Zainab Fasiki / JAWJAB
Produite et diffusée par le studio créatif JAWJAB à l’occasion du 8 mars, la websérie #TaAnaMeToo donne la parole à des Marocaines victimes de viols, à travers une série de témoignages illustrés par des artistes. Des témoignages authentiques, courageux et qui pourraient faire des émules.
« Jamais je n’aurais pensé pouvoir livrer publiquement mon témoignage, c’est à la fois un soulagement pour moi, mais aussi une grosse souffrance de me replonger dans ce passé que j’essaye d’oublier’: C’est ainsi que Rabia (le nom a été modifié pour préserver l’anonymat de la victime) s’est livré, au moment où la journaliste Zainab Aboulfaraj a recueilli son témoignage il y a quelques mois de cela, ainsi que celui de trois autres femmes victimes de viols.
Quatre femmes, quatre victimes… et quatre drames. Tous tus, pendant des années, sous la pression d’une société culpabilisatrice, des menaces, du qu’en dira-t-on… Pour la première fois donc, les protagonistes de la série #TaAnaMeToo témoignent, et brisent l’omerta sur le sujet du viol, qu’elles ont endurés, dans le cadre familial, au travail, parce que vulnérables, parce que totalement démunies…
Briser le silence… anonymement
Mais qu’on ne se voile pas la face, il reste encore beaucoup de chemin au Maroc pour que les victimes de viol puissent témoigner à visage découvert. Il en va en effet de leur sécurité… C’est donc pour préserver l’anonymat de ces femmes qui ont eu le courage de se livrer que le parti a été pris de diffuser ces témoignages, tous plus percutants les uns que les autres, et de solliciter des artistes marocain.e.s afin qu’ils.elles les mettent en images. La vocation de JAWJAB, en tant que média, n’est pas tant d’initier un mouvement, mais simplement de donner un maximum de résonance à celles qui ont fait le choix de parler, de faire en sorte qu’elles soient désormais écoutées par la société marocaine.
Méfiance et refus
La websérie repose sur des témoignages authentiques, récoltés auprès de victimes de viol. La journaliste Zaïnab Aboulfaraj est allée à la rencontre de chacune d’entre elles, et a dû gagner leur confiance, et celle des associations qui leur viennent en aide: « Le recueil des témoignages a pris beaucoup de temps. A chaque fois que je m’adressais à telle ou telle association, je me retrouvais confrontée à beaucoup de méfiance, voire à des refus. Les associations avaient peur de faire revivre aux victimes leurs traumatismes. Quand bien même certaines acceptaient, je n’arrivais pas forcément à convaincre les femmes de parler, bien que je leur assurais l’anonymat ». C’est finalement grâce à l’association Tahaddi que nous avons pu rencontrer des victimes qui ont accepté de parler. « il faut saluer ces femmes, c’est grâce à elle que cette websérie a vu le jour. Nous ne sommes qu’un haut-parleur »: explique Youssef Ziraoui, producteur de la websérie, et directeur général du studio créatif JAWJAB, filiale d’Ali n’ productions, fondé par le cinéaste Nabil Ayouch.
Des images sur les maux
JAWJAB a confié l’illustration des témoignages à plusieurs jeunes talents marocains : Meryem Ait Aghnia, Ossama Abbassi, Nass Reda-Fathmi, ou encore Zaïnab Fasiki, connue pour son travail en tant qu' »activiste », comme elle aime à se qualifier, qui combat le patriarcat par le dessin.
« J’ai toujours entendu parler d’histoires pareilles, mais c’est la première fois que je me retrouve à travailler dessus, et au début, j’ai fait face à un blocage tant émotionnel qu’artistique. Je suis habituée à représenter la femme en tant qu’héroine, jamais en tant que victime. L’art est pour moi une thérapie, je dessine la libération et le triomphe pour me sentir mieux, confie-t-elle. Dessiner une capsule de viol m’a renvoyée vers ce que je cherche à soigner et c’était pour le moins, éprouvant Cependant, c’était important de le faire car le tabou doit être brisé, ces histoires doivent être racontées, ces femmes doivent être écoutées, et d’autres doivent être encouragées à parler »
D’autant qu’on ne parle pas ici d’un épiphénomène, loin s’en faut.
Des chiffres et des lois
Une personne sur deux. C’est la proportion de femmes marocaines qui déclarent avoir été victimes de violence, selon une enquête du ministère de la famille datée de 2019. Et dans 30% des cas, il s’agissait de viols. Tristes statistiques, à plus forte raison quand on sait qu’à peine 6,6% des ces victimes ont porté plainte. La raison est probablement à chercher du côté des textes législatifs. Selon l’article 486 du code pénal, le viol est défini comme « un acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci ». Sauf que la charge de la preuve revient à la plaignante, et qu’il est tout sauf évident pour les victimes de viol de prouver qu’elles ont été abusées. Pire encore, les victimes sont même susceptibles d’être accusées d’avoir pris part à une relation sexuelle hors mariage, et d’être emprisonnées, en vertu de l’article 490 du code pénal marocain, qui punit « de l’emprisonnement d’un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles ».
Cdp