La nouvelle loi 69-21 relative aux délais de paiement au Maroc a été publiée dans le bulletin officiel du 15 juin 2023. Elle est applicable sans délais puisque les premières entreprises concernées devront faire leur première déclaration de factures en souffrance du trimestre en cours, fin octobre 2023 ! Sachant que sont concernées les personnes physiques ou morales dont le chiffre d’affaires (HT) annuel dépasse 2 millions de dirhams ainsi que les entreprises publiques à caractère marchand.
De principe, cette loi introduit l’obligation du respect des différents délais de paiement qu’elle définit comme suit :
Lorsque le délai n’est pas convenu entre les parties, il est fixé à 60 jours à compter de la date de facturation.
S’il est convenu entre les parties, il ne peut dépasser 120 jours et exceptionnellement, peut aller jusqu’à 180 jours pour les activités saisonnières.
Sachant que pour ce faire l’établissement de la facture est fixé au plus tard au dernier jour du mois de livraison de la marchandise ou de l’exécution de la prestation.
Certes, les dispositions de la loi sur les délais de paiement relèvent de la défense des entreprises en général et des PME en particulier, contre les mauvais payeurs et les problèmes de trésorerie que cela leur engendre, allant jusqu’au constat que les grandes entreprises étranglent souvent les petites.
Il faut savoir que les grandes lignes de cette Loi sur les délais de paiement sont issues des recommandations du Conseil de la concurrence qui a été saisi par le Chef du Gouvernement à cet effet. Et que le montant des impayés se chiffre à 400 milliards de dirhams, alors même que certains clients faisaient pression sur leurs fournisseurs pour ne pas dater les factures.
Rappelons qu’une précédente loi prévoyait des intérêts moratoires que le fournisseur devait appliquer à son client pour tout dépassement de délai de paiement.
Et que celle-ci n’a pas pu être appliquée du fait que le fournisseur est rarement en position de pouvoir contraindre par la loi son client, une opération relevant du défi de David contre Goliath !
C’est pourquoi la loi actuelle a voulu placer l’administration des impôts entre le fournisseur et le client, afin de pouvoir exiger aux noms des fournisseurs des intérêts moratoires pour tout retard de paiement.
C’est ainsi que l’administration des impôts vient d’imposer équitablement au client et au fournisseur, de déclarer les factures avec leurs échéances de paiement, conformément aux délais autorisés par la loi. Elle a aussi fixé des intérêts moratoires qui seront exigés par le fisc au client sans intervention du fournisseur. Ceux-ci étant dissuasifs pour les mauvais payeurs qui utilisent de manière abusive les crédits fournisseurs pour se financer.
La nouvelle loi a inversé l’obligation de calcul de l’indemnité et du paiement de la sanction, c’est le client qui doit les supporter après avoir lui-même calculé sa sanction selon le taux prévu, il se doit de payer spontanément, l’amende au Trésor public. Sachant que celle-ci est calculée sur le montant TTC de la facture au taux prévu par l’article 783 indexé au taux directeur de BAM, aujourd’hui de 3% dès le premier mois de retard, au-delà duquel la majoration est de 0,85% par mois de retard supplémentaire. Une déclaration de toutes les factures fournisseurs payées ou hors délais doit être déposée aux impôts tous les trimestres, le mois suivant.
La loi donne une période transitoire de 2 ans aux petites entreprises qui ne feront qu’une déclaration annuelle en 2024-2025 si leur CA est inférieur à 50 millions de dirhams.
Ainsi, les entreprises qui réalisent un CA au-delà de 50 MDH feront leur première déclaration trimestrielle fin octobre 2023 pour le trimestre précédent.
Toutefois la loi sur les délais de paiement va très rapidement se généraliser ! En 2024, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires compris entre 10 et 50 Mdhs devraient s’y soumettre et en 2025 l’ensemble des entreprises seront concernées.
Et pour mettre les entreprises au pas, une autre sanction sera appliquée, celle qui porte sur le défaut de déclarations dans les délais prévus, qui se calculera elle sur le chiffre d’affaires des entreprises et qui va de 5 000 à 250 000 dirhams, pour plus de 50 millions de dirhams de chiffre d’affaires. Bien sur ces sanctions seront émises par voie de rôle par la DGI.
