L’internet des objets, ou I.O.T, est un marché mondial estimé à plusieurs centaines de milliards de dollars par les plus grands analystes. Ces derniers prédisent qu’absolument tous les objets du quotidien deviendront « intelligents ». Si les téléphones ont été les premiers à avoir bénéficié de l’appellation « Smart » (Smartphones), des dizaines d’objets intelligents suivent le même chemin : montres (smartwatch), bracelets, vêtements (smart t-shirt), ustensiles de cuisine (smartplate), réfrigérateurs (smart refrigerator), mirroir (smartmirror), la liste ne faisant qu’augmenter chaque jour…
La voiture, bien sûr, n’échappe pas à cette vague de « smartisation». Récemment, Google et Apple, deux acteurs leaders dans le domaine des technologies et de l’I.T, ont investi ce nouveau marché très juteux. En proposant d’intégrer leurs systèmes d’exploitation aux grands constructeurs, ils révolutionnent complètement la manière de penser l’industrie automobile traditionnelle.
Grâce à une tablette tactile fixée sur son tableau de bord et à une connexion internet permanente, la « Smartcar » est désormais beaucoup plus qu’un simple moyen de locomotion. Elle devient tout à la fois assistante à la navigation en ville (grâce à ses nombreux capteurs et au GPS), centre multimédia (applications de musique, médias utilitaires, etc.) et interface de communication (centres de dépannage, service SAV, etc.)
Au Maroc, un groupement 100% marocain appelé « Connected Car Alliance », fruit d’une alliance public/privé, n’a pas attendu pour créer, lui aussi, son propre écosystème pour les voitures circulant sur les routes marocaines. Innovant et totalement ouvert, il offre une incroyable opportunité pour les développeurs de créer des applications spécifiques au besoin des conducteurs marocains.
Quels sont donc les enjeux de ce secteur prometteur qui peut, potentiellement, générer des dizaines de milliers d’emplois ? Comment peut-il contribuer à positionner notre pays comme pionnier de la voiture connectée et même, pourquoi pas, comme leader régional?
Analyse dans cet article…
Un marché gigantesque
Le secteur de l’automobile emploie aujourd’hui, plus de 50 millions d’individus dans le monde. On estime à plus de 1 milliard le nombre de voitures en circulation et ce nombre devrait tripler d’ici à 2050. Sachant qu’un conducteur passe en moyenne 6,5 heures par semaine dans sa voiture, il est facile de comprendre pourquoi, en 2013, les 2 géants du numérique Google et Apple ont décidé de s’attaquer à ce marché. Ces derniers proposent désormais respectivement Android Auto et Carplay à tous les constructeurs automobiles.
Le marché de la voiture connectée représente aussi un fort potentiel de croissance pour les startups qui développent des applications dans ces systèmes d’exploitation. Les entreprises de marketing numérique y voient, elles, un nouveau vecteur puissant de communication.
Au total, on estime que d’ici à 2020, les revenus totaux provenant de la vente de services pour et au sein des véhicules connectés devraient atteindre 152 milliards de dollars!
Des acteurs marocains visionnaires
Au Maroc, le parc automobile est estimé à environ 3,5 millions de véhicules. Certains acteurs marocains du secteur ont compris tout l’intérêt de développer, eux aussi, un écosystème qui soit favorable au développement de la voiture connectée. C’est le cas de CFAO Motors (distributeur des marques Chevrolet et Opel) et de Magnav (fabriquant de hardwares et softwares dédiés à la voiture), les initiateurs de la « Morrocan Connected Car« .
Ces deux visionnaires savaient que les systèmes d’exploitation de Google et d’Apple n’étaient pas encore prêts pour le marché marocain et qu’il leur fallait un certain temps avant de pouvoir les intégrer dans les voitures marocaines importées. La plupart des applications importantes présentes dans ces systèmes ne sont effectivement pas encore disponibles ou utilisables au Maroc.
Sentant qu’il y avait une carte à jouer, ils font le pari de très tôt créer un écosystème autour de la voiture connectée qui soit spécifique au marché marocain.
En travaillant en synergie avec Maroc Numeric Cluster, une structure d’aide aux projets innovants fonctionnant à gouvernance mixte (Public/Privé) et Soft Centre (Centre de développement logiciel mis à disposition des opérateurs du secteur de l’Industrie des Technologies de l’Information), ils réussissent ainsi, en juin 2015, à présenter la première voiture connectée 100% marocaine!
