La récente publication d’un rapport de la Banque Mondiale, sous la responsabilité de l’économiste Jean-Pierre Chauffour, suivie de présentations publiques, a eu l’effet d’un énorme pavé dans la (petite) mare du Landerneau politico-administratif de notre pays. Plusieurs hauts responsables ont marqué leurs réticences et même leur rejet d’un rapport qui, il est bien vrai, n’est pas vraiment tendre par ses critiques, mais également plutôt dérangeant par les solutions qu’il préconise.
Est-il pour autant « révolutionnaire », tant au niveau des constats qu’il porte qu’à celui des moyens qu’il propose pour atteindre des objectifs clairement précisés ?
Des constats connus et reconnus
Sans vouloir être suffisant ou présomptueux, on dira que ce rapport, s’il brille par sa clarté, son exhaustivité, sa rigueur analytique et la profondeur des informations et données qu’il offre, ne représente pas vraiment une nouveauté pour une partie de la classe dirigeante, certains analystes et autres experts.
Les maux (multiples et profonds) dont souffrent l’économie et la société marocaine sont connus, les remèdes pour une guérison plus ou moins rapide et complète également.
Alors pourquoi un tel « barouf » ?
D’abord parce que le document en question est signé de la « prestigieuse » Banque Mondiale, qui avec le FMI , sont les deux « fées » qui se penchent sur le berceau du Royaume depuis la mise en œuvre du programme d’ajustement structurel, le PAS, il y a plus de trente ans !
Recevoir un document de cette nature qui, sous plusieurs aspects, s’apparente à une belle volée de bois vert, n’est donc pas du goût de nos responsables publics !
Ensuite parce que le gouvernement El Othmani, en fonction depuis quelques semaines, ne s’attendait certainement pas à une telle interpellation, aussi franche que publique, croyant peut-être qu’il aurait le temps de « voir venir » avec le délai des 100 jours, communément appelé «état de grâce ».
La Banque Mondiale a secoué le cocotier et les oiseaux qui y nichaient ont été obligés de sortir de leur torpeur…
Mais, après toutes ces observations, n’est-ce pas un fier service que l’institution de Washington rend au gouvernement et au pays en tirant, vigoureusement certes, la sonnette d’alarme ?
Peut-on, en effet, accepter qu’aujourd’hui, un Marocain sur deux âgé entre 25 et 35 ans se trouve, soit en situation d’emploi précaire, soit au chômage ?
Peut-on se satisfaire de la baisse de la productivité, de la bureaucratie administrative, de la situation de rentes qui profite à quelques milliers d’exploiteurs, de la souffrance sociale qui affecte des millions de foyers, de l’Education nationale qui a sombré corps et biens, de la Santé qui est moribonde, de l’investissement public qui ne produit pas assez de richesse, de la fiscalité trop lourde et, surtout inique, de l’absence de reddition des comptes, du machisme et du sexisme qui placent la Femme en marge de la gouvernance, des circuits économiques, de l’emploi ?
Réveillez-vous !
Nul besoin de lire en totalité ce rapport qui préconise « d’investir dans le capital immatériel afin d’accéder à l’émergence économique »…en 2040 ( !) pour comprendre que le principal objectif de la Banque Mondiale n’était pas de s’ériger en censeur critique du Royaume, mais plutôt de participer à une nécessaire prise de conscience des forces vives de la Nation dans l’optique de réformes profondes, sérieuses et, surtout, rapides ?
On considèrera donc ce rapport comme éminemment utile, nécessaire même.
Il pourrait, très facilement, servir de feuille de route à quiconque aurait à cœur l’amélioration de la situation économique et sociale dans notre pays où les avancées de la décennie précédente sont en train de fondre comme la neige sur les cimes de l’Atlas en ce mois de mai caniculaire !
On pourrait même suggérer à nos dirigeants des partis politiques de le prendre comme base de travail dans l’établissement de démarches programmatiques particulièrement pauvres actuellement…
A moins que ceux-là, comme d’autres avant eux, ne fassent l’impasse sur un rapport de portée cardinale, comme ils « zappèrent » allègrement les magnifiques conclusions du Rapport du Cinquantenaire !
En tout cas, les voies et moyens exposés dans ledit document pour atteindre les objectifs à l’horizon 2040, (l’espace d’une génération entière, pas moins !), ne sont ni impossibles à concrétiser, ni vraiment utopiques ou théoriques.
Cela parce que, tout simplement, ils sont basés sur l’élément humain, (seule véritable richesse d’une Nation), lui qui est l’élément constitutif principal de ce capital immatériel dont on entend tant parler et que personne ne voit vraiment tant il est virtuel !
C’est à ce niveau, celui des solutions difficiles et courageuses préconisées que le rapport de la Banque Mondiale est le plus productif, le plus intéressant, le plus utile également.
Il devrait donc intéresser au plus haut point nos responsables, guider leurs réflexions et actions, tant il est vrai que l’actuel gouvernement semble assoupi en cette veille de Ramadan, et joue déjà à la belle au bois dormant.
En guise de conclusion, on portera une appréciation positive de ce rapport avec quelques réticences sur la nature des réformes économiques suggérées par la Banque Mondiale.
En effet, s’il est particulièrement judicieux et bienvenu de réclamer la pleine application de la Constitution de juillet 2011 pour lancer la machine des réformes et constituer ce capital immatériel dont le pays a tant besoin, le parti-pris très fort en faveur d’une libéralisation et d’une ouverture encore plus grandes de l’économie marocaine, dans la droite ligne des convictions ultra-libérales des économistes de Washington, paraît moins positif.
En effet, M. Chauffour et ses collaborateurs, qui dénoncent la faiblesse de l’industrialisation de notre pays, ne craignent pas, dans le même temps, de recommander l’adoption rapide et entière de l’Accord de Libre-Échange Complet et Approfondi, ALECA, qui, pour le moins, affaiblirait sans doute encore plus nos capacités industrielles…
Fahd YATA