Le Maroc compte aujourd’hui 680 000 personnes autistes, dont 216 000 enfants. La 15ème édition de la Journée Mondiale de Sensibilisation à l’Autisme organisée par l’ONU le 2 avril, sous le thème d’une éducation inclusive de qualité pour tous, un combat que mène l’association VAINCRE L’AUTISME depuis sa création, il y a 20 ans. A cette occasion, VAINCRE L’AUTISME lance sa Campagne médiatique internationale « 1 ENFANT SUR 50 NAÎT AUTISTE » au Maroc pour le mois d’avril (mois de l’Autisme) dont le but est de sensibiliser sur les prévalences actuelles de l’Autisme et sur les solutions de prise en charge adaptées, que l’association déploie au Maroc. Rencontre avec le président de l’association VAINCRE L’AUTISME, M’hammed Sajidi.
La Nouvelle Tribune : Depuis la création de votre association VAINCRE L’AUTISME, avez-vous constaté un changement dans la vie des victimes de cette maladie au Maroc, ainsi que de la façon dont cette pathologie est considérée dans le Royaume ?
M’hammed SAJIDI : Tout d’abord, je tiens à rappeler que l’association portait le nom de “Léa pour Samy” de 2002 à 2010; et à partir de 2010, elle est devenue VAINCRE L’AUTISME MAROC”. Le premier congrès national sur l’autisme, organisé par VAINCRE L’Autisme en 2004 a permis de sortir l’Autisme de l’anonymat dans notre pays. Plusieurs campagnes d’information, de sensibilisation, et de formation ont vu le jour et ont été clôturées avec la publication par l’association du Rapport 2009 sur la situation de l’autisme au Maroc. La réaction du gouvernement en place a été dans le sens d’une concertation avec les associations sur une stratégie de prise en charge de l’autisme. Cependant, le pays ne dispose pas encore d’un véritable plan ni de budget octroyé au financement de la prise en charge de l’Autisme et les familles continuent d’être isolées, vouées à se débrouiller seules face à l’autisme de leurs enfants. Le constat est plus optimiste du côté des formations pour les professionnels qui commencent à émerger et sur l’augmentation du nombre de diagnostics précoces. En l’absence d’étude épidémiologique, le Maroc ne dispose pas de chiffre sur le nombre d’enfants autistes. Selon les prévalences internationales, le Maroc compte 680 000 personnes autistes dont 216 000 enfants, avec un taux de naissance estimé à 12 800 par an, soit 35 naissances par jour ; au vu de ces prévalences, il devient urgent que le gouvernement mette en place un premier plan de prise en charge pour l’autisme.
En quoi consiste la grande campagne de communication que vous avez lancé ce mois-ci? Quels sont ses objectifs ?
Depuis 2013, VAINCRE L’AUTISME alerte sur l’augmentation des prévalences de l’autisme au niveau mondial et annonce le taux de naissance à 2%, chiffre reconnu aujourd’hui dans les dernières études des pays les plus développés. Cette campagne a donc pour premier objectif d’informer sur les prévalences actuelles de l’Autisme qui n’ont fait qu’augmenter ces dernières années. En effet en 20 ans, nous sommes passés d’1 naissance sur 1000 à une naissance sur 100, pour 1 naissance sur 50 aujourd’hui.
Cette augmentation des prévalences ne s’accompagne pas nécessairement, et malheureusement, avec la création de dispositifs adaptés pour prendre en charge le nombre croissant d’enfants atteints d’autisme. Pourtant, il est reconnu internationalement que la personne autiste a besoin d’une éducation structurée, adaptée et permanente, cela nécessite donc le développement de structures éducatives innovantes appuyées sur l’hétérogénéité de l’autisme et des troubles du spectre autistique. Le deuxième objectif de la campagne est donc de mettre en lumière les solutions adaptées aux besoins des enfants autistes. Développées par l’association, elles sont aujourd’hui évaluées d’excellence, largement plébiscitées par les familles et prêtes à être déployées à grande échelle. Pour se faire, VAINCRE L’AUTISME entame des actions auprès des pouvoirs publics et des institutions pour engager des partenariats et sollicite l’appui de mécènes et de partenaires privés pour aider au développement de ces solutions. Finalement, cette campagne répond au double objectif, en s’inscrivant dans l’ADN de VAINCRE L’AUTISME, à savoir maintenir son rôle de lanceur d’alerte sur les prévalences en perpétuelle augmentation et lancer l’avenir avec des solutions innovantes de prise en charge pour que les enfants autistes vivent vraiment mieux.
