La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, le 16 juin 2022
La Banque centrale européenne (BCE) va augmenter jeudi ses taux d’intérêt pour la première fois en plus de dix ans face à l’inflation galopante, marquant un tournant majeur après une longue période d’argent facilement accessible dans la zone euro.
Mais elle doit faire dans le même temps attention à ne pas aggraver la crise économique qui sévit dans une zone euro déjà fragilisée les problèmes énergétiques et la crise politique ouverte en Italie.
Le Premier ministre, Mario Draghi, a remis jeudi sa démission au président italien. Avec son pédigrée d’ancien président de la BCE, il était perçu comme un facteur de stabilité par les marchés.
L’institution francfortoise a déjà annoncé son intention de relever ses taux, se disant déterminée à ramener l’inflation à 2% sur le moyen terme comme l’exige son mandat.
La seule question qui se pose est l’ampleur qu’aura ce relèvement: seulement un quart de point de pourcentage comme indiqué en juin ou, comme le pensent un nombre croissant d’experts, 50 points de base directement?
Cette dernière option signifierait la fin de l’ère des taux négatifs entamée en 2014.
Un taux de -0,5% est aujourd’hui appliqué sur une partie des dépôts bancaires dormant à la BCE, une mesure incitant à distribuer du crédit et donc contribuer à faire remonter l’inflation.
– Inflation au sommet –
Or l’inflation en zone euro ne cesse de grimper sous l’effet conjugué de la reprise post-Covid, des tensions sur les chaînes d’approvisionnement et de la crise énergétique liée à l’offensive russe en Ukraine.
Le taux d’inflation a atteint 8,6% en juin sur un an et devrait encore monter dans les mois à venir.
Les acteurs de marché parient sur une action « résolue » de la BCE, comme en témoigne la récente remontée de l’euro face au dollar, après avoir évolué à parité.
Pourquoi « patauger avec une hausse de 25 points de base et attendre septembre afin de le sortir du territoire négatif? », se demande Antoine Bouvet, spécialiste des taux chez ING.
Il est « difficile d’imaginer passer l’été avec des taux négatifs quand l’inflation de la zone euro va continuer d’augmenter », renchérit Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires d’Allianz Global Investors.
Les gardiens de l’euro vont devoir toutefois piloter avec prudence ce resserrement du crédit, à un moment où les craintes d’une nouvelle crise de la dette refont surface avec les incertitudes politiques italiennes.
Le départ de M. Draghi pourrait entraîner une dissolution du Parlement et des élections anticipées cet automne.
– Ecarts de taux –
Sa démission a immédiatement fait redécoller le taux d’emprunt italien sur le marché, à quelques heures d’une conférence de presse où la BCE va détailler les contours d’un bouclier « anti-fragmentation » de la zone euro.
Ce dernier a été conçu pour aplanir les écarts entre taux d’emprunt, ou « spreads », entre pays emprunteurs sans risque, comme l’Allemagne, et d’autres plus fragiles.
La BCE argumente que ces « spreads » gênent la transmission adéquate de sa politique monétaire. Mais des conditions strictes d’utilisation doivent être définies, les gardiens de l’euro n’ayant pas le droit d’aider budgétairement les gouvernements.
Or « une crise politique auto-infligée en Italie est le cas d’école où la BCE ne devrait pas intervenir », prévient Frederik Ducrozet, chef économiste chez Pictet Wealth Management.
– Les États-Unis précurseurs –
En renchérissant le coût du crédit, pour la première fois depuis 2011, la BCE va emboîter le pas à d’autres banques centrales dans le monde.
La Réserve fédérale américaine a augmenté ses taux d’intérêt depuis mars et sa fourchette pour le taux des fonds fédéraux, désormais entre 1,5 et 1,75%, pourrait être relevée de 75 points de base fin juillet.
En zone euro, la crise du gaz complique la tâche de la BCE.
Le gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne a certes redémarré jeudi après dix jours de maintenance, mais à un débit diminué comparé à celui précédant les travaux et qui représentait lui-même 40% des capacités depuis la mi-juin.
Un arrêt complet des livraisons de gaz par Moscou plongerait la zone euro dans la récession et une hausse trop rapide des taux aggraverait la situation.