La Galerie 38 présente, pour la première fois au Maroc, une exposition personnelle d’œuvres inédites d’Abdoulaye Konaté. Originaire du Mali, Abdoulaye Konaté est une figure emblématique de la scène artistique contemporaine. Après la peinture à l’huile, l’acrylique, l’aquarelle, Abdoulaye Konaté va être attiré par le textile. Il créera ainsi, à partir du bazin, des oeuvres imposantes (il faut compter entre 2 et 6 mois pour réaliser une oeuvre), originales, avec une volonté de pousser toujours plus loin l’exploration et la recherche pour aboutir à des créations sublimes. Abdoulaye Konaté vit et travaille à Bamako, mais l’aura de son oeuvre dépasse les frontières. L’originalité, la qualité plastique et poétique de ses créations lui vaudront plusieurs distinctions.
Grand prix Léopold Senghor de l’édition 1996 de la Biennale de Dakar, Abdoulaye Konaté est un artiste mondialement reconnu. Ses œuvres font partie des collections de grandes institutions comme le Musée Smithsonian à Washington DC, le Metropolitan Museum de New York ou encore le Stedelijk Museum à Amsterdam. Ses travaux ont été présentés à plusieurs biennales. Il est Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France et en 2009, il devient Officier de l’Ordre National du Mali. L’artiste a accepté de répondre à nos questions. Pour découvrir ses œuvres, rendez-vous à la Galerie 38 du 16 mars au 16 avril 2017.
La Nouvelle Tribune : Lorsque l’on regarde vos oeuvres, on est impressionné par la nature des matériaux, des couleurs et de la dimension. Pouvez-vous nous parler de la matière qui fait l’essence de vos créations ?
Abdoulaye Konaté : L’ensemble des oeuvres que vous voyez ont été réalisées pour la présente exposition dans le cadre d’une coopération avec la galerie 38. Intitulé « L’étoffe des songes », ce projet a duré plusieurs mois. Il a été réalisé en collaboration avec des artisans et créateurs de Fès. C’est une série inédite élaborée en dialogue entre le bazin, le textile marocain et les artisans de Fès.
D’où vient cet intérêt pour le textile ?
J’ai eu une formation académique d’abord à Bamako et ensuite à Cuba. Donc, à mes débuts, j’ai travaillé sur la peinture d’huile, sur l’acrylique, l’aquarelle, avant de me consacrer exclusivement au textile. C’est un processus. Dans les années 90, j’ai commencé à travailler sur les grandes dimensions, et au fur et à mesure, je me suis aperçu que tous les matériaux de l’expression artistique, ce sont d’abord des couleurs, et toutes ces couleurs on les retrouve dans le textile. Au Mali, nous avons la chance d’avoir du bazin. C’est vrai qu’il est fabriqué en Allemagne, en Autriche, en Hollande… mais il est beaucoup travaillé par les femmes pour les tenues traditionnelles de fêtes. Et c’est donc à partir du bazin que je réalise toutes mes oeuvres. Des fois, je le mélange à d’autres tissus. C’est le cas pour le projet de Fès (brocard, broderie…). J’essaie ensuite de faire une synthèse au niveau de la composition des couleurs, etc.
Dans cette orientation vers le textile, peut-on parler d’un cheminement ?
Oui, dans le sens où j’ai fait une formation académique, j’ai appris le b.a.-ba de l’art plastique ainsi que tout ce qui va avec… Au début, j’ai commencé par de l’art plastique classique, et au fil de mes réflexions, j’ai essayé d’aller au-delà de ce que j’ai appris, pour voir ce que je pouvais apporter à la création, quelle était la plus-value de mon travail artistique. Donc, j’ai essayé de créer à partir de nouvelles formes artistiques, où ma principale source d’inspiration était nos traditions africaines. Car je me suis aperçu que nos traditions africaines ne sont pas enseignées dans les écoles d’art en Europe. Hélas, dans nos pays, on ne rend pas compte de ce déficit, car même chez nous, cette culture n’est pas enseignée dans les écoles. Donc, toute ma réflexion est de dire que nous avons tout pour créer, que tous les continents ont créé à partir de leur environnement.
Est-ce une manière de promouvoir la culture africaine, de lui rendre ses lettres de noblesse ?
Absolument. L’Afrique dispose de ressources, d’un patrimoine culturel extraordinaire que nous devons préserver. Nous n’avons rien à envier aux occidentaux, nous avons fait les mêmes écoles, nous sommes égaux sur le plan intellectuel, mais les circonstances ont fait qu’ils sont économiquement plus riches. Sur le plan culturel, chacun a quelque à apporter. Nous artistes africains, on peut parfaitement s’inspirer de l’universel, mais utiliser des matériaux et des canaux qui renvoient à notre culture.
Dites-nous un mot sur cette collaboration avec les artisans de Fès, que vous qualifiez de dialogue entre les tissus et les créateurs.
J’avoue que j’étais très surpris de la qualité et de la richesse dans certains ateliers. C’est là que j’ai compris qu’il fallait absolument faire quelque chose avec les textiles, la broderie à la main. Pour moi, c’est ça le cheminement, c’est à dire qu’à partir du visuel on sent la qualité, la dextérité, et la finesse qui est derrière. Hélas, dans les pays où on dispose encore d’une telle précision et d’une telle richesse dans la création, on ne se rend pas compte de sa valeur. Nous sommes toujours attirés par ce qui vient de l’extérieur et on dénigre nos richesses.
Quelle est la raison, selon vous, derrière ce dénigrement ?
Les occidentaux font beaucoup de campagnes de communication sur la qualité de leurs productions. Partant, nous Africains, on a l’impression que notre travail est inexistant. Or, c’est contre cela qu’il faut se battre. Donc, si on veut rendre ses lettres de noblesse à création artistique africaine, j’entends les artistes qui vivent en Afrique, il faut se concentrer sur nos propres richesses, sur nos traditions et notre culture pour en sortir des choses extraordinaires. Cela ne sert à rien de parler du passé, pour dire nous étions ceci ou cela, mais il faut agir maintenant, dans le moment présent, autrement on risque de disparaître. Les médias, les réseaux de communication, ont une grande influence sur nos jeunes. A partir de l’image que l’Occident leur renvoie, ils ont l’impression que nous ne sommes pas à la hauteur. Donc, toute ma réflexion, ma recherche artistique, est de dire que nous sommes aussi capables de créer, à partir de belles choses dont nous disposons dans nos pays et notre culture. Cette qualité qu’on trouve dans les autres continents existe également chez nous, il suffit juste de la chercher, de la travailler, pour mettre en avant sa plus-value.
Votre passage à Cuba a-t-il eu une influence sur vos oeuvres ?
En effet, après l’Académie des Beaux-Arts de Bamako, j’ai fait 7 ans à l’Ecole des Beaux-Arts à la Havane. C’est sûr qu’une formation laisse toujours des traces sur la vie et la carrière des gens. Il y a toujours une influence directe ou indirecte sur notre travail. Mais, c’est difficile de dire ce vient du Mali, de Cuba ou du Maroc… le plus important c’est de digérer ce qu’on apprend et le transformer, de manière subtile et intelligente en création artistique.