Pour l’immense majorité du secteur financier, le premier contact avec la technologie blockchain (voir encadré) a eu lieu en 2009, avec l’apparition des bitcoins, cette crypto-monnaie hautement volatile qui a fait couler beaucoup d’encre cette dernière décennie. La réaction des acteurs traditionnels, et surtout des organismes étatiques et des régulateurs, a globalement été très négatives, car ils voyaient face à eux une nouvelle devise entièrement hors de leur contrôle, présentant de très gros risques pour les investisseurs, avec peu de moyen de tracer les transactions.
10 ans après, la donne est toute autre. De grands groupes bancaires internationaux comme JP Morgan, Citigroup et le Crédit Suisse investissent massivement dans des solutions blockchain. Selon le groupe bancaire Santander, la technologie pourrait représenter des économies de 20 milliards $ par an. Selon Capgemini, les clients pourraient économiser jusqu’à 16 milliards $ par an de frais bancaires et d’assurance. Le G7 lui a dédié un groupe de travail, et même la BCE étudie la possibilité d’émettre une monnaie numérique basée sur la blockchain.
Les grands principes de la blockchain
Une base de données distribuée
Chaque partie sur une blockchain a accès à l’entière base de données et son historique complet. Aucune partie unique ne contrôle les données ou l’information. Chaque partie peut vérifier l’historique de ses contreparties directement, sans intermédiaire.
Des transmissions de pair à pair
Les communications ont lieu directement entre pairs plutôt qu’à travers un nœud central. Chaque nœud store et transmet l’information à tous les autres nœuds.
La transparence avec une pseudo-anonymité
Chaque transaction et sa valeur associée est visible par quiconque a accès au système. Chaque nœud, ou utilisateur, sur une blockchain dispose d’une adresse alphanumérique unique de plus de 30 caractères qui l’identifie. Les utilisateurs peuvent choisir de rester anonymes ou de fournir des preuves de leur identité aux autres. Les transactions se font entre adresses blockchain.
Irréversibilité des enregistrements
Une fois qu’une transaction est inscrite dans la base de données et que les comptes sont mis à jour, les enregistrements ne peuvent être altérés, parce qu’ils sont liés à tous les enregistrements de transaction antérieurs (d’où le terme « chaine »). Différents algorithmes et calculs sont déployés pour assurer que les enregistrements sur la base de données sont permanents, en ordre chronologique, et accessibles à tous les membres du réseau.
Logique informatique
La nature digitale du registre signifie que les transactions blockchain peuvent être liées à une logique informatique, et donc programmées. Les utilisateurs peuvent donc mettre en place des algorithmes qui déclenchent automatiquement les transactions entre nœuds.
La Fintech, dont la blockchain est l’élément le plus disrupteur, représente un levier de croissance et d’inclusion financière très précieux pour les économies émergentes. L’institut Mckinsey estime, dans un rapport de 2016, le potentiel de la Fintech dans les économies émergentes à l’horizon 2025 à 6% de PIB additionnel, ou 3,7 trillions de dollars, et à 95 millions de nouveaux emplois. Même si ces chiffres peuvent être considérés comme optimistes, il est indéniable qu’ils donnent le vertige.
Un grand pas en avant pour l’inclusion financière
A l’occasion du 2ème Africa Blockchain Summit, organisé jeudi 21 novembre par Bank Al-Maghrib et Paris Europlace, en collaboration avec HPS et Talan, les intervenants ont particulièrement insisté sur l’impact de cette technologie sur l’inclusion financière. Selon Abdellatif Jouahri, Wali de BAM, «le Maroc, pour sa part, compte saisir la porte de la fintech dans le cadre de sa stratégie nationale d’inclusion financière, […] qui vise à garantir un accès équitable pour l’ensemble des individus à des produits et services financiers formels pour une utilisation adaptée à leurs besoins et moyens». Et d’ajouter que le Royaume voit deux axes principaux pour les fintechs : le développement de modèles alternatifs pour atteindre les populations, et la création des conditions d’un plus grand usage de produits financiers, pour ancrer l’inclusion financière dans les comportements des ménages».
En effet, pour des prestations comme les allocations sociales, la blockchain, avec sa force de désintermédiation, permet de mieux cibler les populations auxquelles s’adressent ces aides, et de les distribuer directement, rapidement, et en toute transparence. Selon le think tank européen Pour la Solidarité, «la blockchain en tant que registre distribué permet à une communauté de membres de s’autoorganiser de manière responsable et transparente, et facilite les démarches administratives et de comptabilité, ce qui correspond parfaitement aux besoins des organisations de l’économie sociale».
De nombreux exemples d’utilisation de la blockchain pour l’inclusion financière existent déjà. On peut citer Union bank aux Philippines. Dans le pays, de nombreuses banques communautaires ne sont pas connectées à la banque centrale ni aux systèmes de paiement en ligne. Le projet connecte plus de 100 banques régionales, mettant à leur disposition une version digitale du peso philippin afin de leur permettre des transferts d’argents très peu chers et en quelques minutes. Bien évidemment, cette monnaie digitale n’est jamais entre les mains des clients finaux.