Historique de création de la première « Smartcar »
C’est Hicham El Oufir, ancien DSI et désormais directeur de CFAO Motors Maroc, qui a eu l’idée de créer cet écosystème. C’est lui, qui, en premier, fait la démarche d’aller consulter tous les importateurs de postes de radio pour trouver un hardware qui pourrait faire fonctionner une plateforme connectée au Maroc.
La rencontre avec Omar Bencherki de Magnav sera une étape importante dans la création du hardware qui consiste en une tablette tactile installable dans n’importe quelle voiture. Ce brillant entrepreneur, lauréat d’un diplôme en business et management de l’Université d’Exter, a fondé une jeune startup qui a développé l’un des systèmes GPS les plus performants du Maroc.
Ensemble, ils décident de mettre en place un cahier des charges qui intègre les meilleurs composants de hardwares disponibles sur le marché mondial:
Une fois le kit d’installation prêt, ils contactent Soft center et Maroc Numeric Cluster pour qu’ils les aident à trouver des partenaires pour alimenter leur plateforme en applications.
Ces 2 structures ont justement pour mission de faire émerger les projets innovants à forte valeur ajoutée au Maroc.
Jamal Benhammou, directeur du Soft Center, a alors l’idée de créer une compétition étudiante autour de la voiture connectée. Il propose à Mr Benameur, directeur de l’I.N.P.T. de Rabat, de l’organiser au sein même de son établissement. Ce dernier se montre très vite intéressé de faire découvrir à ses étudiants cette innovation 100% marocaine et de donner à ces derniers l’occasion de développer leur esprit créatif et entrepreneurial.
Des compétitions et des conférences pour stimuler l’innovation et l’entrepreneuriat
Pour faciliter la création d’applications dédiées à la voiture connectée par les étudiants, les organisateurs font appel à Mehdi Alaoui, PDG de Screendy. Ce dernier a mis en place une plateforme révolutionnaire pour le développement facile et rapide d’applications mobiles.
Primée à de nombreux concours internationaux et déjà utilisée par plusieurs grandes entreprises (Microsoft, Nokia, Blackberry) et gouvernements (Dubaï), Screendy est aujourd’hui installée à la Silicon Valley.
La Moroccan ScreenDy Cup 2015 est le nom officiel attribué à cette première compétition étudiante de développement d’applications dédiées à la voiture connectée. Son coup d’envoi a été donné le 1er octobre 2015 puis présenté en grandes pompes la semaine dernière en présence de tous les intervenants (Soft center, Magnav, Maroc Numéric Cluster, Screendy et CFAO Motors) devant une centaine d’étudiants ingénieurs de l’I.N.P.T.
Cette compétition unique en son genre permettra de révéler le talent qui se cache derrière chaque étudiant marocain. Une énorme occasion leur est effectivement donnée pour montrer tout leur savoir-faire.
En plus de cette compétition, un autre grand rendez-vous, le Devoxx Morocco est à ne pas manquer pour tous les développeurs et codeurs en herbe.
Cette conférence, célèbre de part le monde pour sa capacité à réunir en quelques jours les plus grands ténors du monde de l’I.T. sera organisée pour la première fois au Maroc par Badr Houari qui en est le fondateur local. Ce dernier s’est déjà fait remarquer par l’organisation annuelle des conférences Jmaghreb.
Bien exploités, ces deux événements, à eux seuls, peuvent contribuer à l’émergence de startups innovantes, spécialisées dans le développement d’applications mobiles et cela, dans tous les domaines.
Les applications, nerf de la guerre des voitures connectées
Le fait d’avoir priorisé des étudiants au lieu d’entreprises marocaines pour développer des applications n’est pas anodin. La Connected Car Alliance croit plus au potentiel créatif des étudiants que celui des entreprises marocaines qui sont malheureusement encore trop réticentes à s’engager immédiatement dans ce créneau pourtant plein de potentiel.
Selon Hicham El Oufir, Directeur de CFAO Motors, ces applications qui viendront remplir au fur et à mesure la marketplace de la voiture connectée seront les principaux arguments de vente des constructeurs et distributeurs de voitures au Maroc.
Si aujourd’hui, seulement 50% des concessionnaires (CFAO Motors, SOPRIAM, Global Engines et Auto-Hall) ont fait le choix judicieux d’intégrer ce kit de voiture connectée dans leurs véhicules de séries, il est fort à parier que les autres suivront très rapidement.
La concurrence féroce qui existe entre les différents vendeurs stimulera alors encore plus le développement de ces applications qui se devront d’offrir un réel bénéfice pour les conducteurs.
Il existe d’ailleurs déjà une très forte communauté mondiale de développeurs appelée Automate qui donne les tendances sur les applications développés spécifiquement pour la voiture connectée. On y trouve des applications de toutes sortes: pour la maintenance, le service après vente, les conseils à la bonne conduite, les alertes utilitaires et même pour trouver une place de parking !
