Alors que l’année 2023 touche à sa fin, la notion de bilan est de mise, notamment pour l’économie marocaine et les perspectives qui en découlent pour 2024. Le Directeur de l’Office des Changes, M. Hassan Boulaknadal, décortique en détails les performances marocaines, des comptes extérieurs à la disponibilité des devises en passant par les impacts endogènes et exogènes que subit l’économie nationale et la politique de change.
Les balances, commerciale et de paiement, de 2023, témoignent d’une résilience, tant au niveau de la maîtrise des importations et de la hausse des exportations que du maintien des déficits commercial et du Solde extérieur, pouvez-vous commenter pour nos lecteurs ces constats ?
Dans l’ensemble, les échanges commerciaux de biens ont connu une diminution, marquée par un recul de 3,9% des importations à 591,5 milliards de dirhams à fin octobre 2023, dépassant la baisse des exportations qui s’est établie à 2,4%, atteignant 350,1 milliards de dirhams (MMDhs). Cet écart d’évolution s’est traduit par un allégement du déficit commercial de 6,1% à 241,4 milliards, et le taux de couverture s’est établi à 59,2%, après 58,3% à fin octobre 2022.
Balance Commerciale 2023/2022
A quelques exceptions près (les biens de consommation et d’équipement), les importations marocaines ont fortement baissé. Ce recul est dû, principalement, au repli des importations des produits énergétiques, des demi-produits et des produits bruts. La facture énergétique s’est, ainsi, allégée de 22% ou -28,4MMDhs, traduisant la baisse des achats de gas-oils et fuel-oils de 16,6MMDhs. De même, les importations de demi-produits et de produits bruts ont accusé des diminutions respectives de 12,6% et 23,9%. Pour leur part, les approvisionnements du Maroc en produits alimentaires se sont stabilisés à 73,3 milliards avec notamment une baisse de 26,8% des importations de blé. Quant aux acquisitions de biens d’équipements, elles ont progressé de 14,6% à 132,4 milliards et celles de biens de consommation se sont accrues de 12,1% à 131,8 milliards.
Après avoir évolué à un rythme soutenu au cours des huit premiers mois de l’année, les exportations marocaines ont connu une diminution à partir du mois de septembre 2023. A fin octobre 2023, ces exportations s’établissent à 350,1 milliards de dirhams. Le recul concerne, principalement, les exportations des phosphates et dérivés, qui ont enregistré un repli de 43,4% à 57,6 milliards. Même trend baissier pour les ventes du secteur de l’«agriculture et agroalimentaire » ainsi que celles de la branche de l’aéronautique, qui accusent de légères diminutions. En revanche, les ventes du secteur de l’automobile, de l’électronique et de l’électricité, ainsi que celles du textile, poursuivent leur montée en maintenant des performances positives sur le marché international.
Concernant le compte courant, la balance des échanges de services a enregistré, pour les dix premiers mois de l’année 2023, un excédent en progression de 26,3%, soit +23,7 milliards de dirhams, atteignant ainsi 114 milliards de dirhams, comparé à 90,3 milliards de dirhams l’année précédente. Les recettes voyages ont évolué à la hausse, s’établissant à 88,4 milliards de dirhams (73,3 milliards un an auparavant). De leur côté, les transferts des MRE ont maintenu leur dynamisme, affichant un accroissement de 6,1%, soit 96,4MMDhs.
Quant aux principales opérations financières, notons que les recettes d’IDE ont diminué de 22,3%, et les investissements directs marocains à l’étranger ont connu une hausse de 41,6%. Dans ces conditions, les avoirs officiels de réserve de Bank Al-Maghrib se sont situés à 355,8 milliards de dirhams à fin octobre 2023, représentant l’équivalent de 5 mois et 12 jours d’importations de biens et services.
Les réserves de changes rapportées aux besoins en devises des échanges de notre pays par mois, stagnent autour de 5 à 6 mois d’importations, ce alors même que le dollar a flambé depuis la crise russo-ukrainienne, et que l’inflation sévit sur les produits à l’import, de toute catégorie. Comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, durant la période de reprise post-crise pandémique, l’économie mondiale a été confrontée en 2022 à un choc brusque avec l’éclatement du conflit russo-ukrainien. Celui-ci a entraîné une accentuation des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et un renchérissement sensible des produits énergétiques et alimentaires. A l’instar de la plupart des pays importateurs de matières premières, le Maroc a subi des pressions inflationnistes induites par le renchérissement des prix sur les marchés internationaux.
