L'équipe marocaine aux Bocuse d'Or 2019. Crédits ©jeanlucmege_photography
2019 est une année charnière pour le Salon International de la Restauration de l’Hôtellerie et de l’Alimentation (SIRHA) à Lyon, capitale de la gastronomie.
Du 26 au 30 janvier s’est déroulée la 30ème édition de la Coupe du Monde de la Pâtisserie, créée en 1989 par le pâtissier Gabriel Paillasson, et le premier Bocuse d’Or sans la présence de son légendaire fondateur depuis 1987.
Dans les coulisses de ces deux événements prestigieux, les supporters bien équipés étaient déchaînés et la tension des chefs marocains côtoyant le graal des chefs gastronomes de la planète était palpable.
Avant de parvenir à figurer au tableau des compétitions internationales, le chemin fut long et semé d’embûches. Celui-ci a été défraîchit par un pionnier visionnaire au destin hors du commun, un passionné à la force de travail incroyable qui a transmis son goût pour l’excellence : Essoulami Rahal.
Dès l’âge de quatorze ans dans les années 50 et jusqu’à son dernier souffle en juin 2003, cet homme aux idées avant-gardistes à son époque a réussi à franchir la barrière de la pauvreté, enchaîner les emplois précaires, peu voir pas payé du tout, louer un four et un espace de travail d’un mètre carré pour vendre des pâtisseries, devenir le premier traiteur du Maroc, gagner de nombreuses compétitions nationales, se faire remarquer par le défunt Roi Hassan II qui l’a pris sous son aile et servir les plus grands chefs d’Etats à travers le monde.
Cet ambassadeur de l’art culinaire marocain a confié la responsabilité de son empire bâti de ses propres mains à ses héritiers via le groupe « Rahal ». Chacun d’entre eux a su brillamment perpétuer, développer et élargir les champs de compétences de ce groupe leader dans le domaine de la gastronomie. Le fils cadet Kamal Rahal Essoulami a choisi de reprendre le flambeau en devenant un précurseur dans le milieu de la compétition. Avec la création du salon CREMAI, il s’applique à distinguer et faire émerger de nouveaux talents au niveau national afin de les propulser sur la scène internationale à travers trois évènements phares ouverts aux chefs de tout le continent africain avec : la Coupe d’Afrique de la pâtisserie, la Coupe Louis Lesaffre pour la boulangerie et la Toque d’or pour la gastronomie.
La richesse puise sa force dans la diversité. Les participations aux compétitions du SIRHA ont forcément impacté positivement l’organisation du CREMAI qui s’en est inspiré pour optimiser son envergure en termes de logistique, technique et communication. Le Maroc n’a pas hésité à renvoyer l’ascenseur à tout le continent africain pour mettre en avant ses chefs en leur donnant leur chance à leur tour d’exposer et partager leurs savoir-faire.
Depuis 2013, les équipes marocaines ont réussi à s’inscrire 7 fois au tableau de la coupe du monde de la pâtisserie et 4 fois pour le Bocuse d’or.
Un exploit selon Kamal Rahal Essoulami, membre du jury qui se confie entre deux dégustations : « Le Maroc avant 2003 n’était nulle part dans le monde de la compétition, le chef n’était même pas distinguable avec sa tenue. Aujourd’hui, nous sommes leaders en Afrique, ce qui montre que nous avons avancé de manière extraordinaire à travers une révolution culinaire. Le groupe « Rahal » a tenté de promouvoir le chef marocain au Maroc et à l’international. Aujourd’hui, nous sommes présents dans toutes les compétitions et nous avons gagné de nombreux prix. Nous sommes passés de la promotion du Maroc à la promotion de l’Afrique à travers la politique de feu Sa Majesté. Notre pays est devenu un passage obligatoire pour accéder aux milieux de la compétition. On peut avoir les meilleurs produits, les meilleurs moyens matériels, si l’on ne voit pas le chef, on aura pas la bonne promotion de notre gastronomie. Aujourd’hui, il y a plus de chefs exécutifs dans les hôtels car nous avons créé un challenge et une concurrence positive qui l’a mis en valeur. Et aujourd’hui, on a notre mot à dire à l’international ».
