Dr Amal Idrissi, Directrice Exécutive de l’Observatoire Marocain de la Très Petite et Moyenne Entreprise (OMTPME), a reçu la presse jeudi 2 novembre 2023 pour lui présenter la 4ème édition de son rapport annuel, qui présente une évaluation de l’évolution de la situation démographique, économique et financière du tissu productif national. Cette édition comprend un nouveau chapitre consacré à l’analyse de l’emploi et des salaires en fonction du genre, ainsi que l’accès des entreprises au financement bancaire en fonction du genre de leurs dirigeants.
Les dernières années ont été marquées par des crises successives liées à la Covid-19 et à la guerre en Ukraine. En conséquence, après une contraction économique de 6,3% en 2020 et une reprise de 8% en 2021, la croissance au Maroc a ralenti à 1,3% en 2022, en raison des impacts de cette guerre aggravés par une sécheresse sévère.
Dans ce contexte, les créations d’entreprises ont augmenté de 23,4% en 2021, mais ont diminué de 11% en 2022, tandis que les dissolutions d’entreprises ont augmenté de près de 18% en 2022, après une augmentation de 52,4% en 2021, selon les données de l’OMPIC. De plus, la base de données des entreprises personnes morales établie par l’Observatoire en 2021, avec un effectif total de 369 635, montre que 17 233 entreprises ont changé de taille entre 2020 et 2021. Notamment, 7 360 microentreprises sont devenues des Très Petites Entreprises (TPE), 2 563 TPE sont devenues des Petites et Moyennes Entreprises (PME), et 229 PME sont devenues des Grandes Entreprises (GE). En revanche, 51 GE sont devenues des PME, 1 505 PME sont devenues des TPE ou des microentreprises, et 3 266 TPE sont devenues des microentreprises. Malgré cette évolution, les microentreprises demeurent prédominantes, représentant 88% en 2021.
Le sous-emploi très présent
La majorité des entreprises emploient moins de 10 salariés (87,1%), tandis que celles employant plus de 100 salariés sont limitées à 1,6%. La région Tanger-El Jadida, qui a généré 58,8% du PIB national en 2021, a accueilli environ 63,3% de l’effectif total des entreprises. Sur le plan sectoriel, le secteur tertiaire représente 67,5% des entreprises, en hausse de 0,6 point par rapport à 2020, contribuant à 52% du PIB. Le secteur manufacturier, générant 15% du PIB, compte pour 6,3%. En ce qui concerne les emplois déclarés à la CNSS, une progression annuelle de 8,9% a été observée en 2022, contre 5,4% en 2021 et une hausse moyenne de 4,7% sur la période 2017-2019. Les TPME représentent 76,4% de l’effectif total déclaré, contre 73,1% en 2021. Cela est en partie dû à l’augmentation de la part des microentreprises, passant de 23,3% en 2021 à 29,7%.
L’examen des salaires déclarés montre que 75,8% des employés ont gagné moins de 4 000 DH, et 44% ont gagné moins que le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG). Un net signe de l’importance de la problématique du sous-emploi au Maroc, explique Dr Idrissi.
Concernant les indicateurs financiers, l’analyse des bilans de 57 443 entreprises personnes morales montre que la trésorerie est restée stable en 2021 par rapport à 2020. Les marges de liquidité sont restées stables, à l’exception des entreprises de taille moyenne, dont le ratio de liquidité a augmenté de 6,3% pour atteindre 1,36. L’Observatoire Marocain de la TPME a été sollicité par de nombreuses institutions nationales et internationales pour contribuer à des études et à des projets collaboratifs concernant les TPME, témoignant ainsi de la confiance envers cet organisme en constante amélioration de ses études et analyses, tout en explorant de nouvelles problématiques liées au tissu productif national.
Absents de cette édition, les chiffres sur l’autoentrepreneuriat devraient être publiés très prochainement, assure Dr Idrissi. L’OMTPME œuvre également à de nouveaux projets, notamment, en collaboration avec la Banque mondiale, une quête sur les dynamiques de croissance et de productivité des entreprises marocaines, et une autre sur l’utilisation de la technologie.
L’Observatoire, selon sa directrice n’a « pas encore fait le tour de toutes les sources de données ». Et de citer notamment l’idée d’un rapprochement avec le ministère de l’investissement, ou encore renforcer les données sur les coopératives, et l’agriculture. L’Observatoire n’a pas non plus l’accès à certaines données sur les marchés publics, et envisage de se rapprocher du monde universitaire dans le futur.
Un gros travail sur la question du genre
L’OMTPME a renforcé cette année son partenariat avec la CNSS pour compléter le cadre d’échange par de nouvelles données sur l’emploi par genre et par tranche de salaires. Plus précisément, à fin 2022, un nouveau projet a été lancé avec la CNSS portant sur les données liées au genre et aux tranches de salaires. Parallèlement, l’Observatoire a partagé avec la CNSS son fichier des entreprises affiliées, sur lequel ont été appliqués les processus de fiabilisation et d’enrichissement.
