Les temps changent et certains combats du passé semblent aujourd’hui désuets. Le droit de grève par exemple, n’est pas un petit acquis de l’humanité. Cela ne fait qu’à peine un ou deux siècles que petit à petit ce droit s’est invité dans le vocabulaire d’abord de quelques pays puis du reste du monde.
C’est grâce à la grève, qu’il faut entendre comme le sacrifice d’une poignée pour le bien de tous les autres, que tous les droits des travailleurs ont été arrachés, durement. C’est même grâce à la grève que les nouvelles générations peuvent s’offrir le luxe de redéfinir leur rapport au travail avec des exigences à l’embauche dignes des princesses Disney en comparaison avec les conditions qu’ont connu et enduré leurs ainés.
Le droit de grève est aussi assimilé au syndicalisme qui est lui-même indissociable d’abord du communisme puis du socialisme. Pas besoin de faire un dessin pour comprendre que le déclin des idéologies de gauche a entrainé irrémédiablement celui des forces de gauche et du peuple de gauche. Ceux qui représentaient les travailleurs sont moins nombreux, moins suivis, moins influents, moins représentatifs et moins légitimes aussi. Que reste-t-il ? La brutalité de la réalité économique et sociale, conjoncturelle parfois, structurelle souvent, de certaines professions, ou de certaines catégories de travailleurs. Et, comme l’ordre public a toujours été la seule réelle limite à l’exercice de ce droit, le risque est que les acquis soient rognés lorsque certaines limites sont atteintes dans la mobilisation, même par les causes les plus légitimes.
Au Maroc, le dialogue social est bien institutionnalisé, les syndicats des travailleurs et du patronat collaborent avec le gouvernement, les sujets sont nombreux et le 1er mai continu d’être célébré. Pour autant, on aime à dire régulièrement que la « cocotte-minute sociale » est en surchauffe. Et, désormais les revendications ne sont pas forcément portées par ceux qui le faisaient auparavant, ni de la même manière. Les mouvements de grève récents dans le secteur de l’éducation et celui de la santé ont été des réels bras de fer qui ont épuisé coup sur coup tous les recours des autorités sensés habituellement faire baisser la pression.
Coïncidence ou conséquence, la nouvelle loi sur le droit de grève proposée par le Gouvernement et qui a été adoptée par la Chambre des conseillers, vient faire le ménage sans ménagement. Par exemple, mesure phare du nouveau texte, le préavis de grève y est érigé en prérequis incontournable, ôtant de fait le caractère spontané et donc disruptif par essence de certains mouvements de grève. C’est du même ordre que de demander aux enfants de prévenir leurs parents avant de faire des bêtises pour qu’ils aient le temps de les convaincre de ne pas les faire ou de s’organiser pour en minimiser l’impact.
Alors certes, l’intention est louable. Le Gouvernement qui œuvre pour le bien du plus grand nombre, présente un texte qui favorise le dialogue autant que possible pour éviter des situations de blocage qui peuvent affecter les citoyens marocains, l’activité économique et les abus dans l’usage de la grève. Mais, avec à la clé aussi un peu plus de sanctions, histoire de bien faire réfléchir à deux fois les têtes brulées qui seraient tenter de se lancer dans une démarche de grève jusqu’au-boutiste.
Le texte qui est en conformité avec les engagements internationaux du Maroc pour le respect des droits des travailleurs, illustre la recherche d’un équilibre entre la protection des libertés individuelles et la sauvegarde de l’intérêt général. D’autant que le pays fait face à des échéances internationales majeures et qu’il faut garantir une certaine stabilité de l’activité économique, ce qui est antinomique avec le principe de grèves de grandes ampleurs et/ou intempestives.
Mais, et c’est peut-être un biais cognitif ou une séquelle du passé, réformer le droit de grève en en contraignant l’exercice, même pour des raisons légitimes, affaiblit inexorablement et irrémédiablement la position des travailleurs et ceux qui les défendent. En somme, le ver est dans la pomme et l’Internationale n’est pas prête d’être le genre humain.
Zouhair Yata