Au regard de l’ensemble de ces données et du niveau élevé d’incertitude lié à l’évolution de la conjoncture internationale, l’économie marocaine a fait preuve d’une résilience notable, fruit des efforts consentis depuis plusieurs années en matière de renforcement du cadre macroéconomique et de mise en œuvre des réformes structurelles. Ainsi, l’intervention publique a permis d’atténuer les répercussions socioéconomiques négatives de ces chocs tout en renforçant les fondamentaux macroéconomiques. Parallèlement, des efforts continus ont été déployés pour établir les bases d’une croissance plus robuste, durable et équitable.
Parmi les différentes mesures prises, le Maroc a décidé de recourir au reliquat restant dû de la facilité LPL d’un montant de 2 MM.$US. Cette décision a été justement appuyée par le niveau favorable des avoirs officiels de réserve, permettant de couvrir plus de 5 mois d’importations de biens et services.
Par ailleurs, dès le début de l’année 2023, le Maroc a souscrit une nouvelle ligne de précaution auprès du FMI, en tant qu’assurance contre les chocs exogènes. En avril 2023, le pays a accédé à la Ligne de Crédit Modulable (FCL). La conclusion de cet accord, qui témoigne également de la solidité de nos politiques et de nos fondamentaux macroéconomiques, renforce la confiance des partenaires et des investisseurs dans notre pays, soutenant ainsi, notre stratégie économique.
La situation économique se dégrade tout particulièrement en Europe, la croissance frôlant 0% dans les pays de ce continent dont nombre d’entre eux sont des partenaires privilégiés du Maroc. Tous sont touchés par une inflation à large spectre et par des problèmes de transports et de logistiques qui perturbent les échanges internationaux, M. Boulaknadal quels en sont les impacts visibles et mesurables sur les comptes extérieurs du Maroc ?
Malgré les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement et la persistance d’une inflation à des niveaux élevés, les perspectives de l’économie mondiale semblent dans l’ensemble moins défavorables que prévu initialement. Aux États-Unis, la croissance devrait atteindre 1,9% en 2023 avant de ralentir à 0,9% en 2024. Dans la zone euro, la croissance serait estimée à 1,2% cette année et à 0,9% en 2024. Face à cette conjoncture internationale difficile et aux conditions climatiques défavorables, l’économie marocaine a connu certes un ralentissement de sa croissance s’établissant à 1,3% en 2022 après son fort rebond de 8% enregistré en 2021.
En 2022, les échanges extérieurs ont été mis à rude épreuve marqués par une détérioration de 19,7 milliards de dirhams du déficit commercial (308,8 MMDhs), malgré la dynamique soutenue des exportations. Cependant, grâce au redressement de l’activité touristique (+170,8% des recettes de voyages soit près de 94 MMDhs) et au maintien de la performance des transferts des MRE (110,7 MMDhs en 2022, soit +16%), le déficit commercial a pu être couvert à hauteur de plus de 65%. Ces évolutions ont permis de contenir le déficit du compte courant, qui est ressorti à 3,5% du PIB après 2,3% en 2021. De surcroit, la reprise des échanges extérieurs à partir de 2023, soutenue par les diverses mesures de relance mises en œuvre par le Gouvernement, a contribué à contenir cet effet négatif.
Cependant, je tiens à souligner un aspect tout aussi crucial : la stratégie partenariale du Maroc. Le Royaume ne cesse de renforcer ses relations commerciales avec divers pays grâce à sa politique de coopération internationale, notamment dans le cadre du Sud-Sud et des partenariats triangulaires. Bien que ses échanges commerciaux soient principalement orientés vers l’Europe (58,8% en 2022), il est important de noter que la part de ces échanges dans le total des échanges du Maroc a diminué, passant de 63,4% en 2021 à 58,8% en 2022, cédant une partie des échanges à l’Asie (de 18,9% en 2021 à 22,1% en 2022), l’Amérique (de 11,4% en 2021 à 12,6% en 2022) et l’Afrique (de 5,4% en 2021 à 5,5% en 2022).
