La littérature marocaine a été mise à l’honneur jeudi 14 novembre, à l’occasion de la première rencontre du Marsam Book Club. Cet événement inaugural a accueilli l’écrivain Habib Mazini, connu pour son œuvre prolifique en arabe et en français, ainsi que pour son regard acéré sur les transformations de la société marocaine.
Né en 1954 à Settat, docteur en sciences économiques et ancien professeur universitaire, Mazini a marqué la scène littéraire par des récits imprégnés d’un réalisme poétique. Son écriture, influencée par sa passion pour le cinéma, mêle intrigue, critique sociale et exploration de l’identité marocaine.
Lors de cette rencontre, Mazini a partagé des anecdotes sur son parcours et a revisité plusieurs de ses œuvres emblématiques. Parmi elles, Villa Australia (2017), un roman qui explore le déclin d’une bourgeoisie marocaine autrefois animée par des valeurs culturelles profondes. À travers le conflit entre deux familles autour d’une villa, Mazini esquisse une fresque des mutations sociales et économiques du pays.
Il a également évoqué El Fandouk (2020), un recueil de nouvelles mêlant humour et satire. De l’âne dans les rues de Casablanca à l’instituteur, en passant par des portraits politiques audacieux, l’auteur y dépeint avec finesse les travers et les contradictions de la société marocaine.
Outre ses récits, Mazini a souligné l’importance de l’écriture comme un acte universel, transcendant les barrières linguistiques. Alternant entre l’arabe et le français, il aspire à unifier les lecteurs autour de l’amour des mots, quelles que soient leurs langues ou cultures.
L’arabe et le français : deux identités complémentaires
Lors de cet événement, l’écrivain a également partagé des réflexions sur la cohabitation des langues française et arabe, soulignant l’importance de l’arabe classique, souvent perçu comme un symbole de culture et de maîtrise intellectuelle, tout en reconnaissant le rôle du français comme langue de modernité. Cependant, il a observé avec regret une certaine méfiance, voire un mépris, à l’égard de l’arabe parmi les élites marocaines. Cette attitude contraste, selon lui, avec l’attachement du grand public à des formes populaires comme le dialectal marocain, qui trouve une résonance particulière dans les chansons anciennes.
Le roman face à la littérature de témoignage
L’écrivain a également mis en lumière la singularité du roman comme outil de mémoire collective, le distinguant des écrits plus factuels, comme la littérature carcérale. Selon lui, des œuvres comme celles de Mohamed Choukri ou encore les classiques de Victor Hugo et Zola perdurent parce qu’elles transcendent leur époque en explorant la psychologie et les enjeux humains. « Le roman est une mémoire privée qui devient universelle », a-t-il affirmé, insistant sur son rôle essentiel dans la transmission des récits historiques et sociaux.
La traduction : un art négligé au Maroc
Habib Mazini a exprimé son étonnement face au faible intérêt porté à la traduction des œuvres marocaines, particulièrement celles écrites en arabe. Il a décrit la traduction comme un véritable art, pratiqué par de nombreux écrivains occidentaux avant de se lancer dans leurs propres créations. Selon lui, les écrivains marocains mériteraient une plus grande reconnaissance au-delà des frontières linguistiques, notamment pour contrer une certaine domination des œuvres francophones sur le marché local.
Un plaidoyer pour l’identité culturelle
Enfin, l’écrivain a dressé un portrait nuancé de la culture marocaine, où se côtoient des influences diverses. S’il regrette que certaines œuvres en arabe ne soient pas toujours valorisées, il salue néanmoins l’attachement des lecteurs à leur patrimoine, que ce soit à travers la littérature ou la chanson.
Cette rencontre a permis de redécouvrir Habib Mazini sous un jour nouveau, non seulement en tant qu’écrivain, mais aussi comme observateur attentif des dynamiques culturelles et linguistiques du Maroc. Une voix qui, par sa pluralité, reflète la richesse et les paradoxes de l’identité marocaine.
A. Loudni