Les défis de cette année étaient de taille et le système de notation a changé : on ne donne plus de notes chiffrées mais un « degré » allant de « insuffisant » à « très bien » avec des coefficients différents en fonction des critères évalués.
En pâtisserie, 21 équipes composées de 3 candidats (un spécialiste chocolat, sucre, et glace) représentants 21 pays se rencontrent lors d’épreuves imposées durant 10 heures. Chaque équipe est jugée par un jury composé de grandes figures mondiales de la pâtisserie sur leurs capacités techniques, leur savoir-faire et leur créativité. Cette année ils devaient relever un challenge inédit : réaliser à la fois un dessert à l’assiette 100% Vegan ainsi qu’un dessert sur le thème de la nature, la faune et la flore avec un entremet chocolat réalisé avec du miel. La protection des abeilles indispensables à la pollinisation des fleurs et à notre biodiversité était l’étendard de cette compétition.
Gabriel Paillasson, président fondateur, a souligné que « la Coupe du monde de la pâtisserie doit demeurer le fer de lance des métiers de pâtissiers, glacier, chocolatier, confiseur afin de promouvoir la transmission des savoirs du maître vers l’élève et valoriser les produits dans l’exigence d’une utilisation optimale des matières premières agricoles »
Côté gastronomie, 24 candidats de 24 pays se sont affrontés en 5 heures 35. Ils ont été jugés par des chefs émérites sur leurs capacités techniques, créativité, audace et innovation. Chacun d’entre eux a du « mettre en œuvre les codes de la grande cuisine tout en valorisant sa tradition et son héritage culinaire national ».
Cette année, les chefs devaient réussir une épreuve plateau avec un carré de veau 5 côtes premières à rôtir, en hommage à Paul Bocuse, et revisiter la chartreuse de légumes aux coquillages en guise de clin d’œil au défunt Joël Rebuchon pour l’épreuve assiette, dont les ingrédients étaient à sélectionner sur le marché mis à leur disposition.
Pour les deux compétitions, un travail de longue haleine attendaient les chefs qui ne bénéficiaient pas des mêmes conditions de préparation. Kamal Rahal Essoulami nous a précisé qu’il transmet tant bien que mal ses conseils et expériences : « Notre problème est la disponibilité du candidat, il ne peut pas quitter son poste plusieurs semaines alors que dans les autres pays il peut se permettre de s’absenter 6 mois ou plus pour la préparation. Pour le Maroc, c’est un challenge personnel pour le chef, c’est ce qui fait la différence entre nous et les pays qui nous devancent de loin. Nous essayons de revenir chaque année avec de nouvelles équipes afin de donner la chance à tous les talents et valoriser notre patrimoine. Notre point faible est le besoin en sponsors alors que notre métier entre dans le champ de compétence de l’artisanat, de l’éducation et du tourisme. Nous avons également un besoin de reconnaissance, de réglementation et d’un cadre juridique. Nous ne devons plus être considéré comme de simples ouvriers ».
Le débat est ouvert ! Quant aux chances de gagner, il ne voit pas la compétition comme une concurrence, mais avant tout comme un lieu convivial de rencontre, de partage, de découverte en matière d’innovations et créativité : « Je garde les pieds sur terre, on ne va pas gagner mais notre objectif est d’être parmi les 12 meilleurs pays. Nous sommes déjà parmi les 22 meilleures nations en pâtisserie, les 24 meilleures nations du Bocuse d’Or et champions d’Afrique. Notre point fort est notre volonté de bien faire, de promouvoir notre pays ».
Attention… Roulement de cuillères sur les casseroles, les résultats de cette édition 2019 sont tombés !
La Coupe du Monde de la pâtisserie a été remportée par la Malaisie et le Bocuse d’Or par le Danemark.
Le Maroc a frôlé son objectif en se classant respectivement à la 15ème et 21ème place.
Nous pouvons féliciter les chefs Aissam Ait Ouakrim qui officient au « Palais Soleiman » à Marrakech, ainsi que les chefs pâtissiers casablancais Yassine Lamjarred et Mohamed El Yazidi de « Manzeh Diafa » filiale du groupe Rahal, et enfin le boulanger-pâtissier tangérois Brahim Basta de chez « Arte Pain » pour leur admirable parcours et leur détermination durant ces deux dernières années de préparation.
Ihsan OUASSIF