Dans quelle mesure la « stabilité » du dirham assurée par Bank Al Maghrib, a-t-elle contribué à « conforter » les fondamentaux du solde extérieur du Maroc ? Certes au-delà de la ligne de liquidité de 3 milliards de dollars, tirée en 2023 ?
Depuis janvier 2018, les autorités monétaires marocaines ont progressivement adopté un régime de change plus flexible dans le but de renforcer la résilience et la compétitivité du Royaume. Malgré les récents chocs économiques, cette transition s’opère de manière fluide. Le Maroc est aujourd’hui un acteur mondial majeur dans divers secteurs, notamment les industries automobile, aérospatiale et électronique. De plus, le pays est à la pointe de la transition mondiale vers les énergies renouvelables. Ces efforts entrepris pour moderniser l’économie marocaine lui ont permis d’améliorer son attractivité comme le montre son classement international dans le rapport «Doing business » à la 53ème position en 2020 sur 190 pays et 3ème en Afrique, enregistrant un gain de 75 places par rapport à 2010.
Ces avancées renforcent la crédibilité du pays et stimulent ses perspectives de croissance. D’autres facteurs ont également contribué à la stabilité du dirham par rapport au dollar et à l’euro. Au cours des derniers mois de l’année 2023, on observe une tendance à la baisse de l’inflation, attribuable à la diminution des prix des matières premières sur les marchés internationaux. Ainsi, à fin octobre 2023, on a enregistré une réduction de plus de 15 milliards de dirhams du déficit commercial.
Dans l’ensemble, les décisions politiques à long terme visant à garantir la stabilité du dirham ont produit des résultats concrets, positionnant le Maroc en tant que partenaire commercial international crédible. Preuve en est : en 2023, le Royaume a été retiré des listes grises du Groupe d’Action Financière (GAFI) et de l’Union Européenne (UE) et a obtenu une ligne de crédit flexible du Fonds Monétaire International (FMI). Le Royaume a également été hôte de réunions de grande envergure, telles les réunions annuelles du FMI et de la Banque Mondiale à Marrakech, ce qui devrait théoriquement renforcer l’attractivité des investissements privés au Maroc, aussi bien locaux destinés à l’export, qu’étrangers.
En définitive, Bank Al Maghrib en programment la liberté des changes par l’élargissement progressif de la bande de fluctuation du dirhams de + ou – 2,5% à + ou -5% puis ou – 10% , a-t-elle contribué à cette stabilité des agrégats de l’Office des Changes ou ces instruments ne sont utiles que pour corriger les incidences conjoncturelles ?
Dans un contexte marqué par la volatilité des marchés financiers et boursiers, plusieurs pays, principalement émergents, ont été contraints de revoir leur régime de change pour atténuer les effets de la crise et faciliter l’accès aux financements des institutions financières. Au Maroc, l’adoption d’un régime de change plus flexible en 2018 visait principalement deux objectifs : accompagner les récentes évolutions structurelles de l’économie marocaine, notamment en termes de diversification, d’ouverture et d’intégration à l’économie mondiale, tout en soutenant la compétitivité des acteurs économiques marocains.
Cette réforme, introduite de façon volontaire et graduelle, a suscité des critiques initiales et engendré une polémique importante. Cependant, avec le temps, elle a démontré son efficacité et sa pertinence. Deux ans après son instauration, la Banque Centrale a procédé à un second élargissement, portant la flexibilité à 5%, dans le but d’augmenter la liquidité en devises sur le marché domestique des changes et de sensibiliser les opérateurs économiques au risque de change. Après cinq ans de flexibilisation, le bilan demeure positif malgré les crises successives, notamment en considération du fort caractère importateur de l’économie du Royaume.
En 2023, la transition initiée en janvier 2018 se poursuit de manière satisfaisante, avec une utilisation croissante des instruments de couverture contre le risque de change par les opérateurs économiques.
De plus, prenant en considération les nouvelles hypothèses relatives à l’environnement international, les prévisions macroéconomiques, ainsi que les réalisations en 2023, le déficit du compte courant devrait s’alléger à 2% en 2023 et à 2,1% en 2024 contre 3,5% du PIB en 2022. Ces avancées représentent un nouvel atout en termes d’attractivité pour le Maroc, favorisant les investissements étrangers et soutenant les entreprises marocaines dans l’établissement de partenariats économiques avec des acteurs étrangers.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli