Me Zhour Al Horr est une juriste marocaine reconnue et connue pour avoir exercé de hautes responsabilités au sein du système judiciaire national. En 1979, Zhour El Horr devient la première femme juge à El Jadida. De retour à Casablanca en qualité de présidente de la Chambre sociale à Casa-Anfa, elle est nommée membre de la Commission Royale consultative de la révision de la Moudouwana et présidente du Tribunal de première instance d’Al Fida Derb Soltane à Casablanca. Elle s’occupe désormais de son cabinet d’avocate et expose ci-après des idées nettes et déterminantes qui expliquent que la parité est la règle en Islam, saluant au passage a décision royale d’ouvrir la profession des adouls à la Femme marocaine.
La Nouvelle Tribune : Maître Zhour Al Horr, en tant qu’avocate et ex-magistrat qui a vécu l’évolution de la femme marocaine dans ses droits, ne pensez vous pas que la récente décision de Sa Majesté qui promeut la femme au métier de Adel a une forte signification ?
Mme Zhor El Horr : Elle est avant tout exemplaire et symbolique au regard des Droits de la Femme au Maroc. Et comme l’a montré le Code du Statut personnel, (la Moudouwana), il y a eu des avancées. Mais, malheureusement, concernant ces droits de la Femme, on doit remarquer qu’en chaque occasion, certains exploitent la religion comme un moyen de faire obstacle aux Droits de la Femme.
Ils excipent de la religion, des traditions, pour s’opposer à la promotion de la Femme et cela est contraire à la vérité proclamée par les principes religieux et nos textes sacrés.
Vous savez, je suis bien placée pour faire de telles remarques. En effet, lorsque j’exerçais mes responsabilités au niveau du Tribunal de la Famille, j’ai pu côtoyer, trois années durant, des experts du Fiqh et de la Sharia, sachant qu’auparavant j’avais été membre de la Commission royale de révision de la Moudouwana, j’ai été amenée à faire des recherches et approfondir mes connaissances sur le Fiqh islamique, la Sharia et beaucoup d’ouvrages à caractère religieux.
En connaissance de cause, je trouve que c’est proprement déplorable, que durant des siècles, la religion a été utilisée pour porter préjudice à la Femme. Et cela, au niveau de tous les pays du monde arabe et islamique, dont le Maroc est partie intégrante.
Mais aujourd’hui, l’étude de la Sharia permet de distinguer deux éléments.
Il y a d’abord les textes coraniques qui sont susceptibles d’être expliqués, commentés, et donc sujets à l’exégèse. Mais l’interprétation doit être inspirée de service de la société actuelle et non d’une démarche s’inspirant de réalités vieilles du Moyen Âge !
Il y a ensuite un grand nombre de comportements et d’attitudes légitimées par les propos et les jugements des fouqqahas (le pluriel de fqih), sachant qu’un fqih n’est rien d’autre qu’un lettré, versé dans l’étude des textes du Saint Coran, habitué à l’exercice de l’Ijttihad, ni plus ni moins.
Certes, mais quel est le rôle des Oulémas dans tout cela ?
C’est une bonne question car on ne doit pas oublier que la Sharia, les commentaires des érudits et des fqihs ne sont pas dépourvus de connotations politiques.
Il arrive ainsi que des fatwas aient un caractère politique, avec des incidences sur le Droit et la société.
Alors, ce qu’il faut constater c’est qu’aujourd’hui, certes, le Saint Coran permet de répondre à maintes situations et questions de la vie des Musulmans, mais il est des sujets ou des problèmes que les textes sacrés n’abordent pas. Et ce qui n’est donc pas clairement évoqué, ce qui n’est pas déclaré illicite ou haram, est permis !
Ainsi, dans le Saint Coran, rien n’indique que la Femme ne peut être juge. Pourtant, encore de nos jours, certains pays musulmans et arabes empêchent les femmes d’exercer la profession de juges.
Et si la religion a été utilisée pour réduire la Femme et ses droits, la placer en position d’infériorité, c’est bien parce que les relations entre les deux genres, masculin et féminin, sont caractérisées par des rapports de forces.
En ce qui me concerne, je ne me positionne pas dans une relation de domination ou de pouvoir, mais dans le cadre de la compétence et de la capacité à exercer l’autorité et/ou le pouvoir dans un contexte de complétude, de solidarité et de coparticipation dans l’objectif du bonheur et de l’équilibre des deux genres.
Donc, une femme a toujours pu être adel ?
En effet, pour ce qui concerne les professions juridiques, je pense qu’il n’existe aucune prescription qui interdit qu’une femme exerce le métier de Adel.
Une femme juge peut prononcer la peine de mort, tout comme elle peut prendre des décisions qui portent sur les millions et des millions de dirhams. Et l’on voudrait lui interdire d’intégrer la profession des Adouls ?!
De plus, aujourd’hui les adouls sont étroitement encadrés dans l’exercice de leurs missions par la Loi et les règlements.
L’Adel prend acte de la Chahada, la transcrit et la dépose auprès du juge et ne peut sortir du cadre de la mission qui lui est impartie par les textes juridiques et le contrôle de la Justice.
Donc si l’on a tardé à «féminiser» la profession des adouls, c’est essentiellement parce que notre société, et donc notre système juridique, restent sous l’influence d’idées machistes et rétrogrades.
On en conclut que sans la décision de Sa Majesté le Roi, cette ouverture n’aurait pas été possible ?
Heureusement que nous avons l’institution de la Commanderie des Croyants, assumée par le Souverain, Amir Al Mouminine. Et il entre parfaitement dans ses pouvoirs et prérogatives de déclarer ce qui est licite et ce qui ne l’est pas, hallal et haram.
Pour ce qui concerne l’ouverture de la profession de Adouls aux Femmes, SM le Roi a ouvert la voie aux Oulémas en interrogeant le Conseil Supérieur des Oulémas sur la licité d’une telle décision.
Ceux-ci, en tant qu’exégètes et fouqahas avertis n’ont trouvé aucune entrave ni interdiction qui auraient enlevé ce droit aux femmes.
Aucune prescription coranique ne l’interdit et le système juridique marocain qui organise la profession de Adel en précisant les conditions de l’exercice de cette profession non plus. Nous devons remercier Dieu d’avoir un Roi Commandeur des Croyants, éclairé, conscient, jeune et ouvert.
Ce fut aussi le cas pour la révision de la Moudouwana ?
En effet, sans SM le Roi Mohammed VI aucune avancée n’aurait pu être accomplie comme l’illustre parfaitement la révision du Code du Statut personnel, (Moudouwana), laquelle n’aurait pu avoir lieu sans sa décision expresse.
Et je rappellerai que grâce à la volonté de nos Souverains, la femme marocaine a pu profiter d’avancées et de progrès dans sa condition et dans l’exercice de ses droits légitimes, parfois même bien avant les autres pays arabes et musulmans.
Ainsi, l’entrée des femmes dans la profession de juges a été faite dès 1961 ! Celles-ci ont pu accéder à la charge de juge auprès des tribunaux en 1961, puis, grâce à la volonté de feu SM le Roi Hassan II, elle a pu grimper dans la hiérarchie judiciaire, accédant aux Cours d’Appels et à la Cour de Cassation. Tout cela est le résultat de la plus haute volonté politique ainsi que d’une société civile en mouvement et en évolution continue.
Voilà pourquoi je rends grâce et je remercie profondément Sa Majesté le Roi pour cette décision historique pour la Femme marocaine.
Concrètement, comment les Femmes vont intégrer la profession adulaire ?
Il n’y a aucune différence dans ce domaine également entre la Femme et l’Homme. L’une et l’autre doivent disposer d’une licence en Droit, satisfaire aux conditions d’accès au concours organisé par le Ministère de la Justice, et, en cas de réussite, suivre une formation ad-hoc.
Et je suis convaincue que les femmes adouls sauront parfaitement être à la hauteur de leurs responsabilités et charges dans l’exercice de cette profession.
Je me base sur ma propre expérience pour affirmer que les femmes, dans le système juridique marocain, excellent et mettent un point d’honneur à être aussi performantes, sinon des fois plus que leurs confrères masculins.
Alors, comment expliquez-vous certaines réticences ?
Elles sont le résultat de visions étriquées et de considérations rétrogrades.
Dans le Saint Coran, les différences entre l’Homme et la Femme sont très rares et ce qui est permis ou accordé à l’homme l’est également à la Femme.
Mieux encore, tous les aspects de la pratique religieuse sont identiques pour les uns et pour les autres et, le jour du Jugement dernier, on ne fait pas de différence entre les hommes et les femmes.
Je pense, partant de tous ces constats, que la dérive machiste, les apriori antiféministes se sont développés au fil des temps essentiellement parce que les exégètes, les fouqahas n’ont plus versé dans l’Ijttihad, se contentant de rapporter les propos de tel ou tel de leur prédécesseurs plusieurs siècles auparavant plutôt que de chercher par la réflexion et la hauteur d’esprit et d’analyse à ouvrir de nouvelles voies aux croyants et à la société, laquelle, avec ou sans eux, évolue en permanence.
Combien de femmes juges avons-nous aujourd’hui ?
Il y a environ 900 femmes qui sont juges dans les tribunaux et cours nationaux, ce qui représente environ 25 % du corps de la magistrature marocaine.
Et dans le Conseil supérieur de la Magistrature, la plus haute instance institutionnelle de la Justice, figurent des femmes, sachant que c’est l’institution de Justice qui a la responsabilité d’exercer le droit de la famille. On espère donc avoir bientôt des femmes adouls en grand nombre…
Entretien réalisé par
Afifa Dassouli