Discours de Mme Nadia Fettah, Ministre de l'Économie et des Finances à l'AFIS 2024
Le Maroc ne prétend pas à être le « centre » de l’Afrique, mais aspire à être au « cœur » de chacun de ses citoyens, en partageant une ambition commune : bâtir un continent prospère, juste et durable
Dans le cadre de l’Africa Financial Summit (AFIS) 2024, organisé à Casablanca, S.E Mme Nadia Fettah, Ministre de l’Économie et des Finances du Royaume du Maroc, a prononcé un discours dans lequel elle développe une vision claire et ambitieuse, et souligne les piliers fondamentaux pour bâtir un système financier africain robuste et inclusif, au service du développement durable.
Voici le texte intégral du discours :
« Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Bienvenue à Casablanca, là où l’histoire et l’avenir de l’Afrique se croisent, pour cette édition de l’Africa Financial Summit 2024 . Cette métropole dynamique, carrefour historique entre l’Afrique, l’Europe et le monde arabe, a toujours été un lieu de rencontres et de décisions stratégiques pour le continent.
Permettez-moi, avant toute chose, de rendre un hommage particulier à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu l’Assiste, dont la vision panafricaine inspire chaque action entreprise par le Royaume.
Sous le leadership de Sa Majesté Le Roi, Que Dieu l’Assiste, le Maroc ne prétend pas à être le « centre » de l’Afrique, mais aspire à être au « cœur » de chacun de ses citoyens, en partageant une ambition commune : bâtir un continent prospère, juste et durable. Dans ce contexte, la finance joue bien entendu un rôle incontournable.
La tenue de ce sommet ici, et la présence de plus d’un millier de participants venus des quatre coins de l’Afrique et du monde, témoignent de cette dynamique collective et de notre engagement profond envers un avenir meilleur pour notre continent.
Plus encore, votre présence et votre engagement reflètent parfaitement l’esprit de l’AFIS : transformer nos institutions financières pour mieux servir les aspirations de nos populations.
Pour atteindre ces objectifs, nous devons donc penser comme des matériaux composites, combinant souplesse et solidité. Souplesse, pour laisser circuler les flux économiques, financiers et humains qui dynamisent nos économies. Solidité, pour bâtir des bases robustes et résilientes face aux défis économiques et géopolitiques.
C’est dans cet esprit que je voudrais très rapidement balayer trois thèmes fondamentaux aujourd’hui :
- La fluidité, qui vise à améliorer la circulation des capitaux, à les orienter vers des usages stratégiques et à les rendre accessibles à tous.
- La solidité, qui concerne les fondations de notre système financier : régulation, gouvernance et résilience macroéconomique.
- La libération des énergies, en mobilisant des financements innovants pour répondre aux défis cruciaux de la transition écologique et de l’inclusion sociale.
Ces thèmes ne sont pas isolés, mais s’entrelacent pour définir une vision cohérente de l’avenir financier de l’Afrique, un avenir où la finance devient un levier puissant au service du développement durable.
La Fluidité : Une condition essentielle pour la transformation économique et financière de l’Afrique
Dans le paysage économique mondial, la fluidité des capitaux est le socle sur lequel reposent l’innovation, la croissance et la prospérité. En Afrique, où les besoins de financement pour les infrastructures, la transition écologique et l’inclusion sociale dépassent les 1 200 milliards de dollars d’ici 2030, la circulation efficace des capitaux devient une nécessité stratégique. Pourtant, le continent fait face à des obstacles structurels, réglementaires et technologiques qui freinent cette dynamique essentielle.
L’Afrique, avec ses 54 pays aux régulations et devises variées, reste un espace économique fragmenté. Cette réalité complique la libre circulation des capitaux et se traduit par des défis majeurs. Malgré des initiatives prometteuses comme le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), conçu pour faciliter les paiements transfrontaliers, environ 80 % des transactions intra-africaines passent encore par des devises étrangères, augmentant ainsi les coûts et les délais. À cela s’ajoute le coût prohibitif des transferts d’argent : envoyer 200 dollars en Afrique subsaharienne coûte en moyenne 8 %, selon la Banque mondiale, contre 6 % à l’échelle mondiale. Ce fardeau freine les échanges économiques et réduit l’impact des envois de fonds de la diaspora, qui représentent tout de même 95 milliards de dollars en 2022.
Face à ces défis, plusieurs solutions émergent pour améliorer la fluidité des capitaux. Le PAPSS, soutenu par la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), permet désormais des paiements transfrontaliers en devises locales, promettant une économie annuelle de 5 milliards de dollars. Parallèlement, les fintechs africaines, à l’instar de Flutterwave, M-Pesa et Chipper Cash, redéfinissent l’accès aux services financiers en connectant des millions de personnes, y compris dans les zones rurales. Ce marché, en pleine expansion, devrait croître de 20 % par an et atteindre 40 milliards de dollars d’ici 2025.
Cependant, ces avancées ne suffisent pas à surmonter les défis liés à la faiblesse des infrastructures numériques et à l’hétérogénéité des régulations. Près de 50 % de la population africaine n’a pas accès à Internet, freinant l’adoption des solutions numériques. En outre, les investisseurs internationaux, influencés par des perceptions de risque élevées, continuent de se détourner de l’Afrique. En 2023, le continent n’a attiré que 3 % des investissements mondiaux en infrastructures, un chiffre insuffisant pour répondre à ses besoins.
Pour transformer ces contraintes en opportunités, des initiatives intégrées sont nécessaires. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en simplifiant les cadres réglementaires et en promouvant les échanges intra-africains, joue un rôle clé dans la réduction des barrières. De plus, l’adoption des monnaies numériques de banques centrales (MNBC), déjà explorée par des pays comme le Nigeria, peut accélérer les paiements transfrontaliers tout en favorisant l’inclusion financière.
Toutefois, la fluidité des capitaux ne se limite pas à des aspects techniques. Elle est un levier stratégique pour transformer les économies africaines. En améliorant l’accès au financement pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui représentent 90 % des entreprises africaines, elle stimule la croissance et l’emploi. Elle est également essentielle pour orienter les capitaux vers des projets d’énergie renouvelable et d’infrastructures durables, nécessaires à une transition écologique réussie.
Pour que cette vision devienne réalité, l’Afrique doit conjuguer investissements dans les infrastructures numériques, harmonisation des cadres réglementaires et adoption d’outils innovants. Cela passe par un engagement collectif à construire un écosystème intégré où les capitaux circulent efficacement, soutenant ainsi une croissance équitable et durable pour tout le continent. La fluidité est bien plus qu’une exigence technique : elle est la clé d’un avenir où chaque transaction, chaque innovation et chaque opportunité atteignent leur plein potentiel.
Mesdames, Messieurs,
Si la fluidité des capitaux est un levier indispensable pour accélérer l’intégration économique africaine, elle ne peut à elle seule garantir un système financier durable. Pour que cette circulation soit efficace et bénéfique, elle doit s’appuyer sur des bases solides. La solidité représente la fondation sur laquelle repose toute économie résiliente : une régulation rigoureuse, des équilibres macroéconomiques maîtrisés et une gouvernance exemplaire.
L’Afrique, dans sa quête de transformation économique, doit renforcer la robustesse de ses institutions financières pour attirer la confiance des investisseurs tout en garantissant la stabilité à long terme.
La solidité d’un système financier repose sur sa capacité à absorber les chocs, à inspirer confiance et à soutenir une croissance équilibrée. En Afrique, où les économies sont souvent vulnérables aux fluctuations des prix des matières premières, à l’instabilité géopolitique et à une dette croissante, bâtir une base solide est une priorité stratégique.
L’un des principaux défis est la régulation. Bien que de nombreux pays africains aient adopté des normes internationales comme Bâle III, leur mise en œuvre demeure inégale.
Une régulation robuste, combinée à une supervision efficace, est essentielle pour renforcer la résilience des institutions financières face aux risques.
Les équilibres macroéconomiques constituent un autre pilier fondamental. En 2023, le service de la dette publique en Afrique a atteint 163 milliards de dollars, un fardeau qui limite les capacités des gouvernements à investir dans des secteurs stratégiques comme les infrastructures et l’éducation. Une solution clé réside dans l’amélioration de la mobilisation des ressources domestiques. Avec un ratio recettes fiscales/PIB moyen de 16 %, contre une moyenne mondiale de 25 %, il existe un potentiel considérable à exploiter.
Outre ces aspects financiers, la solidité repose également sur une capacité d’adaptation aux transformations globales. La montée des fintechs et des néobanques en Afrique représente une opportunité unique de moderniser les systèmes financiers, mais leur succès dépend de cadres réglementaires flexibles. Ces nouveaux acteurs ont permis de connecter des millions de personnes non bancarisées aux services financiers. Pour les intégrer pleinement, il est impératif d’élaborer des régulations qui équilibrent innovation et stabilité.
En parallèle, la résilience climatique est une dimension souvent sous-estimée mais essentielle de la solidité économique. Avec une augmentation de 75 % des catastrophes climatiques en Afrique entre 2014 et 2023, les économies africaines doivent se doter de mécanismes de gestion des risques climatiques. Cela inclut l’émission d’obligations vertes, qui, bien que représentant 588 milliards de dollars au niveau mondial en 2023, n’ont atteint que 2 milliards de dollars en Afrique. En renforçant les cadres pour financer des projets d’infrastructures vertes, les pays africains peuvent à la fois protéger leurs économies et attirer des investisseurs soucieux de durabilité.
Enfin, la solidité d’un système financier se construit aussi à travers la coopération régionale. Des initiatives comme le Fonds africain de solidarité financière, qui promeut des mécanismes de garantie collective pour réduire les risques liés aux investissements, démontrent l’importance de l’intégration régionale. Cette coopération peut permettre de mutualiser les ressources, de renforcer la crédibilité des institutions financières et de mieux répartir les risques au sein du continent.
