L’agriculture contemporaine, intensive et chimique, constitue la principale manière de produire les denrées alimentaires distribuées et vendues dans le monde.
Ses effets néfastes sur l’environnement et la santé humaine (agriculteurs et consommateurs) menacent le fragile équilibre de notre planète et donc notre propre survie en tant qu’espèce !
Le monde rural, longtemps plébiscité pour sa qualité de vie et son environnement sain, est devenu, en fait, un véritable producteur de poison !
Heureusement, de nouvelles manières de produire des aliments plus sains en respectant l’environnement commencent à émerger et à s’imposer en remettant en cause l’agriculture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.
L’agriculture urbaine, technologique et innovante, présente énormément d’avantages et semble être une solution très intéressante pour un changement de paradigme dans notre manière de considérer la production de denrées alimentaires à l’échelle de la planète.
Comment est née l’agriculture urbaine ? quels sont ses avantages et ses inconvénients par rapport à l’agriculture rurale ? Cette nouvelle forme d’agriculture peut-elle résoudre les grands défis alimentaires qui nous attendent à l’horizon 2050 ?
(Quatrième et dernière partie )
Qu’en est-il au Maroc et dans les pays en voie de développement ? L’agriculture urbaine peut-elle s’adapter à notre économie ? Comment faire pour la déployer dans notre pays?
Redonner à l’agriculture toutes ses lettres de noblesse…
Avant d’apporter des éléments de réponse à toutes ces questions, je voudrais partager avec vous un paragraphe d’un de mes anciens articles qui portait sur l’agriculture robotisée :
« Au Maroc, l’agriculture est le premier employeur du pays. Cette activité génère environ 14 % de notre produit intérieur brut. Elle a donc un impact considérable sur notre économie. Malheureusement, notre agriculture reste encore trop dépendante de « la pluie et du beau temps .
L’intégration de la robotique dans l’agriculture doit donc se faire dans un cadre global qui gère intelligemment nos ressources en eau et en énergie tout en tenant compte des deux modèles d’exploitations agricoles qui cohabitent dans notre pays:
1) Des fermes ultra modernes de grandes tailles
2) Des fermes de subsistance de petite surface (moins de 5 ha), très peu productives et sous-équipées mais qui font vivre une grande partie de la population rurale. »
Ce passage nous rappelle que nous vivons dans un pays encore fortement ruralisé (40% de la population) et qu’il faudra donc tenir compte de cette réalité socio-économique si l’on veut développer l’agriculture urbaine.
Pour atteindre cet objectif, il faudra donc être capable de maintenir les populations rurales dans leur milieu en encourageant toutes les initiatives (associatives, étatiques, ONG, etc.) qui pourraient les aider à trouver des modèles durables et écologiques, adaptés à leur contexte :
- transformation en ferme biologique;
- permaculture;
- rejoindre un réseau de distribution coopérative;
- tourisme écologique;
- valorisation de produits non encore exploités;
- etc,
En pratiquant de tels modèles, les petits paysans et fermiers pourraient ainsi mieux tirer profit de leur terre et améliorer leur revenu.
Il faudra aussi résoudre le problème environnemental de l’agriculture rurale chimique qui concerne aussi bien les grandes que les petites structures et qui a un impact négatif direct sur toutes les populations qu’elles soient rurales ou citadines !
Ainsi, si l’on arrivait à redonner à l’agriculture rurale toutes ses « lettres de noblesse » qu’elle a perdu au cours du 20ème siècle, le phénomène d’exode rural serait stoppé et l’on pourrait même assister à un « retour à la terre » de la part des citadins désirant retrouver les plaisirs de la vie en campagne.
Plus de vert, plus de bonheur !
Cela est d’autant plus important et urgent quand on sait que la population urbaine au Maroc tend à se développer de plus en plus rapidement du fait de l’attractivité des villes en terme de qualité de vie et d’opportunité de travail.
En effet, certaines villes comme Casablanca, ont connu une telle affluence qu’elles commencent à avoir les mêmes problèmes que d’autres grandes villes de pays développés (pollution, embouteillages, logements de plus en plus chers, etc.) diminuant ainsi la qualité de vie et la cohabitation sociale (crimes, vols, manifestations, etc.).
L’incorporation d’espaces verts de manière planifiée (plan urbanistique) et/ou opportuniste (exploiter toutes les zones où l’on peut planter), permettrait de reconnecter la ville avec la nature contribuant ainsi à développer un sentiment de bien-être (qui semble être inné chez l’humain) chez toutes les personnes qui seront en contact avec cette dernière !
Planter des arbres, des fruits et des légumes en ville est aussi une manière d’améliorer la qualité de l’air et de réduire la pollution puisque les végétaux absorbent le CO2 et libèrent de l’oxygène !
En fait, de très nombreuses études ont déjà démontré que pour n’importe quel citadin dans le monde, côtoyer tous les jours un environnement vert et naturel a de très nombreuses vertus sur le court, moyen et long terme !
L’agriculture urbaine oui ! mais est-ce adapté aux réalités économiques du Maroc ?