Car la déclaration de la TVA devrait se compléter d’un tableau des fournisseurs avec les dates de facturation et celles des paiements, ce tableau va permettre au fisc de savoir si les délais ont été respectés et les encaissements effectués et leur TVA déclarée. D’une pierre, plusieurs coups !
En conséquence dès aujourd’hui, chaque entreprise qui a un RC, doit savoir quand cette nouvelle loi va la concerner pour ses opérations commerciales réalisées avec les entreprises installées au Maroc, uniquement.
Les PME face à ces nouvelles responsabilités doivent être organisées. Car, pour pouvoir calculer les amendes de retard de paiement, il faut que la comptabilité soit à jour en continu toute l’année, quand aujourd’hui nombre d’entre elles ne la tiennent qu’à la fin de l’année pour la déclaration de résultat.
Donc, l’application de la loi sur les délais de paiements devrait s’accompagner spontanément d’une mise à jour des comptabilité des PMEs. La facturation devrait devenir plus régulière voir tenue au jour le jour pour un dépôt rapide des factures aux clients dans le respect de la loi et ses contraintes.
Une automatisation des processus en utilisant les outils, logiciels ou systèmes de gestion des fournisseurs, s’impose afin d’automatiser la génération des rapports requis dans le cadre des déclarations trimestrielles.
Les professionnels de la comptabilité vont devoir eux-mêmes changer leurs exigences vis-à-vis des entreprises et leurs lettres de mission pour ne pas être responsables des retards et donc des amendes de leurs clients. Sans comptabilité à jour leurs clients vont payer spontanément des sanctions pour retard de paiements. Car, la nouvelle loi prévoit que toute déclaration des factures fournisseurs doit être visée selon que le CA soit supérieur ou inférieur à 50 Mdh par le commissaire aux comptes ou un fiduciaire.
En un mot comme en mille, l’activité des entreprises déjà cernée par l’obligation de l’ICE, la déclaration de TVA des factures clients et fournisseurs réglées, voit la ceinture se serrer un peu plus autour d’elles avec la loi sur les délais de paiements qui l’obligent par une déclaration de ses factures fournisseurs aux impôts. Enfin, la balle est dans le camp de l’administration fiscale qui pour que la loi s’applique dès le 1er juillet 2023 avec une déclaration en octobre, doit mettre en place un mode déclaratif dans le SIMPC-DGI, publier la liste des secteurs qui vont bénéficier d’une période transitoire durant laquelle un délai de 180 Jours serait appliqué. Les avis de l’Ordre des Experts Comptables et de l’Organisation des Comptables Agréés relatif au certificat d’approbation, sont également attendus…
Afifa Dassouli
Encadré :
Deux lois ont précédé la nouvelle loi sur les délais de paiements, la loi 3210 et la loi 4915.
En 2011 la 3210 instituant la définition et la fixation des délais de paiements ainsi que les sanctions, n’est entrée en vigueur qu’en 2013. Puis la Loi 4915 l’a rapidement modifiée au niveau de son intitulé pour instituer « l’indemnité de retard » au détriment de « pénalité de retard » et réajusté certains de ses articles.
Ces deux précédentes lois prévoyaient un taux de pénalité de 10% du montant TTC des factures, tombé depuis à 7% applicable sur le montant TTC sans « prorata temporis ».
Elles donnaient l’obligation aux fournisseurs de réclamer cette indemnité de retard au-delà de 90 jours.
Dans la pratique, rare ont été les fournisseurs qui l’ont appliqué, faute de perdre leurs clients même si le fisc lors de ses contrôles le leur a reproché du fait du montant que l’indemnité représentait.
La nouvelle loi 6921qui est venue abroger les deux dernières n’a maintenu qu’un seul article qui prévoit la possibilité de regrouper les entreprises mauvais payeurs et de les envoyer à l’administration pour pointer du doigt leur mauvais comportement.
Les commerçants au sens large sont concernés par la loi 6921, les industriels, les artisans, prestataires de services marocains ou étrangers domiciliés au Maroc et y exerçant leur activité.
Le délai de paiement dit de droit commun est défini par l’article 782 de la Loi 6921 qui exige par ailleurs que les commerçants définissent dans leurs transactions commerciales un délai de paiement de 120 jours au maximum.