Professeur Michel Bouvier
Depuis de nombreuses années déjà, le partenariat entre la Trésorerie Générale du Royaume et la fondation Internationale des Finances Publiques (Fondafip) produit des réflexions aussi pertinentes qu’orientées sur des problématiques actuelles. Ainsi, après un webinaire organisé en fin d’année dernière sur le consentement à l’impôt, la TGR et la Fondafip, en partenariat avec la Revue française de Finances publiques, ont abordé de nouveau un sujet d’une grande importance dans le contexte, d’un côté, de la relance post-covid, et de l’autre, des discussions autour du nouveau modèle de développement, à savoir : « Financement de la recherche au Maroc et la France : Quelles perspectives ? ». Dans un contexte mondial qui est souvent décrit comme une « économie du savoir », les intervenants ont apporté des points de vue et pistes de réflexion riches et innovants, sur lesquels pourront sans nul doute s’appuyer les décideurs publics et privés.
« La recherche est l’un des grands moteurs de développement des pays. Et par ‘recherche’, j’entends bien évidemment ‘recherche scientifique’ dans son acception la plus large, qui inclut toutes les composantes de la recherche, tous les domaines et toutes les disciplines : scientifiques, technologiques, économiques, culturelles, artistiques, philosophiques… », a déclaré M. Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume, dans son allocution d’ouverture. « Il existe peut-être aujourd’hui de nouvelles pistes à explorer, de nouveaux modes de financement qu’il serait utile de mettre à contribution. Le crowdfunding en fait certainement partie. Des plateformes de crowdfunding pourraient, ainsi, être dédiées au financement de la recherche, à l’image de celles qui existent déjà dans le domaine de la recherche médicale », a-t-il précisé, rappelant l’adoption courant 2018, d’une loi sur le financement collaboratif (loi 52-18), qui pourrait servir de cadre juridique à ce type de montage financier pour les projets de recherche.
Des dépenses encore insuffisantes
Les intervenants n’ont pas manqué de souligner que les dépenses intérieures de recherche et développement au Maroc, rapportées au PIB, se situent à environ 0,8% en 2020. Si le Royaume a fait des progrès à ce niveau, sachant que ce taux se situait autour de 0,3% il y a vingt ans, on reste loin de certains pays similaires, et surtout des champions en la matière, comme la Corée du Sud et ses 3% du PIB consacrés à la recherche. Une augmentation du volume des investissements est primordiale, mais les Etats ne peuvent en aucun cas assumer seuls ces dépenses. Le secteur privé a donc un rôle important à jouer pour soutenir la recherche, et la relation entre le monde de l’entreprise d’un côté, et celui de la recherche de l’autre, doit être une relation de symbiose, mutuellement profitable et, par-dessus tout, bénéfique pour le développement du pays, a-t-on dit, si ces mécanismes sont suffisamment bien structurés et régulés.
De son côté, le professeur Michel Bouvier, président de FONDAFIP et directeur de la RFFP, a indiqué que la recherche est d’autant plus importante avec le contexte actuel « pour fonder les politiques publiques que nous aurons à mener dans les années à venir ». Ainsi, il a précisé qu’ »il n’y a pas d’innovation sans recherche et il n’y a pas de développement économique sans innovation ». Comme les autres intervenants, le Pr Bouvier a mis l’accent sur la nécessité de trouver une articulation « solide » entre les secteurs public et privé, estimant que la recherche doit ainsi bénéficier d’une synergie entre les deux parties par tous les moyens possibles.
Le professeur Mostapha Bousmina, Chancelier de l’Académie Hassan II des sciences et techniques et président de l’Université Euromed de Fès (UEMF), a souligné quant à lui le besoin de continuité de la politique d’enseignement supérieur-recherche-innovation, mettant en avant quelques axes prioritaires en termes de la recherche et de l’innovation durant le post-coronavirus, à savoir : santé, médecine et biomédical ; digital, intelligence artificielle ; agriculture, énergie-eau ; automobile, aéronautique, agroalimentaire ; textile, électronique, logistique, etc. M. Bousmina a insisté aussi sur la poursuite des réformes engagées en la matière qui sont, d’après lui, « sur la bonne voie », passant en revue les axes stratégiques du système de recherche-innovation à savoir, la gouvernance, les Ressources humaines, le système d’innovation, le financement et l’évaluation.
Encourager les entreprises
À l’occasion d’un panel sur les sources de financement pour la recherche, la directrice du Centre national pour la recherche scientifique et technique (CNRST), Jamila El Alami, a souligné que le développement de celles-ci passe par l’introduction d’un package d’incitations à la recherche et développement (R&D), destiné à encourager les entreprises à investir et réaliser des programmes de R&D. Ces incitations devraient concerner, entre autres, les crédits d’impôt R&D via la réduction d’impôt égale à un pourcentage du montant des dépenses en R&D réalisées au cours de l’exercice, a expliqué Mme El, précisant qu’il s’agit aussi de l’exonération de l’impôt sur les sociétés (IS) sur les dépenses R&D des entreprises externalisant leurs travaux de R&D dans une structure de recherche publique et l’exonération de l’impôt sur le revenu (IR) sur les salaires des doctorants. Elle a également mis en avant la déduction fiscale des revenus issus de l’exploitation de brevets résultant de la valorisation des travaux de R&D menés par des entreprises industrielles, ainsi que les mécanismes de financement (remboursable) pour appuyer la commercialisation des projets d’innovations.
Concernant les jeunes entreprises innovantes, la directrice du CNRST a préconisé un cadre juridique stimulant, le « Small Busines Act Marocain », qui permettrait aux startups de minimiser les facteurs de risque élevés associés à leurs activités et bénéficier d’un financement en toute simplicité, d’encourager la commercialisation en activant la commande publique, d’avantages fiscaux particuliers et de relations privilégiées avec les structures publiques de recherche.
Au volet de la gouvernance et de la mobilisation des institutionnels, Mme El Alami a souligné l’importance de doter les structures de valorisation de la recherche et de l’innovation d’un cadre juridique adéquat, notamment en termes de simplification des transactions avec les entreprises et de mettre en place des structures d’aide au montage et à la gestion des projets de recherche.
Il est question également d’assouplir les procédures de gestion administrative et financière des projets de recherche et de mécanismes simples de valorisation des résultats de la recherche émanant des appels à projets, a-t-elle ajouté.
Parallèlement, les panélistes ont recommandé d’assurer une coordination avancée entre les départements ministériels et d’asseoir une gouvernance Public-Privé relative au système national de recherche et d’Innovation (SNRI), soulignant l’importance d’une plateforme cohérente de financement de la recherche scientifique et l’innovation, à travers une agence de moyens indépendante capable de mobiliser des ressources locales et internationales, un conseil scientifique indépendant, constitué de sommités mondiales et de représentants des secteurs industriels marocains, arbitrant les thématiques de R&D en se basant sur l’excellence, outre un fonds de financement orienté directement vers les inventeurs et les chercheurs et géré par le conseil scientifique.
Selim Benabdelkhalek