Souvent les parents ne se rendent pas compte que leur enfant est atteint d’autisme. Quels sont selon vous, les premiers signes de cette maladie ?
Dès l’âge de bébé, l’enfant ne réagit pas avec sa maman et il ne fait pas d’interaction, fuit le regard, fait des gestes répétitifs où il va marcher sur la pointe des pieds, où il va éteindre et rallumer la lumière souvent, où il va regarder les jouets d’une façon pas normale où il va aligner les petites voitures ou des jouets qu’il aime, il ne répond pas à son prénom quand on l’appelle. En général, il a souvent des intérêts restreints. Il peut prendre la main de l’adulte pour montrer ce qu’il veut, peut pour x raison rire tout seul ou être en colère alors que l’on ne connaît pas la raison. Il a des troubles du sommeil la nuit et peut faire des crises pour un oui ou pour un non. Chacun l’exprime à sa façon, en tout cas le comportement apparaît inadapté. Il peut s’automutiler ( se pincer, se mordre, se taper la tête, etc.) ou peut faire des gestes agressifs. L’ensemble de ces comportements sont liés à un déficit de la communication. Dans ces cas-là, il y a besoin de faire un diagnostic précoce.
Quant à lui, l’autisme est un trouble neurologique qui affecte le fonctionnement du cerveau, le système immunitaire et biologique, qui altère les capacités de reconnaissance des expressions, des codes sociaux et affectifs et qui génère hypersensibilité émotionnelle et troubles du comportement. Il est important de dépister précocement pour mettre en place le plus rapidement des traitements éducatifs qui permettront le développement de l’enfant.
Vous encouragez le corps médical à éviter les méthodes de masse et à plutôt privilégier le suivi et le traitement cas par cas. Pourquoi proposez-vous ce type de procédé ?
L’expérience de ce travail par l’association a démontré que quand on s’occupe de personnes autistes, nous allons faire une évaluation précise et mettre en place un programme éducatif thérapeutique et adapté au cas par cas. Cette approche marche pour tous les enfants, quel que soit leur âge. Pourquoi nous conseillons cela, c’est que les professionnels ne sont pas formés à ces prises en charges spécifiques et adaptées. Leurs formations consistent en des thérapies ou des traitements et une prise en charge de groupe souvent difficile à suivre pour les personnes autistes, raison pour laquelle il y a souvent des échecs de prise en charge et il n’y a pas de développement des enfants voir même une dégradation de leurs situations.
Le système juridique au Maroc néglige cette pathologie, ce qui constitue un réel frein pour la vaincre. Comment faire évoluer la question de l’autisme en matière de droit au niveau national ?
Je rappelle que l’autisme est un problème grave de santé publique. 1 naissance sur 50. 35 naissances par jour. Ce qui fait qu’il y a besoin d’une politique de santé publique adaptée qui lutte contre l’impact de la maladie sur la santé publique. Actuellement, il y a une absence d’état de droit. Cette absence se constitue par l’absence de reconnaissance de l’autisme et de ses besoins spécifiques et notamment de son traitement et aussi la formation des professionnels adaptés à cette pathologie pour pouvoir les aider. Pour les personnes autistes, il y a des spécialistes formés à des compétences précises qui traitent les problématiques de l’autisme. Actuellement, au Maroc nous n’avons pas de reconnaissance, de prise en charge donc nous n’avons aucun remboursement par la sécurité sociale, aucune mutuelle au Maroc ne rembourse la prise en charge; les parents sont seuls à financer quand ils le peuvent. Raison pour laquelle l’Etat doit absolument mettre en place une législation adaptée à l’autisme mais qui ne porte pas atteinte aux droits communs c’est-à-dire que les enfants doivent accéder à l’école, aux besoins et aux soins ordinaires comme tous les autres enfants, mais qu’ils aient le complément nécessaire pour leur particularités. Cette loi doit d’abord décréter la mise en place d’un plan pour la prise en charge de l’autisme avec des mesures pour la réalisation d’une étude épidémiologique afin de connaître le nombre d’autistes et une étude médico-économique de l’autisme: combien coûte-t-il au Maroc ? qui comprend notamment les familles et la mise en place d’une stratégie nationale de prise en charge avec une politique de création d’établissements, de formation des professionnels, qui s’inscrit dans le cadre des nouveaux métier à savoir: des intervenants, des psychologues spécialisés, des superviseurs des analystes du comportement, des school-coach, home-coach, Job-coach et/ou Life coach etc.
Propos recueillis par Zainab M’barki