Photo d'archives du journaliste algérien Khaled Drareni, aujourd'hui emprisonné, porté par des manifestants après avoir été brièvement détenu par les forces de sécurité à Alger, le 6 mars 2020 © AFP/Archives RYAD KRAMDI
Le journaliste indépendant algérien Khaled Drareni, en détention provisoire depuis fin mars, a été condamné lundi à trois ans de prison ferme à l’issue d’un procès qui était considéré comme un test pour la liberté d’information et d’expression en Algérie.
« C’est un verdict très lourd (…). On est surpris. Le dossier est vide », a déclaré à l’AFP Me Nouredine Benissad, un avocat du collectif de défense, qui a l’intention de faire appel.
Khaled Drareni était poursuivi à la suite de sa couverture le 7 mars à Alger d’une manifestation du « Hirak », le soulèvement populaire qui a secoué l’Algérie pendant plus d’un an jusqu’à sa suspension il y a quelques mois en raison de la pandémie de Covid-19.
Le 3 août, le procureur avait requis quatre années de prison ferme contre ce directeur du site d’information en ligne Casbah Tribune, également correspondant en Algérie pour la chaîne de télévision francophone TV5 Monde et pour l’ONG Reporters sans frontières (RSF).
La sentence très sévère a choqué ses collègues à Alger et suscité de vives protestations des défenseurs des droits de la presse et de la protection des journalistes.
Elle « soulève le coeur et l’esprit par son caractère arbitraire, absurde et violent », a tweeté le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, fustigeant une « justice aux ordres » et une « persécution judiciaire ».
Dans un communiqué, Amnesty International a dénoncé un « travesti de justice » et un « affront flagrant » aux droits humains.
Interrogé, le ministère français des Affaires étrangères a réitéré « l’attachement » de Paris « à la liberté de la presse, à la sécurité des journalistes et de tous ceux dont l’expression concourt au débat public, partout dans le monde ».
– « Droit d’informer » –
Incarcéré depuis le 29 mars à Kolea, près d’Alger, Khaled Drareni était accusé « d’incitation à attroupement non armé » et « d’atteinte à l’unité nationale ».
Sa couverture du « Hirak » « relève du travail de journaliste », et ces poursuites sont « infondées », a estimé Me Benissad, également président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme (LADDH).
Sous le coup des mêmes chefs d’accusation, les deux coaccusés de Khaled Drareni, Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, deux figures du « Hirak », ont eux écopé chacun de deux ans de prison, dont quatre mois ferme.
Ayant déjà purgé la durée de leur peine en détention, ils ne retourneront pas en prison.
Lors de son procès par visioconférence, au cours duquel il est apparu amaigri, Khaled Drareni, 40 ans, avait rejeté les accusations. Il avait assuré n’avoir fait que son « travail en tant que journaliste indépendant », et exercé « son droit d’informer ».
Au cours de l’audience, il lui a été reproché d’avoir critiqué sur Facebook le système politique et d’avoir publié le communiqué d’une coalition de partis politiques en faveur d’une grève générale, selon RSF.
– « La reddition ou la prison » –
Les appels à libérer le journaliste se sont multipliés ces dernières semaines.
« Les autorités algériennes doivent relâcher immédiatement et sans condition Khaled Drareni, d’autant qu’il n’existe aucune preuve qu’il ait fait autre chose que son métier », a plaidé dans un communiqué le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), ONG basée aux Etats-Unis.
S’il « n’est pas libéré et relaxé dans les prochaines semaines, nous nous emploierons à faire savoir à l’opinion publique la réalité de la répression en Algérie et à mobiliser les organisations internationales et les gouvernements », avait averti RSF avant le verdict.
« On a peur pour la liberté d’expression avec ce genre de verdict. Khaled Drareni n’a pas commis le moindre délit », a affirmé à l’AFP Me Mustapha Bouchachi, avocat et militant des droits humains.
La justice algérienne a multiplié ces derniers mois les poursuites judiciaires et les condamnations de militants du « Hirak », d’opposants politiques, de journalistes et de blogueurs.
Certains journalistes ont été accusés par le régime de semer la discorde, de menacer l’intérêt national et surtout d’être à la solde de « parties étrangères ». Plusieurs sont en prison et des procès sont en cours.
Pour Neila Latrous, ex-correspondante de chaînes de télévision françaises en Algérie, actuellement rédactrice en chef à l’hebdomadaire Jeune Afrique pour le monde arabe, la condamnation de M. Drareni est « un message envoyé à l’ensemble de la profession: la reddition ou la prison ».
L’Algérie figure à la 146e place (sur 180) du classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF. Elle a perdu 27 places en cinq ans.
LNT avec Afp