Petit lexique
Tokenisation : C’est le transfert d’actifs « réels » vers la blockchain. Par exemple, pour tokeniser 1 million de dollars, l’émetteur doit d’abord obtenir la permission du régulateur, puis déposer le montant dans un compte en banque, et enfin émettre un million de tokens, chacun valant un dollar. La tokenisation concerne principalement la monnaie, mais des applications sont à l’étude pour tout type d’actif : immobilier, objets d’art, etc.
Stable Coin : Une stable coin est littéralement une crypto-monnaie stable. Le fonctionnement d’un stable coin est simple. Si le prix du bitcoin est à 6 000 dollars et que vous échangez 1 bitcoin contre du stable coin adossé au dollar, vous aurez donc 6 000 unités de ce stable coin. Si le cours du bitcoin descend à 5 000 dollars, vous aurez toujours 6 000 dollars en stable coins. A contrario, si le bitcoin monte à 7 000 dollars, vous ne détiendriez toujours que 6 000 dollars en stable coins. Une vingtaine de stable coins existent à ce jour, et de nombreux projets sont en développement.
La tokenisation (voir encadré) ouvre également les portes des marchés financiers à de nombreux petit porteurs. Par exemple, une action Amazon, qui coûte environ 2000$, peut être tokenisée, et les petits porteurs peuvent en acquérir des parts à partir de quelques dollars. Cela peut ouvrir la porte des marchés des capitaux, ou de plateformes d’actifs tokenisés, à une myriade de nouveaux investisseurs potentiels.
Transparence et économies
Selon Alain Pithon, Secrétaire Général de Paris Europlace, la finance est le 1er marché pour la blockchain et les revenus générés par cette technologie devraient dépasser 100 milliards $ en 2024, plus de 400 milliards en 2030, contre seulement 2 milliards en 2017. En effet, comme nous l’avons déjà expliqué, la blockchain permet une bien plus forte transparence des transactions. Selon une étude de PwC, 45% des intermédiaires financiers souffrent de crimes économiques chaque année. Ainsi, le coût de la régulation ne cesse d’augmenter, inquiétant à la fois les banquiers, et les clients qui en supportent les frais. Cela vient principalement du fait que le système financier reste archaïque sur beaucoup de points. Selon une étude de Harvard Business School datant de 2017, c’est un amas de technologies industrielles, et processus basés sur le papier, le tout enrobé dans le digital. La blockchain offre ainsi la possibilité d’une refonte totale de ces processus.
Selon Ken Timsit, Managing director de ConsenSys, «le vrai usage n’est pas de mettre à plat les systèmes régaliens, mais de donner aux entreprises et gouvernements une technologie permettant de simplifier leurs opérations ». Ainsi, les organismes de régulation ont bien compris qu’une blockchain contrôlée et dont les acteurs sont connus est une opportunité à saisir. Si elle pose des questions difficiles aux régulateurs (faut-il réguler la technologie ou ses effets ? les cryptoactifs changent-ils les règles de la propriété ? les stables coins remettent-elles en cause la souveraineté des banques centrales ?), une grande partie des banques centrales ont des projets ou déjà des services utilisant la blockchain, et plus de 60% des dirigeants de GE pensent que leur entreprise perdrait à ne pas adopter la technologie.
Et si certains pays pensent déjà à émettre une monnaie digitale (Monnaies Digitales de Banques Centrales – Central Bank Digital Currency), selon les spécialistes, l’aspect monétaire est très secondaire pour des pays émergents ou en voie d’émergence. Les applications, selon Pascal Agboyidor, Partner chez Asafo & Co, les applications, en plus de l’inclusion financière, pourraient toucher le commerce international : par exemple, dans l’industrie minière, la blockchain permettrait une vraie prise de conscience en ce qui concerne la traçabilité, pour s’assurer que les minerais ne proviennent pas de régions sous embargo, ou de mines faisant travailler des enfants. Avant de s’attaquer à la partie monétaire, il faudra d’abord s’attaquer au problème du cash, et trouver comment augmenter la capacité financière des gens qui font du parallèle parce qu’ils ne peuvent pas vivre avec ce qu’ils ont.
Enfin, les intervenants à l’Africa Blockchain Summit ont souligné que la technologie sera mature, et donc pleinement utilisable, d’ici 5 à 10 ans.
Selim Benabdelkhalek
Inclusion financière : BAM et HSP présentent une preuve de concept
BAM et HPS ont présenté, à l’occasion de l’Africa Blockchain Summit, un Proof of Concept (PoC) traitant d’un cas d’usage de la technologie Blockchain qui répond aux objectifs de la stratégie nationale d’inclusion financière. Adapté au contexte national, ce cas d’usage concerne la distribution ciblée des aides aux citoyens grâce à une chaîne distribuée entre les acteurs concernés, selon BAM. La solution permettrait aux consommateurs éligibles, préalablement identifiés par l’organisme de subvention, de bénéficier directement de leur subvention au moment de l’achat des produits concernés avec un règlement via une application de mobile paiement (M-Wallet) adossée à un compte bancaire ou de paiement. Ce schéma permettrait au client de bénéficier des prix subventionnés sans pour autant impacter la trésorerie du commerçant puisque la différence de prix est versée par la banque de l’organisme de subvention à la banque du commerçant. Ce cas d’usage vise à proposer une solution innovante pour améliorer la dématérialisation des flux relatifs aux subventions étatiques et favoriser l’adoption du paiement mobile par la population cible, explique-t-on.