Crédit photo : Ahmed Boussarhane.
Mme Amina Sougrati est juge près le Tribunal Administratif de Casablanca et occupe la charge de Présidente de l’Union des Femmes Juges du Maroc. A l’occasion de notre spécial 8 mars, elle a bien boulu répondre à nos questions.
La Nouvelle Tribune : Pouvez-vous d’abord vous présenter à nos lecteurs ?
Mme Amina Sougrati : Je suis juge près le Tribunal Administratif de Casablanca. En même temps, je suis chargée de mission auprès du Commissaire Royal de la Loi et du Droit. Une institution qui constitue l’un des piliers importants de la justice administrative. Car c’est bel et bien le commissaire royal qui supervise les lois, et oriente le corps magistral au sujet d’un certain nombre d’affaires intentées devant les tribunaux administratifs.
Mais en plus d’exercer la magistrature, je poursuis toujours mes études supérieures et j’apprends les langues. Ainsi, je viens de décrocher un Master en sciences administratives et droit administratif. Je viens aussi d’obtenir ma licence en langue anglaise. J’ai aussi étudié la langue espagnole. Actuellement, je suis étudiante en Doctorat, section Droits de l’Homme. Et en 2010, j’ai obtenu en Suède un diplôme en Droits de l’Homme.
Vous êtes également Présidente de l’Union des Femmes Juges du Maroc. Pouvez-vous en parler ?
Effectivement, je suis Présidente de l’Union des Femmes Juges du Maroc qui est une association nationale, et en même temps une section de l’Organisation Mondiale des Femmes Juges basée à Washington. Et c’est en 2016, à l’occasion du congrès mondial des femmes juges tenu à Washington que la section marocaine a été validée, la seule d’ailleurs dans le monde arabe.
Il est aussi important de souligner que cette association a été constituée grâce à la Constitution de 2011 qui a offert au corps des magistrats le droit de créer des associations professionnelles judiciaires. Car avant cette date, nous n’avions pas le droit de créer des associations. Pour ce qui est de notre association, elle s’assigne comme principaux objectifs, la souveraineté de la loi, la promotion de la culture des Droits de l’Homme, l’accès de la femme à la Justice et d’une façon générale, la féminisation de la magistrature.
Concrètement, menez-vous des actions dans ce sens ?
Nous avons organisé des sessions de formation au profit des juges, hommes et femmes, au sujet du mariage des mineurs, au point que les participants ont été convaincus de la dangerosité et la complexité de ce phénomène. Aussi bien des juges exerçant dans les tribunaux du Maroc profond que ceux dans les grandes villes, la conviction est unanime. Et à l’issue de ces sessions de formation, des recommandations ont été émises pour traiter convenablement cette problématique très sensible. Car il est important de rappeler que la loi marocaine permet au juge de procéder au mariage d’une mineure si certaines conditions sont remplies.
On travaille aussi en partenariat avec Transparency Maroc sur une autre thématique que je qualifie de première au Maroc, à savoir la corruption sexuelle ou l’exploitation sexuelle que les femmes en situation de besoin de travail, ou de tel ou tel document administratif, subissent de la part de décideurs, publics ou privés.
On travaille aussi sur un autre sujet et non des moindres, à savoir le trafic humain.
Au Vatican, j’ai été invitée par le Pape, dans le cadre des 50 femmes juges à influence de par le monde, pour débattre de cette problématique au Maroc.
Et si l’on manque de données fiables sur cette question, j’ai constaté que les femmes subsahariennes candidates à l’immigration clandestine, vivent un calvaire.
Je pense que ces femmes sont doublement victimes : d’une part de la misère dans leurs pays et d’autre part des bandes criminelles spécialisées dans le trafic humain. Car il est important de souligner que nombre de ces femmes ont été obligées de tomber enceinte pour bénéficier de la pitié des ONG et faciliter leur passage.
C’est pour cette raison, je pense, qu’il faut un traitement spécial de ces femmes dans les commissariats de police. Outre toutes ces actions, on ne cesse de se mobiliser pour la mise en place de l’article 19 de la Constitution et la défense des droits des femmes juges au Maroc.
Quel est votre propre constat de la présence de la femme marocaine dans l’appareil judiciaire du Royaume ?
Il est à rappeler d’abord que cette présence date de 1961. Mais à l’époque, surtout entre cette date et 1979, les mentalités n’étaient pas aussi développées et matures, ce qui n’avait pas permis une avancée notoire.
Durant les années 80, notamment avec l’ouverture du Maroc sur le monde et la révision des Constitutions, la magistrature commença à s’ouvrir aux femmes. Aujourd’hui, on représente environ le tiers, soit plus de 1 000 femmes juges sur un ensemble de 4 000 juges marocains.
Un acquis loin d’être négligeable, mais dans les coulisses des tribunaux, on constate la dominance de la culture machiste, notamment pour ce qui est de la répartition des missions. Ainsi, et sans minimiser les procès à caractère civil, commercial, ou de la famille, il est rare de voir des affaires criminelles confiées à des femmes juges. Là et au niveau de la hiérarchie, on sous-estime souvent la compétence des femmes juges par rapport à la nature délicate de certains dossiers.
Qu’en est-il de la culture des droits de l’homme dans les tribunaux marocains ?
Il faut souligner d’abord que la personnalité du juge diffère d’un magistrat à l’autre. Certains juges croient aux droits de l’homme, mais d’autres non. L’exemple le plus frappant est le jugement du tribunal de première instance de Tanger, qui a reconnu la paternité d’une fille née d’une relation hors mariage. Mais en Appel, le juge a rejeté le jugement de première instance. Ce qui veut dire qu’au sein des tribunaux, les mentalités et les convictions diffèrent. Un constat reflétant parfaitement l’esprit de la Constitution marocaine qui, à la fois, reconnaît la culture des droits de l’homme, mais à condition que celle-ci ne contredise pas la particularité marocaine. Dans tous les cas, je pense que le Maroc, par rapport à beaucoup de pays, est sur la bonne voie pour tout ce qui concerne les droits des femmes, à qui je souhaite un bon 8 mars.
Propos recueillis par
Hassan Zaatit