Le retour du Maroc au sein de sa famille institutionnelle continentale, l’Union Africaine, ne saurait être perçu comme une seule démarche politico-diplomatique destinée uniquement à conforter la souveraineté légitime du Royaume sur nos provinces du Sud.
En effet, dans le discours prononcé par le Roi Mohammed VI le 31 janvier dernier à Addis-Abeba, au siège de l’UA, le Souverain a bien pris soin de mentionner, dans la première partie de son allocution, la portée africaine de ce retour, citant en exemple, le projet de gazoduc Maroc-Nigéria, dont les premières études techniques sont déjà lancées.
Car la vision stratégique royale s’exprime d’abord par la volonté proclamée de donner au Maroc une place centrale dans un projet de dimension continentale, celui du développement économique, créateur de richesses et de bien-être social pour tous les peuples africains. Et le gazoduc est certainement l’illustration la plus prégnante de cette volonté et de cette stratégie.
Géostratégie, géopolitique, géographie…
Comme chacun le sait, le Nigéria est l’un des pays les plus peuplés du continent, doté de richesses naturelles importantes, comme le gaz et le pétrole. Mais il a certainement des « pieds d’argile », comme sa densité démographique, une certaine insécurité dans la zone du Delta, qui nuit à ses exportations d’hydrocarbures, outre la présence d’un groupe terroriste actif dans le Nord du pays, Boko Haram.
Etat fédéral, le Nigéria a fortement pâti depuis quelques années, de la baisse drastique des cours mondiaux du pétrole alors que ses besoins alimentaires ne sont pas satisfaits par une production agricole locale insuffisante.
Pourtant, avec 90 % des recettes de la production gazière africaine et 30 % des réserves continentales, il s’affirme comme un acteur incontournable sur le plan de la distribution mondiale de gaz, une ressource stratégique et structurante à la fois.
Et c’est cet atout que le Maroc, conscient de la situation et de la position respective des principaux acteurs africains, mais aussi de la demande adressée aux producteurs mondiaux de gaz, a voulu mettre en valeur au profit du Nigéria d’abord, du partenariat entre Lagos et Rabat ensuite, à l’avantage de plusieurs pays qui accueilleraient le tracé de ce gazoduc transafricain, enfin.
Lorsque le Royaume a fait cette proposition de Gazoduc au Nigéria, énoncée par le Roi Mohammed VI au président Buhari en marge des travaux de la COP 22 à Marrakech en novembre 2016, il n’était pas sans savoir que l’Algérie voisine avait lancé, en 2002, un projet de gazoduc avec ce pays africain longtemps considéré comme un « ami privilégié d’Alger ».
Mais, ce projet, en vérité, n’était jamais vraiment sorti des tiroirs des ingénieurs de la Sonatrach et encore moins des maroquins des ministres algériens de l’Energie, surtout occupés à se remplir les poches comme le prouvent plusieurs scandales retentissants intervenus au cours des dernières décennies, (affaires Abdeslem Belaïd, Chekib Khellil, etc.).
La proposition marocaine était d’autant plus intéressante que les responsables nigérians n’ignoraient pas l’incapacité algérienne de tenir la promesse faite en 2002, notamment parce qu’aujourd’hui l’Algérie est elle-même fortement affectée par la chute de sa rente pétrolière et l’assèchement de ses réserves financières.
D’ailleurs, indicateur intéressant de cette « course » au rapprochement avec Lagos, au lendemain même de l’annonce du projet de gazoduc Maroc-Nigéria, Alger s’empressa d’annoncer officiellement la relance du projet de 2002, sans pour autant convaincre le Président Buhari de renoncer à son nouveau partenariat avec Rabat.
Pain béni pour l’Europe !
Concrètement, le partenariat maroco-nigérian ouvre la voie à l’alimentation en énergie des pays traversés par le futur gazoduc, d’une longueur estimée entre 4.000 et 6 000 kilomètres, selon les différents tracés retenus.
Il s’agit essentiellement des Etats africains de la côte ouest alors que le Nigéria, à la faveur, d’un pipeline géré par la West African Gas Pipeline Company Limited (WAPCo), assure déjà le transport du gaz naturel vers les marchés du Bénin, du Togo et du Ghana.
Le projet viserait donc à étendre ce pipeline jusqu’au Maroc en traversant notamment la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée Conakry, la Guinée Bissau, la Gambie, le Sénégal et la Mauritanie.
Premier du genre, ce projet gigantesque entre le Golfe de Guinée et le Maroc pourra à terme relier également l’Europe, ce gros consommateur des hydrocarbures.
En effet, c’est là l’un des objectifs principaux des promoteurs du projet, celui de relativiser la dépendance des pays occidentaux européens à fois envers le gaz russe distribué par Gazprom et le gaz algérien de la Sonatrach.
L’Europe occidentale cherche à diversifier ses sources actuelles d’approvisionnement parce qu’elle sait que le géant Gazprom n’est rien d’autre qu’une arme redoutable entre les mains de M. Vladimir Poutine et de la politique extérieure russe, alors que la Sonatrach, aux mains des apparatchiks d’Alger, pourrait faire les frais de la féroce lutte pour le pouvoir lors de la succession (prochaine ? imminente ?), du Président Abdelaziz Bouteflika.
Pour l’Afrique et les Africains
Mais, au-delà de ses aspects géostratégiques, le Gazoduc Africain Atlantique sera d’abord et avant tout une réalisation structurante pour les pays du tracé et leurs populations.
En effet, si des « experts », occidentaux notamment, se plaisent à gloser sur le coût financier du gazoduc transafricain, jugé très onéreux, mais également sur la multiplicité des sources d’approvisionnement pour l’Europe, (ce qui en réduirait l’intérêt), on doit considérer que la principale dimension de ce projet de gazoduc est occulté par ces « spécialistes »…
Celle-ci n’est autre que le développement économique et social des régions et pays traversés par le futur gazoduc, l’accès à une ressource stratégique à des coûts non prohibitifs et la possibilité de fédérer les pays de la région ouest africaine autour d’un projet commun.
Cat tel est le véritable enjeu du gazoduc Nigéria-Maroc, dont l’importance dépasse très largement les aspects financier stricto sensu.
D’ailleurs, son financement, évalué à plusieurs milliards de dollars à ce stade, serait assuré par des levées de fonds à l’international, l’engagement des grandes institutions financières régionales et mondiales, outre les contributions des opérateurs intéressés par l’exploitation et le transport du gaz.
Pour le Nigéria en effet, le gazoduc garantira des rentrées stables et pérennes pour le développement de son économie et des besoins de son peuple en améliorant grandement ses capacités de production et de distribution.
Pour les Etats sur le parcours du Gazoduc, outre des royalties conséquentes versées par le transporteur et la possibilité de prélever une partie du gaz acheminé, il s’agira de permettre à des coûts attractifs l’électrification de toutes les zones traversées, alors qu’aujourd’hui l’absence de réseaux électriques est l’une des lacunes majeures de ces pays, obérant gravement tous leurs efforts de développement !
Enfin, grâce à cette initiative du Roi Mohammed VI, l’Afrique, et notamment sa partie occidentale, entrera vraiment dans une ère de coopération et d’intégration intra-africaines, ce qui jusque-là et à quelques exceptions près, n’est resté qu’au stade des vœux pieux en ce qui concerne les projets véritablement structurants !