Nous avons vu dans les 3 premiers articles de ce « mini-dossier analyse », que l’agriculture urbaine pouvait revêtir plusieurs formes. Chacune d’entre elles présentent plusieurs avantages et inconvénients :
L’agriculture potagère de petite surface
C’est la forme la plus économique car elle ne nécessite que très peu d’investissement. Il suffit d’avoir à sa disposition une terrasse de jardin, un balcon ou un toit (privée ou commune) et d’y planter des graines de fruits et légumes à cultiver.
L’exercice de pratiquer l’agriculture peut sembler une tâche compliquée pour les néophytes mais en vérité prendre soin d’un potager est très simple et peut rapidement devenir addictif pour peu que l’on s’y essaye !
D’autant plus que beaucoup de sites web, de blogs, d’applications et de formations pratiques sont aujourd’hui disponibles pour apprendre à cultiver facilement et efficacement !
A titre d’exemple, le blog de Mr Amar Boujemaa, un ingénieur agronome vivant à Casablanca, est un site très instructif et agréable à lire !
Des solutions originales comme le partage, la location ou le prêt d’espaces potagers existent aussi pour les personnes qui ne disposent pas d’espaces pour potager chez eux.
Pou ceux qui ne sont pas forcément toujours disponibles pour s’adonner à cette activité, un système de rotation communautaire (entre les membres d’une même famille ou d’une même communauté d’habitants d’immeubles) existe.
En plus de gérer les potagers en fonction du nombre de personnes disponibles, ce système permet aussi de renforcer les liens sociaux qui ont tendance à se perdre dans les villes !
La création de petites surfaces d’agriculture biologique solidaire dans les quartiers et douars est aussi une très bonne manière de développer l’agriculture urbaine dans les villes.
En effet, celle-ci peut contribuer à améliorer les conditions de vie de groupes vulnérables (pauvres urbains, femmes, jeunes au chômage, etc.), en facilitant leur accès à une nourriture saine et en améliorant et pérennisant leur revenus !
Des associations comme l’ARADD (Association de Recherche-Action pour le Développement Durable du Grand Casablanca) et Terre et Humanisme-Maroc, en partenariat avec le Ministère Fédéral de l’Education et de la Recherche allemand ont déjà mené des expériences très concluantes sur l’agriculture urbaine à Casablanca avec un plan d’action et 4 projets pilotes. Les conclusions de l’étude du projets sont consultables sur ce lien.
Avantages :
- Produit des aliments sains
- Renforce les liens sociaux
- Développe un sentiment de bien-être
- peut aider les populations en situation de précarité
Inconvénients :
- Nécessite une certaine organisation à mettre en place
- Ne produit pas suffisamment de denrées alimentaire pour nourrir toute une ville
L’agriculture en appartement !
De nombreux systèmes automatisés et de produits hig-tech permettent de cultiver certains fruits et légumes à l’intérieur même de son logement sans avoir forcément besoin d’expérience en matière de jardinage ou d’agriculture.
Encore plus facile à gérer qu’un potager en plein air, ces systèmes présentent aussi l’avantage de ne pas demander beaucoup de temps pour l’entretien des plantes et ne nécessite pas de manipuler obligatoirement des terreaux puisqu’ils sont, pour la plupart, en aéroponie ou en hydroponie !
Voici une vidéo explicative du fonctionnement de l’un d’entre eux, le AeroGarden:
La demande de la part des consommateurs est réelle et de plus en plus de projets sur kickstarter se développent dans ce sens.
L’ingénieux système Grove, basé sur un circuit fermé utilisant les déjections de poissons comme engrais pour faire pousser les légumes, est un autre exemple qui illustre bien cette tendance :
Des tutoriaux pour fabriquer son propre système hydroponique sont même disponibles un peu partout sur internet. Ces systèmes deviennent de plus en plus populaire car ils restent abordables financièrement et permettent de manger sainement directement chez soi !
Avantages :
- Produit des aliments sains directement dans son appartement
- Facile et pratique à utiliser
- économique
Inconvénients :
- Ne permet pas de produire n’importe quel fruit et légume
- Ne produit pas suffisamment de denrées alimentaire pour nourrir toute une famille
Les fermes verticales
Les solutions présentées précédemment sont plutôt faciles à implémenter. Ellles ne permettent malheureusement pas de régler la problématique de l’autosuffisance alimentaire.
Les fermes verticales peuvent alors présenter une alternative sérieuse. Il existe, comme nous l’avons vu dans les articles précédents, deux modèles selon qu celles-ci utilisent de la lumière naturelle (soleil) ou artificielle (LED).
Au Maroc, nous bénéficions de températures chaudes et d’ensoleillement naturel en très grande quantité pendant une bonne partie de l’année.
Ce sont donc plutôt les fermes verticales ouvertes qui devraient être privilégiées au détriment de celles en serre éclairées en LED.
