La Loi-cadre sur l’Enseignement, instamment réclamée par le Souverain depuis 2016, présentée au Parlement en octobre 2018 par le ministre de tutelle, Saïd Amzazi, débattue (en vain) en commission depuis le début de janvier de la présente année, ne sera sans doute pas adoptée au sein de cette instance et il faudra attendre le mois d’avril pour espérer une issue positive.
Ce préambule, un peu sec, est destiné à faire comprendre au lecteur que pour nos « politiques », il n’y a nulle urgence en la matière, l’enseignement étant dans notre pays, en parfait état, comme en témoignent les taux de déperdition scolaire, les dizaines de milliers de chômeurs qui brandissent des diplômes totalement dévalorisés et rejetés par les éventuels employeurs, la masse critique atteinte dans les facultés « inutiles » (Sciences juridiques, sociales, Lettres, etc.), ou encore la désarticulation profonde et structurelle entre la formation dispensée par le Privé et celle par le Public.
De ces vérités incontestées et qui perdurent depuis des années, nos honorables parlementaires et les partis qui les actionnent n’en ont visiblement cure. Du moins plusieurs d’entre eux.
Car, l’essentiel n’est pas d’adopter un texte qui vaudra pour plusieurs années dans un domaine crucial pour le Maroc et l’avenir des jeunes générations, mais plutôt de se parer d’une posture politicienne, démagogique, populiste, électoraliste et, finalement, idéologique !
L’alliance des conservatismes
Mais où est le problème pourraient s’interroger des parents légitimement inquiets pour leur progéniture ?
Il réside, dit-on, dans le choix des langues d’enseignement, notamment pour les matières scientifiques et dans la définition des modules d’enseignement en « alternance », c’est-à-dire dans les véhicules linguistiques autres que nos deux langues officielles, l’Arabe et l’Amazigh.
Deux formations politiques majeures, le PJD, qui dirige la majorité parlementaire, et l’Istiqlal, qui constitue une part de l’opposition, se posent en défenseurs intransigeants de la langue arabe.
Les amis de M. Saad Eddine El Othmani récusent d’abord le choix du Français pour les matières scientifiques, la langue de Molière étant pour ces messieurs-dames l’outil de la dénaturation de notre identité nationale, de l’ouverture à l’occidentalisation et à tous les maux (moraux) qu’elle inocule.
Le PJD, qui, malgré tout, ne peut s’opposer radicalement à un texte qui a été approuvé en Conseil des ministres, pratique la guerre d’usure et les combats d’arrière-garde en proposant de substituer la langue de Shakespeare à celle de Victor Hugo.
Un exercice hautement improbable qui nous fait penser à la Reine Marie Antoinette qui, devant les cris et la colère des foules qui manifestaient pour du pain, proposa qu’on leur donne de la brioche…
L’Istiqlal, pourtant dirigé aujourd’hui par un homme jeune, ouvert, polyglotte et cultivé, M. Nizar Baraka, s’inscrit encore plus dans la radicalité et l’intransigeance, en récusant l’usage des langues étrangères, y compris dans les domaines scientifiques, au profit exclusif de l’Arabe, suggérant « l’arabisation du Savoir » à la place du Français et de l’Anglais pour l’enseignement de matières qui, dans le monde entier, sont majoritairement dispensées dans l’une ou l’autre de ces deux langues.
Il y a, très visiblement, dans ces prises de position, des calculs électoralistes fortement teintés de ce populisme qui, ces derniers temps, recouvre nombre de démarches politiques (facture électronique, ICE, etc.).
Mais, comme dit l’adage marocain, « les obsèques battent leur plein et l’on enterre un rat » !
Car, le fond du problème ne réside pas vraiment dans le choix de la langue d’alternance ou le principe même de ce choix, mais dans la capacité et la nécessité de donner à nos enfants des outils cognitifs performants et modernes, en résonance avec les nécessités de la globalisation, de l’ouverture sur le monde et de la mise à niveau de notre modèle éducationnel aux standards internationaux.
Or, il est patent aujourd’hui que l’actuel système a failli et tous les Marocaines et Marocains le savent pertinemment.
S’il en était autrement, l’enseignement privé, du préscolaire à l’Université, n’aurait pas connu un tel développement au cours des dernières décennies !
S’il en était autrement, les employeurs à la recherche de ressources humaines performantes et aptes à répondre aux besoins des entreprises, ne se lamenteraient pas jour et nuit sur l’absence de profils intéressants.
S’il en était autrement, le manque d’enseignants en mathématiques et en français ne serait pas aussi important que le démontrent les statistiques tandis que les jeunes enseignants recrutés à la va-vite pour pallier aux départs massifs à la retraite de leurs aînés, ne seraient pas majoritairement des instruments aux mains de manipulateurs habiles dépêchés par les cercles d’Al Adl Wal Ihssane.
S’il en était autrement, le niveau culturel et linguistique actuel de nos enseignés ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, aussi peu développé que leurs aptitudes à écrire, s’exprimer, et, aussi, à s’extraire de l’emprise souvent malfaisante des réseaux sociaux !
S’il en était autrement, et comme chacun peut le vérifier, les sections francophones des facultés de Droit de ce pays ne seraient pas très majoritairement investies par des bacheliers en lettres modernes qui n’ont qu’une très faible connaissance du français, mais qui considèrent qu’une licence obtenue dans cette langue offre plus de chances d’obtenir un emploi !
S’il en était autrement enfin, chacun dans ce pays aurait à cœur à se rappeler une sentence du défunt Roi Hassan II, qui, à juste titre, avait considéré comme analphabète celui qui ne possédait qu’une seule langue !
Le Maroc ne figure pas aux premières places dans les indicateurs mondiaux de performances, loin s’en faut ! L’une des raisons majeures tient à notre système d’éducation et aux « profils » qu’il génère.
Et si certains campent ainsi sur leurs positions rétrogrades, passéistes et contre-productives, c’est sans doute parce qu’ils en sont les rejetons assumés…
Malheureusement pour nous tous !
Fahd YATA