Le bâtiment de l'ambassade des États-Unis à La Havane, le 29 septembre 2017
Le consulat américain à Cuba, fermé depuis 2017 en raison de supposés incidents de santé ayant touché des diplomates, va reprendre la délivrance de visas de manière « limitée » et « progressive », au moment où l’île est confrontée à un exode migratoire.
« Nous sommes heureux d’annoncer que l’ambassade des États-Unis à La Havane va commencer la reprise limitée de certains services de visas pour les migrants, dans le cadre d’une extension progressive des services de l’ambassade », a déclaré jeudi Timothy Zuñiga-Brown, chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis à La Havane, s’exprimant en espagnol face à la presse.
Cette mesure, qui s’accompagnera d’un retour à Cuba d’un nombre plus élevé de diplomates américains, visera à « faciliter l’engagement diplomatique, l’engagement envers la société civile (cubaine) et une prestation plus large de services consulaires », a-t-il ajouté, sans donner de date précise.
« Les services de visas pour les migrants sont une voie sûre et légale pour la réunification des familles » séparées entre Cuba et États-Unis, a-t-il insisté.
L’annonce survient alors que, sous l’effet de la pandémie et du renforcement des sanctions américaines, Cuba traverse sa pire crise économique en 30 ans, poussant nombre d’habitants à chercher à émigrer à tout prix, certains par la mer mais la majorité par l’Amérique centrale, pour remonter jusqu’à la frontière américaine.
Un exode dangereux et compliqué par la fermeture du consulat en septembre 2017, ordonné par Donald Trump en raisons de supposés incidents de santé (migraines, vertiges, troubles de la vision…) – surnommés « syndrome de La Havane » – ayant touché des diplomates en poste sur l’île.
Pour les Cubains, l’obtention d’un visa pour les États-Unis est alors devenue une course d’obstacles, avec l’obligation de passer par un pays tiers, à ses frais, pour faire sa demande.
– Le Guyana, en attendant –
« Pendant que nous travaillons pour atteindre cet objectif, l’ambassade à Georgetown, au Guyana, continuera d’être le lieu principal de traitement des demandes de visas des migrants cubains », a précisé le chargé d’affaires jeudi.
L’interruption du service consulaire « a affecté beaucoup de gens économiquement », obligés d’aller demander leur visa au Guyana, racontait justement à l’AFP, peu avant l’annonce, Nélida Bartolon, employée de 48 ans.
« Il y a beaucoup de gens qui veulent partir, qui prennent un canot pour aller là-bas (aux États-Unis, ndlr) ou en passant par un pays tiers », témoignait aussi Felipe Mesa, retraité de 75 ans.
Pour le politologue Rafael Hernandez, les États-Unis ont bafoué « délibérément » l’accord migratoire avec Cuba, qui prévoyait l’attribution de 20.000 visas annuels.
On assiste donc à « une sorte de Mariel silencieux », dit-il en référence à la crise de 1980, quand des milliers de Cubains avaient pris la mer pour s’exiler, en partant depuis le port de Mariel, près de La Havane.
Le nombre de Cubains sans papiers sur le territoire américain a explosé entre 2019 et 2020, passant de 21.000 à 40.000, explique-t-il.
La forte réduction du personnel diplomatique américain à Cuba reflète aussi les tensions entre les deux pays à partir de l’arrivée à la Maison blanche de Donald Trump, qui a mis fin à la politique d’ouverture de son prédécesseur Barack Obama, artisan du rétablissement des relations diplomatiques bilatérales en 2015.
– Pas d’ouverture –
Avec l’arrivée du démocrate Joe Biden en 2021, le gouvernement cubain espérait que les choses s’améliorent, en vain.
La réouverture du consulat « n’a rien à voir avec la volonté de reprendre la politique d’Obama », estime Rafael Hernandez, il s’agit simplement de « faire marche arrière après les atrocités commises » par Trump.
Michael Shifter, président du groupe de réflexion Dialogue Interaméricain, basé à Washington, est du même avis. « Ce serait une erreur d’interpréter (un tel geste) comme le début d’une ouverture significative envers l’île ».
C’est plutôt une décision soutenue par les républicains comme les démocrates, « sans coût politique pour l’administration Biden ».
Et, face à la possibilité que les démocrates perdent le contrôle des deux chambres lors des élections de mi-mandat en novembre, « il est difficile d’imaginer qu’il y ait d’autres changements » du gouvernement américain vis-à-vis de Cuba.
Surtout après les nombreuses critiques formulées ces derniers mois par Washington pour dénoncer les lourdes peines infligées aux manifestants du 11 juillet 2021.
Jeudi, un haut responsable de l’ambassade a rappelé, à propos du retour de diplomates américains à Cuba, que « la sécurité de notre personnel est d’une importance primordiale », alors que le syndrome de La Havane reste à ce jour inexpliqué par les scientifiques, qui ont multiplié les hypothèses.
LNT avec Afp