La campagne de boycott, lancée le 20 avril dernier contre trois grandes marques, Afriquia, Sidi Ali et Centrale Danone, a suscité foule de commentaires, d’analyses, de jugements et d’avis, les uns plus construits que les autres, mais qui, pour l’essentiel, ne se sont pas attachés à la genèse de cette campagne.
Si pour plusieurs, y compris des femmes et hommes politiques, qui apportent un soutien « spontané » à cette initiative, il s’agit là d’une nouvelle expression d’un mécontentement populaire et d’un refus des inégalités sociales, pour d’autres, le boycott serait la concrétisation de la prise du pouvoir des opérations de communication sur les réseaux sociaux par des groupes non identifiés et mal intentionnés.
Des précédents glorieux
La relative maladresse apportée en tant que réponses à ces campagnes sur Facebook prouve d’ailleurs à l’envi que les grandes marques nationales et leurs dirigeants n’ont pas encore intégré « la communication de crise » dans leurs stratégies, alors que leurs assaillants en sont des spécialistes avérés !
Ces précisions étant faites, il serait utile sans nul doute de partir d’un premier constat, celui de l’appel même au boycott pour les raisons évoquées plus haut.
L’Histoire du Maroc nous enseigne que les campagnes de boycott ne sont pas nouvelles pour le peuple marocain.
Avant l’Indépendance, le Mouvement National avait lancé des mots d’ordre de boycott de produits fabriqués et vendus par le colonialisme et notamment le tabac et les cigarettes de la « Régie des Tabacs ».
Plus tard, au plus fort du combat de l’OLP et du peuple palestinien, les Comités de soutien locaux et des partis de gauche avaient appelé à boycotter les produits américains, au motif que Washington était (et reste) le plus fort appui à Israël.
Ces campagnes avaient notamment fleuri après la défaite de 1967, la guerre de 1973, mais aussi les combats au Liban et l’intervention israélienne au Sud Liban au début des années 80.
Plus tard encore, c’est lors des deux « guerres du Golfe » que certaines forces politiques nationales, en soutien au régime de Saddam Hussein, avaient appelé au boycott des produits occidentaux et américains tout particulièrement.
Enfin, Abdelilah Benkirane, alors au faîte de sa puissance comme chef du gouvernement et secrétaire général du PJD, avait annoncé en juin 2014 qu’il s’abstiendrait de consommer des yaourts Danone, au motif de leur coût excessif.
A nulle autre pareille
La présente campagne est donc totalement atypique si l’on veut la comparer aux précédentes.
Elle est d’abord fondamentalement anonyme, puisque personne n’en revendique la paternité, ni au sein de la classe politique, ni même dans les cercles de la société civile.
Elle est, ensuite, exclusivement menée sur les réseaux sociaux, Facebook essentiellement, à partir de deux groupes qui comptent des centaines de milliers de « fans » chacun.
Elle est, enfin, fondamentalement trompeuse et artificielle puisque les marques et produits visés ne sont absolument pas en position monopolistique.
Ni l’eau minérale, ni le lait et ses produits dérivés, ni les carburants ne sont vendus exclusivement par les marques frappées de boycott et les prix qu’elles pratiquent sont sensiblement les mêmes que leurs concurrents.
Pire encore, le résultat de ce boycott, notamment pour les carburants ou même l’eau minérale, profite à des firmes et sociétés qui transfèrent massivement leurs bénéfices à l‘étranger, alors que Sidi Ali et Afriquia sont, qu’on le veuille ou non, des entreprises nationales qui ont investi, créé de la valeur et de l’emploi pour le Maroc et les Marocains.
Quant à Centrale Danone, certes d’origine étrangère, il n’échappera à personne que le lait est récolté auprès de dizaines de milliers de producteurs, (majoritairement de petits éleveurs), de nos campagnes et non des vertes prairies hollandaises ou bretonnes !
Pour ces quelques raisons, fondamentales, on peut raisonnablement penser que ladite campagne avait, à son lancement, des objectifs autres que la défense du pouvoir d’achat des Marocains et des Marocaines !
Une crise et ses leçons
Mais la « magie des réseaux sociaux » et la volonté de récupération, amalgamant à la fois partis politiques (PPS, PI, PSU) et vedettes du showbiz national, ont fait le reste…
Il y a donc, au moins, deux niveaux de lecture de cette nouvelle affaire qui passionne l’opinion publique et qui, très certainement, constituera l’un des moments forts du mois de Ramadan qui arrive.
Il y a, manifestement, une volonté claire et affichée, mais non identifiée pour le moment, de nuire à certains symboles de la puissance économique nationale, à la fois pour leurs liens avérés avec le pouvoir politique, pour leur dynamisme et pour leur exposition publique.
Et, jusqu’à présent, les communicants au service des entreprises et des marques visées n’ont pas été en mesure de contrer efficacement la campagne qui a rapidement pris la tournure d’une vaste protestation sociale par réseaux sociaux interposés.
Cette situation pourrait devenir encore plus préoccupante si la gestion de cette crise ne se portait pas sur ce qui est devenu essentiel, c’est-à-dire la reconnaissance que la communication virtuelle et les réseaux sociaux se sont définitivement imposés comme les nouveaux modèles dominants, qui orientent et déterminent avec une très grande efficacité, les modes comportementaux, les idées et les jugements des opinions publiques de par le monde.
Ceci explique parfaitement d’ailleurs, le fait, lamentable en soit mais significatif à la fois, que des partis politiques (et non des moindres) se mettent à courir après les « fans » de Facebook et les « followers » de Twitter pour tenter de coller à leurs (hypothétiques) troupes.
Quand Ali Yata, M’hammed Boucetta ou Mohammed Ben Saïd Aït Idder haranguaient les foules pour les convaincre de la pertinence de leurs idées, Nabil Benabdallah, Nizar Baraka et Nabila Mounib se contentent de suivre les sentences décrétées anonymement sur les réseaux sociaux pour espérer y gagner quelque crédibilité…
L’autre niveau de lecture, qui dépasse au demeurant les questionnements sur l’origine de la campagne et les objectifs (cachés) de ses promoteurs, tient à l’expression et la manifestation de sentiments d’injustice, de « hogra » et de refus de la vie chère que les très nombreux (paraît-il) partisans du boycott expriment à travers leur adhésion à cette campagne. Il est avéré désormais que la communication, sous toutes ses formes, branding, politique, à connotation sociale, culturelle ou autres, utilise comme vecteur privilégié la virtualité et Internet.
Et cela doit être mesuré à sa juste valeur parce que l’on sait que, par ailleurs, les Marocains se détournent des partis politiques, des organisations syndicales, et même des associations de la société civile.
La mobilisation, la contestation, la protestation qui, autrefois passaient par l’engagement militant, le recours au vote, l’adhésion partisane et même l’activisme, empruntent désormais d’autres voies.
Il y a celle des réseaux sociaux et celle du spontanéisme populiste, (Al Hoceima, Jerada), qui peuvent se rejoindre et s’unir, comme l’expérience non aboutie du 20 février a tenté de le montrer.
Voilà pourquoi, il ne faut pas prendre à la légère ces nouvelles formes de communication sociale et politique. Elles constituent l’expression de mécontentements, de frustrations et de colères qui pourraient être exploitées à des fins non avouables…
Et que feraient alors nos partis politiques quand des pages Facebook appelleront à leur boycott ?
Quelles réponses apporteront les décideurs, économiques et politiques, quand d’autres marques, d’autres entreprises, d’autres secteurs seront ainsi la cible des brigades anonymes du Net ?
Fahd YATA