Les coûts énergétiques élevés liés à l’éclairage et au chauffage devraient donc pouvoir être économisés, ce qui est un atout considérable quand on sait que l’énergie est l’un des facteurs qui augmentent le plus le coût de production de ces systèmes.
Mais avant de les voir apparaître dans le paysage citadin marocain, les fermes verticales doivent relever un défi important, celui du financement.
En effet, les fermes verticales nécessitent, nous l’avons vu, de très lourds investissements. De plus, il n’existe malheureusement pas encore suffisamment de données au Maroc pour calculer la rentabilité potentielle pour les investisseurs.
Plusieurs paramètres doivent être étudiés comme :
- le prix d’acquisition du foncier, les coûts de production (selon qu’ils incluent ou non la production d’énergie à partir de sources renouvelables);
- les économies faites sur le transport (par rapport aux filières agro-alimentaires existantes qui se basent sur une importation de régions éloignées);
- les coûts d’opportunité liés à la possibilité de cultiver des variétés de fruits et légumes (les circuits courts des fermes urbaines permettent de remettre en culture des variétés fragiles qui ne supportaient pas le transport long).
- etc.
Selon Wikipedia, il existe aussi des projets de fermes verticales à bas coûts qui commencent à apparaitre dans les pays en voie de développement comme le Burkina Faso, où un projet de tour maraîchère de 400 m2 basé sur le système Courtirey va être réalisé dans la ville de Toussiana.
Avantages :
- Produit en grande quantité des aliments sains
- Pas besoin de grandes surfaces grâce à une productivité exceptionnelle
- Très faible empreinte écologique
- Améliore l’environnement citadin de manière globale
- Crée de nouveaux emplois
- Etc. (les avantages sont très nombreux)
Inconvénients :
- Nécessite de lourds investissements
- Besoin d’une main d’œuvre hautement qualifiée
- Travail de sensibilisation nécessaire au préalable et à tous les niveaux
Quel que soit le modèle retenu pour le Maroc, il faudra de toute façon penser le projet d’agriculture urbaine dans sa globalité.
Comment faire pour déployer efficacement l’agriculture urbaine au Maroc ?
Les pays pionniers (Etats-Unis, Japon, Singapour, Canada, etc.) dans le domaine de l’agriculture urbaine ont tous un point commun: leurs gouvernements et leur société civile ont tous les deux contribué activement à la faire connaitre et à la mettre en place !
Pour que l’agriculture urbaine arrive chez nous aussi, notre gouvernement doit se saisir de ce nouveau concept, le comprendre dans sa globalité et l’encourager à tous les niveaux pour tirer profit de ses nombreux avantages !
Il pourrait par exemple commencer par considérer l’agriculture urbaine comme faisant partie intégrante de sa Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) !
Il pourrait aussi soutenir toutes les initiatives, qu’elles soient citoyennes ou privées, qui contribuerait à l’implémenter chez nous.
Ce n’est donc qu’en ayant une stratégie nationale volontariste que l’on pourra donner une véritable impulsion à cette nouvelle forme d’agriculture !
Les ingénieurs agronomes, les architectes et les associations pour la préservation de l’environnement seraient intéressés à la pratiquer s’ils étaient sensibilisés aux bienfaits de celle-ci.
Les investisseurs, eux, auront besoin d’incitations financières (ex : avantages fiscaux) et d’avantages substantiels (ex : octroiement de terrains à prix préférentiels) pour se risquer à pénétrer ce marché encore très nouveau et incertain (la productivité est certes au rendez-vous mais la rentabilité reste encore à prouver selon le mode de financement).
Il faudra donc effectuer, à tous les niveaux, un très gros travail de sensibilisation et de formation pour que ce concept soit compris et assimilé par toutes les composantes de la société !
L’agriculture biologique, saine et durable, qu’elle soit pratiquée de manière traditionnelle ou en utilisant les dernières technologies, possède de très nombreux avantages aussi bien pour la ville que pour le monde rural.
L’agriculture urbaine permet d’introduire cette forme d’agriculture dans les villes. Cette nouvelle façon de produire les aliments localement a le potentiel de radicalement transformer notre manière de vivre et de consommer.
Les villes pourraient devenir plus belles (plus de verdure), l’air serait plus sain à respirer (moins de CO² et plus de O²), la qualité des aliments serait assurée (sans pesticides ni OGM) et de nombreuses personnes dans la précarité pourraient en bénéficier !
Les autorités marocaines des différents ministères et départements concernés devront travailler ensemble pour repenser totalement notre modèle agricole actuel afin de le transformer intelligemment en un système qui soit productif, écologique et durable !
Ils devront, pour cela, utiliser toutes les synergies qui existent entre ville et campagne, entre architecture et agriculture, entre acteurs économiques privés et publiques, entre citoyens et élus, etc.) pour fédérer l’ensemble de la population et contribuer activement à sa mise en place !
Construire un système qui soit beau, efficient en ressources énergétiques et utile pour ses habitants demandera en effet que chacun prenne ses responsabilités et fasse véritablement sa promotion pour espérer le voir, demain, se réaliser dans notre société…
Omar Amrani.
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