L'ancien Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia, le 2 février 2019 à Alger © AFP/Archives RYAD KRAMDI
Limogé en mars pour tenter d’apaiser l’imposant mouvement de contestation du régime, l’ancien Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia a été entendu mardi environ cinq heures par le Parquet d’Alger dans des dossiers de « dilapidation de fonds publics ».
M. Ouyahia, quatre fois Premier ministre depuis 1995, dont trois fois sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika poussé par la rue à la démission le 2 avril, a quitté dans l’après-midi le tribunal de Sidi M’hamed, dans le centre d’Alger, sans faire de déclaration, a constaté un journaliste de l’AFP.
Il s’est engouffré dans une voiture qui a quitté les lieux en trombe sous les cris de manifestants hurlant « voleur! ». Il n’était pas possible dans l’immédiat de savoir s’il a été inculpé et s’il fait ou non l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire.
Rassemblés depuis le milieu de la matinée devant le tribunal, plusieurs dizaines de manifestants ont appelé à « emmener Ouyahia à (la prison de) El Harrach », où sont incarcérés cinq hommes d’affaires, placés en détention provisoire depuis début avril par la justice algérienne.
« Ils doivent tous partir, ils doivent tous rendre des comptes », pouvait-on lire sur des pancartes brandies par des manifestants. De très nombreux policiers, en tenue anti-émeutes, sont déployés autour du tribunal.
Selon un bandeau défilant de la télévision publique, M. Ouyahia a comparu « devant le Procureur de la République (…) dans des affaires de dilapidation de fonds publics et avantages indus ».
La veille, l’actuel ministre des Finances Mohamed Loukal, gouverneur de la Banque centrale entre 2016 et sa nomination fin mars au gouvernement, a été entendu au même tribunal, dont il est ressorti, lui aussi sans qu’il soit possible de savoir s’il a ou non été inculpé et s’il était placé sous contrôle judiciaire.
La justice avait annoncé le 20 avril avoir convoqué MM. Ouyahia et Loukal, sans préciser si elle souhaitait les entendre comme témoins ou suspects, ni sur quels faits portent les dossiers.
Depuis le départ du pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika sous la pression d’un mouvement inédit de contestation, la justice a indiqué avoir ouvert une série d’enquêtes sur des faits de corruption visant plusieurs puissants hommes d’affaires et hauts responsables de l’Etat.
Ali Haddad, PDG du 1er groupe de BTP privé et ancien patron des patrons, proche de l’entourage du clan Bouteflika et symbole de ces relations entre affairistes et dirigeants algériens a été arrêté début avril à un poste-frontière avec la Tunisie et incarcéré.
– Manifestations étudiantes –
Trois frères de l’influente famille Kouninef, propriétaire d’un autre géant privé des travaux publics en Algérie, ont eux été placés en détention préventive le 24 avril dans un dossier de « trafic d’influence ».
Ces quatre hommes d’affaires sont réputés très liés à Saïd Bouteflika, frère et « conseiller spécial » d’Abdelaziz Bouteflika quand il était président.
La justice a également récemment placé en détention provisoire le PDG de Cevital, premier groupe privé et premier employeur privé d’Algérie, Issad Rebrab, première fortune du pays, qui était lui en conflit ouvert depuis plusieurs années avec le clan entourant M. Bouteflika.
Le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, a appelé courant avril la justice à « accélérer la cadence » dans les enquêtes sur des faits de corruption liés à l’ancien régime, suscitant la méfiance des contestataires sur les motifs réels de ces enquêtes.
Dans une note publiée vendredi, le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) voit dans l’actuelle campagne anticorruption un moyen pour le régime d’essayer de « diviser » le mouvement de contestation, tout en « réglant des comptes internes ».
Les manifestants, qui réclament toujours le départ de l’ensemble du « système » au pouvoir, dénoncent depuis le début de la contestation le 22 février les liens troubles entre la présidence Bouteflika et les « oligarques », hommes d’affaires ayant fait fortune grâce à d’énormes contrats publics.
Mardi, des milliers d’étudiants défilent dans le centre d’Alger, devant la Grande Poste, bâtiment devenu le point zéro des manifestations algéroises, et dans plusieurs villes d’Algérie. Des étudiants défilent dans plusieurs autres villes d’Algérie.
Ils sont quelques milliers dans les rues de Tizi-Ouzou, en Kabylie, selon un journaliste local. Le site d’information Tout sur l’Algérie (TSA) fait état aussi de manifestations étudiantes à Constantine, 3e ville du pays, Béjaia et Bouira, également dans la région de Kabylie.
LNT avec Afp