réforme progressive de la Caisse de compensation aura des répercussions positives sur les dépenses publiques. La charge de compensation, qui s’élevait à 42 milliards de dirhams en 2022 (sur fond de hausse des prix énergétiques), devrait baisser de manière significative pour atteindre 7,8 milliards de dirhams en 2026. Entre-temps, ces dépenses baisseront à 16,9 milliards de dirhams en 2024, puis à 11,5 milliards en 2025.
Par ailleurs, le plan de consolidation budgétaire au Maroc pour la période 2024-2026 repose sur une croissance annuelle moyenne de 5,3% des recettes fiscales, tandis que les recettes non fiscales devraient connaître une hausse moyenne de 6,4%. Au cœur de cette stratégie, selon le document de la programmation budgétaire triennale (PBT), figure la mobilisation continue des ressources via des mécanismes de financement innovants avec un montant de 35 milliards de dirhams par an entre 2024 et 2026.
Côté dépenses, la PBT mise sur une maîtrise de leur évolution, avec un taux de croissance annuel moyen plafonné à 3,3%. Cette gestion prudente des dépenses repose sur plusieurs piliers, dont la réduction du poids des charges de personnel, passant de 10,6% du PIB en 2023 à 10% du PIB en 2026. L’optimisation des dépenses d’investissement autour des 6% du PIB d’ici 2026 sera soutenue par une intensification de l’utilisation du partenariat public-privé (PPP). L’effort structurel pour maîtriser les dépenses publiques s’étend également aux dépenses de fonctionnement, hors salaires, maintenues à 6% du PIB entre 2024 et 2026.
La programmation triennale intègre également le redéploiement progressif des ressources allouées aux programmes sociaux actuels (Ramed, Tayssir,…) et à la compensation, en faveur du déploiement de la généralisation de la protection sociale dans le cadre non contributif.
Un système de compensation à redéfinir
Le système de compensation marocain, instauré dans les années 1940, avait pour but de réguler l’approvisionnement du marché des produits de base et de protéger le pouvoir d’achat des citoyens en maîtrisant les prix et les flux commerciaux. Au fil des ans, ce système a joué un rôle crucial dans le soutien de divers secteurs, notamment agroalimentaires et industriels.
Cependant, le Maroc, en tant que pays non producteur de pétrole avec des ressources naturelles limitées, a été gravement impacté par la volatilité des prix des matières premières sur les marchés internationaux. La dépendance marocaine aux importations pour couvrir ses besoins en produits pétroliers, sucre brut, et céréales, a accentué sa vulnérabilité économique.
Pour répondre à cette crise, le gouvernement marocain a lancé en 2013 un plan de réforme de la compensation progressive. La première étape a consisté en l’activation d’un système d’indexation des prix des produits pétroliers, réduisant graduellement les subventions accordées au gasoil, à l’essence, et au fuel. En février 2014, l’indexation totale de l’essence et du fuel a été mise en œuvre, accompagnée de la suppression progressive des subventions.
Parallèlement à ces mesures, le gouvernement a entrepris des réformes sociales majeures. En 2021, la loi-cadre n° 09.21 relative à la protection sociale a été promulguée, stipulant que le financement des programmes de soutien social proviendra du regroupement des fonds de compensation. Jusqu’à avril 2024, 3,6 millions de foyers ont bénéficié du programme de soutien social, basé sur un ciblage précis grâce au Registre social unifié. De plus, la généralisation de la couverture médicale a atteint 4,2 millions de foyers et un programme de soutien au logement a été lancé pour 330 000 foyers sur trois ans.
En avril 2024, des augmentations salariales pour les employés du secteur public ont été annoncées, avec pour objectifs de renforcer le pouvoir d’achat de plus de 4 millions de foyers marocains.
Le sucre et le blé aussi concernés
Le secteur sucrier marocain a également été impacté par les réformes de compensation, bien que les effets sur le consommateur sont moindres par rapport aux hydrocarbures. La consommation nationale de sucre, qui dépasse le million de tonnes par an, est satisfaite à 40% par la production locale et à 60% par le raffinage du sucre brut importé. Les prix du sucre sont réglementés et bénéficient de subventions importantes. Cependant, la charge annuelle de compensation du sucre varie de 3,2 milliards de dirhams à 5 milliards de dirhams, alourdissant encore plus les finances publiques.
Le gouvernement a entrepris des mesures pour rationaliser ce soutien en révisant les prix et les marges commerciales, tout en maintenant des subventions pour éviter des augmentations drastiques des prix à la consommation. Un contrat-programme signé avec la Fédération Interprofessionnelle Marocaine du Sucre (FIMASUCRE) visait à développer la filière, incluant l’amélioration de la production locale et l’efficacité du raffinage du sucre brut importé.
La filière du blé tendre, cruciale pour l’approvisionnement en farine subventionnée, a été au centre des réformes de compensation. Depuis 1988, la compensation porte sur un contingent annuel de 10 millions de quintaux de farine nationale de blé tendre (FNBT), avec un soutien de l’État pour la commercialisation et l’écrasement du blé tendre. Les prix de référence d’achat, les primes de magasinage et les coûts de transport sont définis chaque campagne par arrêté conjoint des ministres concernés.
Cependant, en raison de l’inefficience des systèmes de compensation existants et de la charge plus importante que prévue, le gouvernement a tenté d’amorcer une réforme transitoire visant à passer de la subvention des produits au transfert monétaire direct. Cette réforme visait à instaurer une meilleure transparence et une plus grande concurrence entre les minoteries à travers la libéralisation de la filière du blé tendre. Elle cherchait également à insérer le secteur meunier dans la mouvance de la libéralisation économique, en créant des conditions favorables pour la production et la distribution de la farine.
Malgré ces efforts, la libéralisation complète des prix du blé tendre s’est avérée difficile. L’objectif était d’améliorer l’efficacité et la transparence de la filière, tout en garantissant l’accès à la farine subventionnée pour les populations vulnérables. Toutefois, la prise en charge des différences de coûts de production et de transport par l’État reste nécessaire pour maintenir les prix accessibles. La gestion durable et compétitive de la filière du blé tendre au Maroc demeure un défi, compte tenu des complexités inhérentes à la libéralisation des prix dans un secteur aussi vital.
En somme, la réforme de la Caisse de compensation au Maroc représente une étape cruciale dans la modernisation des finances publiques et la redistribution des ressources sociales. En adoptant une approche progressive et ciblée, le gouvernement vise à réduire les inégalités, améliorer l’efficacité des dépenses publiques et promouvoir une croissance économique durable. Mais les défis restent nombreux…
Selim Benabdelkhalek