Il est important de noter certaines disparités entre les genres, avec 33% des emplois occupés par des femmes et 67% par des hommes, ayant des salaires moyens respectifs de 5 051 DH et 5 616 DH. En outre, 74,4% des emplois masculins ont été rémunérés en dessous de 4 000 DH, contre 78,7% pour les employés féminins. Les disparités entre les genres sont plus importantes dans les bas salaires. En effet, 51,2% du total des employées femmes ont perçu un salaire inférieur à 2.800 DH, contre 40,5% pour les employés hommes. Pour les autres tranches de salaires, la part des employés masculins est supérieure tout en tendant à s’approcher de celle des employés féminins au fur et à mesure que ces tranches de salaires sont plus élevées. La répartition régionale des emplois, au titre de 2022, montre que, pour ce qui est de la région de Rabat-Salé- Kénitra, 40% de l’effectif déclaré sont occupés par des femmes. Elle est suivie par les régions de Fès-Meknès et Tanger-Tétouan-Al Hoceima, avec des proportions respectives de 38,9% et 38,2%. Cette part est limitée à 17,4% dans la région de Laâyoune-Sakia El Hamra.
La répartition régionale de l’emploi féminin selon les tranches de salaires montre que globalement les femmes travaillant dans la région Casablanca-Settat sont mieux rémunérées que celles exerçant dans les autres régions. Ainsi, 36% de ces femmes ont perçu un salaire supérieur à 4.000 DH contre une proportion variant entre 3,1% et 19,5% dans les autres régions. Concernant les employés masculins, 33,1% d’entre eux travaillant dans cette région sont rémunérés à plus de 4.000 DH. Cette part s’est établie à 40,3% dans la région de Dakhla-Oued Eddahab. La région de Béni Mellal-Khénifra affiche la proportion la plus élevée des employés hommes percevant un salaire inférieur à 4.000 DH, soit près de 93% de l’effectif total. Cette proportion s’est établie à près de 97% pour les employées femmes travaillant dans la région de Drâa-Tafilalet.
Les employés hommes sont majoritaires dans tous les secteurs d’activités à l’exception de la « santé humaine et action sociale » où la part des employées femmes représente 71,4% et l’ « enseignement » où cette part s’établie à 69,5%. L’examen de la répartition des salaires par catégorie d’entreprises met en évidence le fait qu’au sein des PE, 52% des employées féminines reçoivent des salaires inférieurs à 2 800 DH, ce qui constitue la proportion la plus élevée par rapport aux autres types d’entreprises, dépassant ainsi la proportion des employés masculins, qui s’élève à 40,8%. Dans les GE, près de 14% des femmes employées perçoivent un salaire supérieur à 10 000 DH, tandis que cette proportion atteint 15,5% chez les employés masculins. En ce qui concerne les autres catégories d’entreprises, la proportion varie de 3% à 9% pour les employées et de 3% à 8% pour les employés.
Notons qu’en 2022, 49,2% des entreprises n’ont déclaré à la CNSS que des employés hommes, représentant 11% de l’effectif total des emplois déclarés et près de 15% n’ont déclaré que des employées femmes, représentant 1,7% de cet effectif.
Les inégalités entre les genres se reflètent également dans le faible nombre d’entreprises dirigées par des femmes, représentant seulement 16,2% de l’ensemble des entreprises en 2021 (selon la Banque mondiale, le taux moyen dans le monde avoisine les 33%). Toutefois, ce taux est en progression de +3,8% par rapport à 2020. L’analyse par catégorie d’entreprises laisse apparaître que les microentreprises ont enregistré, en 2021, la part la plus élevée de l’entrepreneuriat féminin, soit 16,7% de l’effectif de cette catégorie d’entreprises, un niveau supérieur à la moyenne globale. Les GE et les TPE suivent avec des parts respectives de 12,7% et 12,3%. Les régions affichant les meilleurs taux sont Marrakech-Safi avec 19% des EPMA qui sont dirigées par des femmes en 2021, et respectivement 18,8% et 17% pour Rabat-Salé-Kenitra et Casablanca-Settat.
Pour ce qui est de l’accès au crédit bancaire, en 2022, 13,4% de l’ensemble des EPMA ayant bénéficié de ces crédits sont dirigées par des femmes. Les EPMA dirigées par des femmes ont obtenu un total de 63,5 MMDH en crédits, équivalant à 13,6% du montant total des encours de crédits, tandis que les EPMA dirigées par des hommes ont accédé à 402,5 MMDH, ce qui équivaut à 86,4% de l’ensemble des encours de crédits. En ce qui concerne la répartition régionale des crédits alloués aux EPMA, en fonction du genre du dirigeant, il est à noter qu’en 2022, près de 42% des EPMA dirigées par des femmes sont situées dans la région de Casablanca-Settat, bénéficiant ainsi de 74,8% du total des crédits octroyés à ces entreprises. Pour les EPMA dirigées par des hommes, ces proportions sont de 40,1% de ces entreprises localisées dans cette région et 65,1% du montant total des crédits alloués. Dans les autres régions, l’accès au crédit pour les entreprises dirigées par des femmes est nettement moins répandu, et il existe des disparités notables d’une région à l’autre.
Selim Benabdelkhalek