Lors du Symposium de haut niveau sur la stabilité financière en Afrique, organisé par Bank al-Maghrib les 26 et 27 novembre, le premier panel, intitulé « Interactions des politiques des autorités financières : quelles actions/leviers en période d’incertitudes ? », a réuni des experts internationaux pour débattre des défis économiques et financiers qui touchent le continent. Modéré par Halim Jadi, Directeur de la Surveillance Macroprudentielle à Bank Al-Maghrib, le panel a accueilli Martin Moloney, Secrétaire Général Adjoint du Financial Stability Board (FSB), Jean Pesme, Directeur Global à la Banque mondiale, et Emanuel Rocher, Directeur des Affaires Internationales à l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), France.
Un contexte économique mondial complexe
Halim Jadi a ouvert le débat en rappelant les crises successives qui ont marqué les dernières années : la pandémie de COVID-19, les tensions géopolitiques exacerbées par le conflit en Ukraine, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et l’inflation galopante. Ces défis se sont particulièrement fait sentir en Afrique, où l’inflation en Afrique subsaharienne a atteint 60,2 % en 2023. Ces bouleversements, combinés à des défaillances bancaires récentes dans les économies avancées, illustrent la nécessité d’une coordination renforcée entre les politiques économiques et financières, tant au niveau national qu’international.
Martin Moloney a offert une perspective globale en revenant sur les leçons tirées de la crise financière de 2008. Il a expliqué que cette crise avait révélé l’absence de stabilisation automatique du système financier mondial, soulignant l’importance de mécanismes actifs pour prévenir les effondrements. Les progrès réalisés depuis incluent une meilleure capitalisation des banques, une gestion améliorée de la liquidité des fonds d’investissement, et des régulations plus rigoureuses sur les marchés dérivés. Il a également insisté sur la nécessité de gérer les risques opérationnels, notamment face aux menaces croissantes en cybersécurité, et sur le renforcement des mécanismes de récupération et de résolution des institutions financières en difficulté. Cependant, il a averti que les efforts pour stabiliser le système doivent être continus, en mettant en avant l’importance d’une coopération internationale accrue pour anticiper les crises émergentes.
Emanuel Rocher a axé son intervention sur l’importance d’une supervision rigoureuse et intrusive. Il a souligné que l’application complète des normes Bâle III dans la zone euro avait permis de renforcer la résilience des banques, contrairement à la réglementation plus laxiste observée aux États-Unis, notamment dans le cas de la Silicon Valley Bank. Il a également mis en avant l’importance des stress tests pour évaluer la robustesse des banques face à des scénarios économiques défavorables, ainsi que la nécessité d’une coordination efficace entre autorités pour garantir une surveillance globale des institutions financières.
De son côté, Jean Pesme a analysé les spécificités du contexte africain, mettant en lumière le lien étroit entre la dette souveraine et la stabilité bancaire. Il a cité l’exemple du Ghana, où la restructuration de la dette publique a entraîné une baisse significative des ratios de capitalisation bancaire, passant de 19,6 % à 13,9 % entre 2021 et 2023. Pesme a également insisté sur l’importance des filets de sécurité financière, tels que les systèmes d’assurance-dépôts, qui restent insuffisants dans de nombreux pays africains. Il a appelé à renforcer la coopération régionale pour mieux gérer les risques associés à l’essor des banques panafricaines.
Perspectives et priorités futures
Le panel a également exploré les stratégies pour gérer les risques émergents. La question climatique a occupé une place centrale, Jean Pesme rappelant que 40 % de la population africaine est exposée à des chocs climatiques, tandis que le taux de pénétration des assurances reste inférieur à 1 %, contre une moyenne mondiale de 6,8 %. Cette faible couverture accentue la vulnérabilité des ménages, des entreprises et des États, tout en menaçant la stabilité financière. Il a plaidé pour une mobilisation accrue des financements pour l’adaptation climatique et pour des initiatives visant à accroître l’accès aux assurances.
Sur le plan technologique, Martin Moloney a abordé l’impact croissant de l’intelligence artificielle et des cryptomonnaies sur les marchés financiers. Il a souligné l’urgence de mettre en place des régulations adaptées et de renforcer les mécanismes de réponse aux cyberattaques, des risques devenus omniprésents.
Enfin, Emanuel Rocher a insisté sur l’importance de cadres de coopération pour anticiper et gérer les crises, citant l’Union bancaire européenne comme un modèle pertinent pour d’autres régions. Il a également appelé à l’harmonisation des normes internationales, telles que celles relatives aux exigences de Bâle III, pour garantir une résilience accrue des systèmes bancaires.
Le panel a mis en évidence l’urgence d’une approche proactive pour renforcer la résilience des systèmes financiers africains face aux incertitudes actuelles. La stabilité financière du continent repose sur une coordination renforcée entre les régulateurs, des régulations rigoureuses et des investissements stratégiques pour faire face aux défis climatiques, technologiques et économiques. En conclusion, Halim Jadi a souligné que chaque acteur, des décideurs politiques aux superviseurs, doit jouer un rôle actif pour garantir un avenir financier stable et durable pour l’Afrique.
Selim Benabdelkhalek