
M. Abdelatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, a comme à son habitude réuni la presse à la sortie du Conseil de BAM, pour exposer les conclusions de son dernier rapport et les décisions y afférentes.
Dans la continuité des projections du trimestre dernier, Bank Al Maghrib juge que « les progrès en matière de vaccination, le maintien des stimulus budgétaire et monétaire et la très bonne campagne agricole vont faire enregistrer à l’économie un rebond de 6,7% cette année, avec des hausses de 18,8% de la valeur ajoutée agricole et de 5,3% de celle des activités non agricoles », prévenant toutefois qu’« au cours des deux prochaines années, le rythme de l’activité restera largement tributaire de l’évolution de la situation sanitaire aux plans national et international et des restrictions que les autorités seraient amenées à mettre en place ». Les projections de croissance sont ainsi de 2,9% en 2022 et 3,4% en 2023. Côté politique monétaire, le Conseil a estimé que l’orientation reste largement accommodante, assurant les conditions de financement adéquates. Il a jugé « en particulier que le niveau actuel du taux directeur demeure approprié et a décidé ainsi de le maintenir inchangé à 1,5o% ».
On notera toutefois que le Conseil de Bank Al Maghrib a relevé « des hausses sensibles » de certains prix, liées aux cours sur les marchés internationaux, ce qui a provoqué « une nette accélération de la composante sous-jacente de l’inflation, qui est passée de 0,7% en moyenne au cours du premier semestre à 2% au troisième trimestre et à 3,3% en novembre. Elle devrait ressortir, selon les projections de Bank Al Maghrib, à 1,7% sur l’ensemble de cette année et se situer à 2,7% en 2022 avant de revenir à 1,8% en 2023 avec la dissipation prévue des pressions externes ». Et de préciser que « l’inflation devrait rester à des niveaux contenus, passant en moyenne de 0,7% en 2020 à 1,4% en 2021, à 2,1% en 2022, puis reculer à 1,4% en 2023″. Rien de trop inquiétant donc, selon le Wali.
Si les projections de BAM n’ont pas apporté de nouveautés particulières, c’est au niveau de certains grands chantiers de l’économie marocaine que les choses seraient (enfin) en train de bouger. La crise sanitaire s’est plus ou moins stabilisée (touchons du bois), le nouveau gouvernement est en place, et certains projets qui étaient à la traîne ces derniers mois reviennent sur la table, a assuré avec véhémence M. le Wali.
Flexibilisation sans précipitation
Parmi les sujets sur lesquels a été interrogé M. Jouahri, la flexibilisation du dirham était comme à l’habitude au rendez-vous, notamment suite aux derniers entretiens avec le FMI. Et sur ce point, le Wali a été ferme. Il a tout d’abord rappelé que le FMI a maintenu ses positions, et a déclaré que comme l’inflation reste maîtrisée malgré les pressions, et que les réserves en devises sont adéquates, le moment leur paraît favorable pour la 2ème étape. Mais, a averti le Wali, ce n’est plus l’élargissement de la bande dont il est question. Il s’agit en effet d’abandonner l’ancrage du dirham de 60/40 avec l’euro et le dollar. C’est la politique monétaire de la banque centrale qui sera le nouvel ancrage, et c’est un changement fondamental. C’est pourquoi BAM ressent « encore le besoin qu’il y ait une politique de sensibilisation, et même de formation, pour que les opérateurs soient préparés le mieux possible à cette deuxième étape, qui ne sera pas facile ». Et si « au niveau de la banque centrale, nous sommes prêts », le Wali juge que ce n’est pas le cas d’une grande partie des opérateurs économiques, notamment les TPME. De plus, « vous nous demandez de faire ça alors que nous sommes en pleine pandémie avec de fortes incertitudes, avec de nouveaux variants qui apparaissent », s’est-il exclamé, laissant clairement comprendre que cette deuxième étape ne sera enclenchée seulement que BAM jugera que la situation au Maroc et à l’international s’y prêtera.
Du neuf pour les créances en souffrance ?
Les créances en souffrance des banques ont augmenté de 7,9% et leur ratio à l’encours du crédit bancaire s’est établi à 8,7% au troisième trimestre de 2021, contre 8,6% au T2-2021, BAM, qui précise que ces créances se sont accrues de 7,3% pour les entreprises non financières privées et de 8,9% pour les ménages, avec des ratios à l’encours du crédit de 11,7% et de 9,9% respectivement.
C’est pourquoi le Wali a annoncé qu’une commission va être mise en place pour la création d’un marché secondaire des créances en souffrance, assurant que la Banque centrale est engagée activement pour pouvoir au cours de cette année sortir au grand jour ce marché secondaire. « Nous avons déjà travaillé sur ce qui doit être demandé, aussi bien sur le plan fiscal, que sur le plan juridique et des recouvrements. Nous avons aussi travaillé avec les banques », a-t-il fait savoir à ce sujet, soulevant que « le volume est assez valable pour animer ce marché secondaire ».
Le FMI estime que la Banque Centrale devra continuer à veiller à ce que les banques continuent de constituer des provisions pour créances douteuses, tout en accélérant, avec les autorités concernées, le lancement des réformes pour la création d’un marché secondaire des créances en souffrance. Le fonds note aussi que les autorités devraient parachever le projet de réforme légale visant à se doter d’un cadre plus solide en matière de résolution bancaire.
Revitaliser le programme Intelaka
Interpellé sur la forte proportion de rejet des dossiers Intelaka de la part des banques, M. Jouahri a insisté sur la nécessité d’établir une politique d’accompagnement pour les jeunes porteurs de projets afin de bénéficier du financement dans le cadre du programme. Et d’indiquer que les catégories auxquelles s’adresse le programme Intelaka vont devoir être accompagnées à même de préparer des dossiers bancables, notant que « l’idée du projet doit être soutenue par un dossier complet permettant à la banque de passer rapidement à l’accord au financement et non le rejet ».
Il a, dans ce sens, relevé que le taux de rejet au niveau des banques est supérieur au tiers, soulignant l’importance de ce chantier lancé en octobre 2019 et qui est voué à la promotion de l’entrepreneuriat et à l’inclusion financière. Le Wali de BAM a aussi mis en avant la nécessité de la coordination des Centres régionaux d’investissement (CRI) au niveau régional, faisant savoir que la Banque Centrale « va labeliser avec ces centres les partenaires qui peuvent apporter les contributions au niveau des demandeurs de crédits Intelaka ». L’objectif étant de trouver le cadre adéquat, à la fois complet mais simple, pour rendre les dossiers bancables et pour pouvoir accéder au financement, a-t-il expliqué à ce propos.
Plusieurs autres sujets ont fait l’objet de lancements d’enquête de la part de la Banque centrale, tels que le niveau record des transferts des MRE, ou encore les difficultés de certaines banques participatives. Le message principal de cette conférence étant de faire comprendre à la presse, et à travers elle au public, que BAM est bien consciente de ces problèmes, et qu’elle les traite activement pour faire progresser ces dossiers dans les meilleurs délais.
Selim Benabdelkhalek