On pourrait les appeler les sans A. Sans Abri, sans Amour, sans Argent, sans Activité… on les croise tous les jours, nous font parfois peur, parfois attisent notre compassion, mais sont surtout souvent ignorées tandis que nous continuons notre chemin, tant elles font désormais partie du décor de nos rues et artères. Et quand bien même on voudrait les aider, on se sent impuissant face à un phénomène qui nous dépasse. Ce sont les personnes qui vivent dans la rue, les SDF, appelés communément Chamkaras. Exclus (pas de papier administratif, pas de livret de famille, pas de scolarité, pas de travail…), ils vivent au ban de la société.
Si les raisons sont multiples, l’environnement socio-économique, particulièrement lié à une rupture de la cellule familiale, serait l’une des principales causes derrière cet état de choses. L’absence de la mère, du père ou des deux parents perturbe sévèrement le cours de la vie d’un enfant.
Les enfants abandonnés, nés sous x, représentent, il est vrai, un bon pourcentage de cette population, mais ils ne sont pas les seuls, nous dit-on au SamuSocial de Casablanca. Ainsi, on peut croiser des profils «surprenants» de SDF, même si cela reste des cas isolés (un journaliste, un lycéen de Lyautey, un commerçant…). Depuis quelques années, le SamuSocial essaie de tendre la main à cette population vulnérable en vue de l’aider à sortir de la précarité.
Détresse
Premier maillon de la chaîne de solidarité, le SamuSocial est un service d’aide mobile d’urgence sociale. Membre d’une fédération internationale présente dans 16 pays, le SamuSocial de Casablanca s’est assigné comme mission de sauver «les victimes de la rue». Une tâche ardue, tant les défis sont énormes et le phénomène complexe. Plus qu’un remède à long terme, le travail du Samu se décline comme une bouée de sauvetage. «Il s’agit d’aborder ces personnes dans l’urgence et permettre d’installer des dispositifs plus durables (en vue d’une réinsertion et un développement personnel)», explique Dr Wafaa Bahous, directrice du Samusocial. La rue, le service d’accueil, et le service social sont les trois champs d’intervention du Samu. Chaque soir de 21h à 4h du matin, ses équipes, composées d’un chauffeur, d’un travailleur social et d’un infirmier, effectuent des «maraudes» dans tout Casablanca. Les sans-abri sans d’abord repérés, le contact est ensuite établi, sur le site de squat, et ensuite une aide est proposée. «La réponse est individualisée. Selon les besoins, la prise en charge va être médicale et/ou psychosociale. Les repas et les soins que l’on propose sur le site sont un moyen pour établir le contact et la mise en confiance», explique Dr Bahous.
Une fois le contact établi, les équipes essaient de convaincre le SDF de se rendre au siège du SAMU, en vue de bénéficier des services du centre d’accueil de jour. Les populations en question ont droit à un service d’hygiène (douche, vêtements neufs, coiffeur), un service médical (assuré par trois médecins et un addictologue) et enfin un service restauration (des tickets repas de Riad Al Amal). Les femmes et les enfants en situation urgente sont accueillies dans le centre d’hébergement d’une capacité de 32 lits. Au début limitée à 3 jours, la durée du séjour a été prolongée à deux semaines « Or, la procédure pour une enfant qui doit être placé dans les orphelinats ou dans les centres de protection peut prendre parfois jusqu’à 3 mois», déclare la directrice.
En outre, les bénéficiaires du SAMU ont accès aux prestations du RAMED (sans disposer de la carte car ils n’ont pas de papier administratif pour ce faire) à condition d’être accompagnés d’un travailleur social.
Le service social, 3ème champ d’intervention du SAMU, consiste à accompagner les victimes sur les plans administratif, juridique et social (médiation avec la famille). Sur ce plan, la directrice se réjouit des cas d’insertion socio-économique réalisés avec brio grâce à l’implication de ses équipes.
Charité irréfléchie
Mais, ces exploits restent hélas limités face à l’ampleur du phénomène. Souvent, après de grands efforts et lorsqu’on est prêt du but, les enfants fuguent, et préfèrent rester dans la rue, malgré tous les dangers. «Quand on arrive à la sur-adaptation paradoxale, il devient difficile de les réintégrer», explique Dr Bahous, qui s’inquiète de l’évolution du phénomène, qui touche de plus en plus de filles. « Depuis 2006, nous sommes passés de 2% des filles à 18% avec une spécificité fille-mère», dixit la directrice du SAMU. Et de poursuivre : « Aujourd’hui, nous avons des bébés addicts. Les spécialistes sont déboussolés devant ce phénomène ».
L’autre difficulté à laquelle se trouve confrontée la structure, est le manque de coordination entre les différents acteurs de l’action sociale. « Chacun à son niveau fait un travail extraordinaire, mais tant qu’il n’y a pas une coordination entre les différents départements et institutions concernées, c’est une déperdition d’énergie. Il importe aujourd’hui de coordonner ces actions pour capitaliser les réalisations.»
L’autre grande difficulté, selon Wafaa Bahous, est incontestablement la charité que les Marocains offrent de manière «irréfléchie». « Tant que ces gens-là reçoivent de l’argent dans la rue, ils vont y rester. Ils ne songeront jamais à faire le moindre effort pour s’en sortir. Nous sommes tous responsables de cette situation», lance Dr Bahous. Selon cette dernière, les Marocains doivent prendre conscience du rôle qu’ils jouent pour perpétuer ce phénomène. «Il faut arrêter l’argent dans la rue. Il y a d’autres moyens pour aider» martèle-t-elle. Les réseaux sociaux n’arrangent pas les choses non plus, selon la spécialiste. Des gens donnent sans savoir pour qui et pourquoi. Il faut savoir que sur près de 2000 personnes recensées par les équipes du SAMU, 90% sont des personnes parfaitement actives, et seules 10% sont des personnes âgées. Plus de 60 naissances de mères célibataires et environ 215 enfants ont été accueillis chaque année depuis l’ouverture du Samusocial.
C’est dire l’amplitude du phénomène. Ce sont des jeunes gens qui procréent, qui donnent naissance à des enfants dans la rue, et la chaîne continuent de s’étendre. Le bout du tunnel semble bien loin…
Leila Ouazry