Les développeurs marocains pourraient donc s’en inspirer pour créer des applications spécialement adaptées au marché local.
Voici d’ailleurs quelques exemples d’applications déjà disponibles sur les modèles marocains des voitures Chevrolet et bientôt Opel :
« Wake Up Pilot » : application « made in morocco » développée par Anas Hmamouch (lauréat de l’INPT Rabat en 2015) en partenariat avec le Soft center. Elle permet de surveiller, via des capteurs internes, le niveau de fatigue du conducteur.
Magnav : Application GPS développée par MAGNAV. Cette appli permet d’avoir tous les services classiques de navigation par GPS et bien plus encore.
Anghami et Deezer : applications de streaming musical gratuites déjà disponibles sur mobile. La version voiture connectée présente l’avantage de gérer sa playlist directement de son volant sans toucher à son smartphone.
Mobicontrol : Application développé par le leader mondial de la mobilité SOTI. Elle permet de contrôler à distance toutes les fonctionnalités de la tablette. Les techniciens des concessionnaires peuvent par exemple, sur demande du conducteur, prendre contrôle du tableau de bord afin d’y réparer le moindre souci technique de la voiture. Elle peut aussi servir à prendre rendez-vous à distance avec le garage.
Mr. Said Mataich, DSI à l’Agence Nationale pour la Promotion de la PME, a, lui, proposé une idée d’application qui pourrait donner du travail à des milliers de mécaniciens marocains:
Celle-ci permettrait à n’importe quel conducteur de faire appel, en cas de panne de son véhicule, au service d’un mécanicien qui se trouverait à proximité grâce à une localisation GPS. Ce dernier ferait partie d’un groupe de techniciens indépendants spécialement formés et autorisés par les différents concessionnaires partenaires à réparer les voitures de leurs clients !
Cette application a l’avantage de « dépanner » les conducteurs mais surtout, du point de vue de l’Agence Nationale pour la Promotion de la PME, de professionnaliser le métier de mécanicien et de l’aider à sortir du secteur de l’informel qui touche nombre d’entre eux.
Une énorme opportunité pour le Maroc
La politique du gouvernement marocain visant à attirer les investissements étrangers et à développer un modèle d’automobile low cost, a remarquablement bien fonctionné. Elle a séduit à la fois par son prix et sa dimension pratique. Notre pays a ainsi pu rapidement se positionner en tant que champion africain de la construction automobile. Il n’y a qu’à voir son chiffre d’affaires de voitures exportées qui dépasse aujourd’hui celui des phosphates !
Mais les Marocains ne savent pas que fabriquer des voitures en assemblant des pièces. Ils sont aussi capables de produire de la vraie valeur ajoutée. Le développement de l’écosystème de la voiture connectée en est la preuve vivante. Cette plateforme représente aujourd’hui une très belle opportunité de montrer notre savoir-faire au monde entier.
Le marché de la voiture connectée est, en effet, encore naissant, même en occident. Il faudra un certain temps aux concurrents étrangers pour conquérir leur propre marché avant de s’attaquer à celui des pays émergents, comme le montre le tableau ci-dessous:
Contrairement aux systèmes fermés et payants de Google et Apple, l’écosystème marocain de la voiture connectée est lui, totalement ouvert et gratuit. Il permet en plus de développer rapidement des applications grâce à la superbe plateforme Screendy.
Si il arrive à mettre en place une marketplace remplie d’applications utiles pour les conducteurs, notre pays aura alors en sa possession un vrai moteur de développement pour générer de la croissance et de l’emploi.
Il pourra même envisager sérieusement de conquérir un marché africain encore vierge et couper ainsi l’herbe sous les pieds de ses concurrents en s’y installant en premier !
Conclusion
L’esprit d’innovation et entrepreneurial de nos développeurs marocains se devait d’être stimulé. C’est désormais chose faite avec la « Connected Car Alliance ». Cette « Dream Team de l’innovation » a mis en place un formidable écosystème et des outils ultra-performants pour laisser exprimer tout le potentiel créatif de ses incubés.
Absolument tous les acteurs et intervenants cités dans cet article se disent prêt à les accueillir et à les aider dans leur démarche de création d’applications innovantes.
L’objectif ultime étant de transformer définitivement leur « mindset » : de simples consommateurs, ils deviendraient ainsi de véritables producteurs de contenus technologiques générateurs de croissance et d’emplois pour notre pays.
A eux de jouer maintenant…
Omar Amrani.