Alors qu’il rentre de New York ce jeudi, M. Saad Eddine El Othmani, chef du gouvernement, mesure parfaitement la difficulté et les enjeux de la tâche qui l’attend dès son retour à Rabat.
En effet, au lendemain de l’audience royale intervenue samedi dernier, deux mois environ après le discours du Trône, on comprend bien que désormais le temps presse et que le Chef du gouvernement devra sortir de son chapeau de magicien, une liste de ministrables répondant aux recommandations royales, mais également celle de hauts commis de l’État fringants et compétents.
Vaste programme certes, mais qui, il faut le dire, ne passionne pas particulièrement les citoyens, hormis sans doute ceux qui figurent parmi les nominés et qui attendent confirmation ou infirmation de leur candidature.
Par contre, ce qui paraît le plus intéressant, c’est l’environnement politique de cette échéance, toute proche parce que le nouveau gouvernement devra être en place à l’ouverture de la session parlementaire d’octobre qui marque par un discours royal le début de l’année législative.
Tous égaux devant la Loi
Car, dans l’entretemps de l’été finissant, alors que les préoccupations étaient centrées sur la rentrée scolaire et sa cohorte de frais, la Cour des Comptes « est sortie du bois » avec plusieurs rapports qui ont fait grand bruit.
Non par leur contenu, somme toute convenu et conforme à ses prérogatives, mais par l’objet ou plutôt les objets de ces quêtes et enquêtes, essentiellement dirigées vers des départements ministériels placés sous l’autorité de M. Aziz Akhannouch, lequel aujourd’hui, est incontestablement la personnalité la plus en vue du Landerneau politicien national.
Pourtant, par leur contenu donc, les constats établis par la Cour des Comptes, pointant des défaillances, des dysfonctionnements, des lacunes ou des retards, cette salve de publications n’avait rien d’exceptionnel.
M. Jettou et ses juges n’ont relevé ni gabegie, ni détournement, ni incompétence avérée, ni faillite des départements et institutions soumis à leurs inspections.
Et, au demeurant, les réponses des mis en cause ont eu pour effet de ramener les choses à leurs justes proportions notamment parce que le bilan du Ministère de l’Agriculture au niveau de tous ses départements n’est certainement pas le plus mauvais du gouvernement, loin s’en faut.
Mais, ce qui a interpellé les observateurs et, sans doute, une bonne partie de la classe politique, c’est la systématisation de la démarche inquisitrice de la Cour des Comptes, dont le spectre d’action a touché tout à la fois le ministère dirigé par Aziz Akhannouch, le Plan Halieutis, celui dédié à l’Agriculture, Maroc Vert, l’ONSSA, etc.
Comme s’il s’agissait d’une remise à plat par la Cour de toutes les prérogatives et champs d’action de l’actuel ministre et leader du RNI.
Comme si ces rapports étaient la matérialisation d’une opération politique menée contre Aziz Akhannouch, en prélude à une éventuelle disgrâce…
De cette conjoncture, certains en ont profité pour exhaler leur ressentiment tandis que d’autres, en mal de sensationnel, utilisaient une terminologie météorologique pour tacler le ministre en question, à la recherche de tirages en hausse plutôt que d’analyse responsable.
Mais, à l’examen serein et dépassionné de cet épisode, certes inédit, plusieurs constats doivent être faits.
Le premier énonce que la Cour des Comptes est dans ses attributions lorsqu’elle s’intéresse aux différentes émanations de l’État et aux hommes qui les dirigent.
Tous les responsables publics sont donc sujets et objets des enquêtes de la haute juridiction dirigée par un homme à la probité et la réputation exemplaires.
Et, au contraire, s’il apparaissait aux yeux des citoyens que l’on pouvait « tabasser » le ministère de la Santé ou celui de l’Habitat sans toucher à la Pêche, tous en concluraient que des « intouchables » siégeaient au gouvernement, aux côtés d’autres, taillables et corvéables à merci.
Premier constat donc, la même règle vaut pour tous et la Cour des Comptes est dans son rôle, partant du fait, également, que les réponses apportées à ses critiques ont largement désamorcé la portée des reproches et réduit l’ampleur de l’estocade infligée aux départements de M. Aziz Akhannouch.
Incontournable !
Le second constat, conséquent au premier, s’intéresse à la suite de ces rapports au regard de l’actualité politique et de son futur.
Quels seraient les objectifs cachés de ces rapports qui, s’il y en avait, signifieraient que M. Jettou et ses juges travaillent pour « compte d’autrui » ?
Aujourd’hui, à quelques jours de la formation d’un gouvernement El Othmani 2, doit-on penser que M. Aziz Akhannouch fait l’objet d’une campagne savamment orchestrée et destinée, sinon à le détruire, du moins à le déstabiliser ?
En toute lucidité, cette hypothèse paraît aussi inconcevable qu’incongrue parce qu’irréaliste sinon irréalisable.
On rappellera, en effet, qu’Aziz Akhannouch a été porté à la tête du RNI au lendemain d’une lourde défaite de ce parti aux élections législatives précédentes alors que Salaheddine Mezouar en assumait la direction.
Depuis cette date, c’est-à-dire la mi-octobre 2016, à aujourd’hui, l’homme d’affaires s’est transformé progressivement en homme et leader politique, ne ménageant ni sa peine, ni ses moyens personnels, pour faire de sa formation, un parti moderne et dynamique, pilier essentiel d’un arc politique moderniste et patriote, destiné à contrer les forces conservatrices et rétrogrades qui dominent depuis 2011 la scène politique nationale.
L’option PAM s’étant délitée aussi vite qu’un morceau de beurre sur une plaque chauffante, le RNI, version 2019, est la seule force capable de représenter une alternative électorale crédible face au PJD.
Et s’il fallait évincer Akhannouch, il s’agirait là d’un cadeau inespéré, non pour M. El Othmani, (quoique…), mais pour Abdelilah Benkirane et sa fraction, impatients de prendre leur revanche et de revenir aux affaires.
Non, telle n’est pas l’option choisie !
L’affaire des rapports de la Cour des Comptes a servi à prouver la prééminence des institutions sur celle des hommes, mais aussi à démontrer que c’est un département ministériel stratégique, aux multiples engagements et aux milliers de fonctionnaires qui a attiré l’intérêt de ladite Cour, non celui qui est à sa tête.
Les qualités et compétences d’un seul homme, aussi fortes soient-elles, n’empêchent pas qu’à un niveau ou un autre de la chaîne de commandement, des imperfections ou des dysfonctionnements se fassent jour.
La Cour des Comptes le relève, les ministères répondent…
Et, lorsque les choses sont vraiment graves, les services de M. Jettou transmettent les dossiers à la Justice.
In fine, il n’y a pas « d’affaire Akhannouch », n’en déplaise à certains.
A chacun d’assumer les responsabilités qui lui sont confiées, de travailler dur et en toute bonne foi et nulle activité humaine n’est à l’abri de la critique.
« La caravane passe, les chiens aboient », mais les constantes et les objectifs stratégiques demeurent…
Fahd YATA