Rencontre à Casablanca entre BOA et ASMEX autour du blockchain
Comme nous l’avions déjà abordé dans notre article dédié à la blockchain (voir LNT n°1139), cette technologie, et son application dans les différents domaines de la finance et de l’économie, est au centre de nombreux débats et discussions, tant son potentiel disruptif enthousiasme, et inquiète, les opérateurs.
En tant qu’opérateurs économiques de premier plan au Maroc, BMCE Bank of Africa (BBOA) et l’Association marocaine des exportateurs (ASMEX) n’ont pas manqué de s’attaquer à la question, à l’occasion d’une rencontre organisée récemment à Casablanca.
Cet événement a été ainsi l’occasion pour des experts internationaux, des institutionnels et des acteurs du secteur financier de souligner que la blockchain, technologie des réseaux partagés ou distribués, présente un intérêt majeur pour les exportateurs marocains et leurs partenaires.
Une révolution annoncée
« La blockchain, une technologie de stockage et de constitution des informations fonctionnant sans organe centrale de contrôle, est appelée à révolutionner le monde comme l’a fait déjà le téléphone portable et Internet », a estimé, à cette occasion, le vice-président de l’ASMEX, Aziz Mantrach. Se demandant à quel point cette avancée concerne le Maroc, il a insisté sur le fait qu’il était capital de se pencher sur les conséquences potentielles de l’introduction de la blockchain. Va-t-elle amoindrir, ou au contraire creuser le fossé technologique entre pays développés et les autres ? Qui en profitera réellement ? Comment la règlementer ?
Relevant la difficulté de quantifier les gains générés par la blockchain, M. Mantrach a relevé que cette technologie permettra, par ses atouts de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement et d’élimination des cas de fraude, de reconquérir la confiance des consommateurs face aux produits importés.
De son côté, le directeur du centre d’intelligence économique de BMCE BOA, Mamoun Taheri Joutei, a indiqué que la blockchain, apparue en 2008 et restée confidentielle pendant des années, permet de remplacer les traditionnels tiers de confiance, ou plus exactement de les déplacer, voire dans certains cas de les rendre inutiles. D’après lui, la dématérialisation, la transparence, la traçabilité, la résilience, la vitesse, l’optimisation des coûts de transactions et la sécurité sont, entre autres, les multiples bénéfices de cette technologie.
M. Taheri Joutei, qui a mis l’accent sur le potentiel de la blockchain à casser les cloisonnements existant actuellement entre les nombreuses parties aux transactions commerciales transfrontières, a passé en revue les différentes activités « blockchainisables ».
Il s’agit, en effet, des métiers de tiers de confiance, du registre (objets, actifs, cadastre, diplômes, certifications, etc.), du transfert d’actifs, des smart contrats (programmes autonomes qui exécutent automatiquement les conditions et termes d’un contrat), des process administratifs (reporting, compliance, paiements des intérêts/dividendes, etc.), du transport et de la santé.
Le directeur du centre d’intelligence économique de BMCE BOA a, par ailleurs, noté que les coûts inhérents au traitement administratif des documents commerciaux représentaient environ 20% des coûts du fret maritime.
Dans ce contexte, a-t-il soutenu, les spécificités de la blockchain (transparence, confiance et sécurité) rendent cette technologie propice à l’optimisation des process et notamment l’amélioration de l’efficacité des échanges commerciaux.
Quels risques ?
M. Randeep Hamadi, VP de Blockshine, basée en Inde, a mis en avant l’une des problématiques majeures de la blockchain. Comme les opérations sont impossibles à annuler, et que tout changement doit être fait au niveau de l’ensemble des acteurs de la chaîne, tout doit être parfait au premier essai, et donc la technologie reste sous la menace de l’erreur humaine. Et si erreur il y a, la seule solution est de tout remettre à zéro (hard force).
De son côté, M. Jalal Benhayoun, DG de PortNet, a insisté sur le fait que la blockchain n’est pas une réponse à tout. Son atout premier étant l’établissement de la confiance entre les acteurs, « s’il n’y a pas de problèmes liés à l’identité des acteurs intervenants dans un processus, il n’y a pas d’intérêt à investir». La technologie est basée sur la distribution du stockage, donc elle signifie que les données d’un acteur sont transférées aux autres, n’étant protégées que par le cryptage, qui court toujours le risque d’être brisé. Enfin, si hacker une blockchain est pour l’instant impossible, car cela signifierait pirater en même temps 51% des postes sur le réseau, les avancées au niveau de la puissance de calcul des processeurs pourraient en faire une vraie menace dans les années à venir.
Mais la question et l’inquiétude premières que suscite la blockchain concerne sa capacité de désintermédiation. En effet, cela pourrait faire perdre tout intérêt à certains acteurs et certaines professions, et donc provoquer la perte de nombre d’emplois. Rappelons-nous toutefois que l’une des conclusions premières de la journée d’étude sur la blockchain récemment organisée par Bank Al-Maghrib, était que celle-ci allait faire disparaître les intermédiaires n’apportant pas de valeur ajoutée. Quand de nombreux secteurs souffrent de surcoûts supportés en majeure partie par les producteurs et les clients finaux, à cause de la prolifération des intermédiaires, est-ce vraiment un problème de les voir disparaître s’ils n’ont pas de vraie utilité ?
Enfin, rappelons-nous que toute avancée technologique apporte son lot de conséquences positives comme négatives, et peut rendre obsolètes des secteurs entiers. La fuir parce que l’on craint ces changements n’a jamais rien réglé, et crée un retard par rapport à d’autres acteurs, qui peut parfois se montrer fatal pour des opérateurs économiques.
Selim Benabdelkhalek