En renforçant la régulation, en maîtrisant les équilibres macroéconomiques et en intégrant des dimensions innovantes comme la durabilité et l’adaptation technologique, l’Afrique peut poser les bases d’un système financier robuste. Cette solidité est essentielle pour stimuler la confiance des investisseurs, renforcer la résilience face aux crises et soutenir une croissance durable.
Cependant, cette stabilité n’est qu’un point de départ. Pour transformer les potentialités africaines en dynamiques concrètes, il est impératif de libérer les énergies qui sommeillent dans les populations, les institutions et les innovations.
Libération des énergies : Débloquer le potentiel de l’Afrique
Pour transformer ses défis en opportunités, l’Afrique doit libérer ses énergies latentes, qu’elles soient humaines, financières ou institutionnelles. Cette libération est essentielle pour répondre aux besoins de financement croissants, soutenir la transition écologique, et bâtir un État social inclusif. La mobilisation massive des ressources, l’innovation financière et l’inclusion économique sont autant de leviers pour déverrouiller ce potentiel.
Le financement des grands projets africains reste un défi central. Chaque année, l’Afrique doit combler un déficit de financement de 108 milliards de dollars pour les infrastructures et de 250 milliards de dollars pour répondre à ses besoins climatiques, selon la Banque africaine de développement. Pourtant, les instruments financiers adaptés, comme les obligations vertes, sont sous-utilisés. En 2023, ces instruments ont représenté 588 milliards de dollars à l’échelle mondiale, mais seulement 2 milliards de dollars ont été émis en Afrique.
Pour attirer davantage de capitaux vers des projets durables, les cadres réglementaires doivent être renforcés pour offrir transparence et sécurité aux investisseurs. L’émission croissante d’obligations vertes et sociales par des pays comme le Maroc montre la voie. Ces initiatives, si elles se multiplient, pourraient transformer le continent en une destination privilégiée pour les investissements responsables.
Des modèles innovants émergent déjà. La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) expérimente des prêts concessionnels pour soutenir des secteurs stratégiques. Ces initiatives doivent être amplifiées et adaptées à d’autres régions du continent, créant ainsi un environnement monétaire favorable à l’investissement.
Mais la finance ne doit pas seulement soutenir la croissance économique ; elle doit également renforcer l’inclusion sociale. Bâtir un État social inclusif est un impératif pour garantir l’accès universel à la santé, à l’éducation et à la protection sociale. Les plateformes numériques, combinées à des innovations comme la microfinance et les « Gender Bonds », peuvent jouer un rôle crucial. Ces derniers, en ciblant des groupes spécifiques comme les femmes entrepreneurs, aident à combler les lacunes en matière de financement inclusif.
De plus, le secteur privé doit devenir un acteur central dans la mobilisation des financements nécessaires à la transformation du continent. Actuellement, les investisseurs institutionnels africains gèrent environ 1 850 milliards de dollars d’actifs, mais moins de 3 % de ces fonds sont investis dans des actifs alternatifs comme les infrastructures ou les énergies renouvelables. Pour encourager ce type d’investissement, des réformes fiscales incitatives et des mécanismes de financement mixte (blended finance) doivent être mis en place.
Les partenariats public-privé (PPP) représentent également un moyen efficace de combler le déficit de financement. En associant ressources publiques et capitaux privés, des projets d’envergure peuvent voir le jour, tout en partageant les risques entre les parties prenantes. Des initiatives comme l’Africa50, qui finance des projets d’infrastructure stratégiques, montrent que cette approche peut être un puissant catalyseur de transformation.
Enfin, la libération des énergies passe par l’investissement dans le capital humain. Avec 60 % de la population africaine âgée de moins de 25 ans, le continent dispose d’un réservoir unique de talents. Toutefois, ce potentiel reste largement sous-exploité.
Pour maximiser cet impact, il est essentiel de réduire les obstacles à la formalisation des entreprises et d’élargir l’accès à la formation et aux opportunités économiques. L’Afrique doit également miser sur l’internationalisation de ses talents, en favorisant les partenariats avec les diasporas et en développant des réseaux transfrontaliers d’expertise.
Mesdames et Messieurs,
La libération des énergies de l’Afrique repose sur un effort collectif. Les gouvernements, les institutions financières et le secteur privé doivent collaborer pour maximiser l’impact des ressources disponibles. Il ne s’agit pas seulement de lever des fonds, mais de bâtir un écosystème qui catalyse l’innovation, renforce les capacités humaines et assure une croissance durable.
L’Afrique a tout pour réussir : un potentiel démographique unique, des ressources naturelles abondantes et une capacité d’innovation sans cesse croissante. En libérant pleinement ces énergies, le continent peut s’imposer comme une force économique mondiale et offrir un avenir meilleur à ses citoyens. La route est ambitieuse, mais elle est aussi inévitable pour un continent résolument tourné vers l’avenir.
Le Royaume du Maroc, sous le Leadership éclairé de Sa Majesté Le Roi Que Dieu l’Assiste, se tient prêt à accompagner cette trajectoire.
Je vous remercie pour votre attention. »
LNT avec CP