Le Centre Marocain de conjoncture vient de dévoiler les résultats du bulletin annuel portant sur les scénarios de la croissance de l’économie marocaine ‘’Maroc 2030, Quelles voies d’émergence ? Les scénarios de croissance 2017-2030’’. À cette occasion, un point de presse a été organisé, mercredi 27 septembre à Casablanca, en présence des responsables du CMC. L’objectif? Le besoin d’une analyse objective et indépendante qui ne dépend pas des administrations, relève l’un des responsables du CMC.
Les responsables du CMC se sont penchés sur le modèle de croissance actuel au Maroc et ses signes d’essoufflement. Sur ce point, ils ont confirmé que « le taux de croissance s’est établi, durant la période 2008-2012, autour d’une moyenne de 4,5% par an. Ce résultat dissimule de nombreuses défaillances et le rythme de croissance manque de régularité, et reste dépendant des résultats des activités primaires ».
Baisse de l’emploi
Les projections du CMC restent toutefois pessimistes en ce qui concerne la situation de l’emploi. «L’évolution probable de la population active et de l’emploi sur les 15 prochaines années semble, au vu des tendances démographiques actuelles, contenue dans des limites ne dépassant pas le taux de 1,3% par an», soulève le rapport. Même dans le cas où le taux d’activité pourrait s’améliorer sous l’effet d’une meilleure participation des femmes dans la vie active, l’accumulation du facteur travail atteindrait difficilement le rythme moyen d’activité de 2% par an.
Selon le rapport, «la perspective d’une croissance à 6,5% sur le long terme permettrait, en l’absence de toute perturbation exogène, de réduire de façon significative le chômage et ramener son taux à une moyenne variant de 7 à 7,5% sur le long terme. Ce scénario permettrait également de ramener le ratio du solde budgétaire du PIB à des niveaux plus soutenables».
Effort important d’investissement, mais avec une faible efficacité
Les efforts de consolidation de l’investissement public, notamment dans le domaine des infrastructures de bases, conjugués aux actions de soutien au pouvoir d’achat, ont induit des déficits publics importants dont les effets n’ont pas tardé à ressentir sur l’importance et la nature des programmes de politique économique.
Cette situation devrait par ailleurs être accentuée par la détérioration continue des résultats des comptes extérieures avec, d’une part, l’affaiblissement de la demande étrangère adressée à l’économie nationale, et d’autre part, le renchérissement des importations. Le ralentissement notable de la croissance dans les pays partenaires, notamment en Europe, conjuguée au déficit de compétitivité devait en effet, peser lourdement sur les résultats enregistrés sur les marchés d’exportation.
Parallèlement, la hausse continue des prix des matières premières de l’énergie devait fragiliser davantage la situation des paiements extérieurs.
Lenteur de processus de convergence
Selon le CMC, le processus de croissance a connu une sensible accélération tout au long de la décennie 2000 à la faveur des inflexions de politique économique et de l’amélioration de l’environnement international. Le rythme d’accroissement du PIB a gagné, durant cette période, près de 2 points comparativement à la décennie précédente pour s’établir autour de 5% en moyenne par an. Cette performance a eu des répercussions significatives sur les revenus et le niveau de vie.
Le rapport annuel n’a pas manqué de souligner que la référence aux données de la comptabilité nationale montre que la valeur ajoutée globale exprimée aux prix courants s’est accrue au taux moyen de 6.1% sur la période couvrant les années 2000 à 2016. Suivant cette tendance, le revenu national brut qui a atteint 1077 MMDH en 2016, a enregistré, durant cette même période, un accroissement annuel moyen de 6.3%. Parallèlement, le revenu nominal par habitant a atteint la valeur moyenne de 31229 DH au terme de l’année 2016, contre à peine 14380 DH en 2000, en hausse de 4.9% en moyenne par an, au cours de la période 2000-2016.
Dans ce sens, le CMC relève qu’en dépit de ces résultats positifs, le Maroc enregistre encore une certaine lenteur dans le processus de convergence vers la croissance moyenne dans le groupe de pays à revenus intermédiaires. La progression du PIB par habitant enregistre un écart assez significatif par rapport à la moyenne dans ce groupe de pays, et plus particulièrement ceux qui sont classés dans la tranche supérieure.
Faible diversification de l’offre
Le modèle de croissance engagé depuis plus d’une quinzaine d’années n’a pas encore produit de transformations significatives dans les structures productives. Les activités de production demeurent dans l’ensemble dominées par les secteurs traditionnels malgré l’émergence récente de nouveaux secteurs dans le domaine industriel, impulsés par les IDE et orientés principalement vers les marchés d’exportation, indique le CMC.
Avec une proportion variant de 14 à 18%, la part du secteur agricole continue de peser de tout son poids sur le profil de croissance en raison de ses effets induits sur les revenus et l’emploi de larges catégories de la population. Ajoutons à cela que l’incidence de l’aléa climatique se ressent encore sur les performances économiques globales et imprime au cycle d’activité un rythme marqué par l’instabilité.
Mettant l’accent sur les déséquilibres persistants empêchant une croissance forte et durable, les intervenants, dont le directeur général du CMC, Ahmed Laaboudi, ont expliqué qu’au plan social, la croissance ne génère pas suffisamment d’emplois pour faire face à une population active qui connaitra pour de nombreuses années encore une forte expansion. De même, les performances économiques ne contribuent que faiblement au recul de la pauvreté et à la réduction des inégalités.
Selon les intervenants, la configuration sectorielle de la croissance présente, par ailleurs, des déséquilibres de plus en plus importants qui, à côté de l’irrégularité des cycles agricoles, se manifestent depuis quelques années à travers le ralentissement de la valeur ajoutée industrielle.
S’agissant des échanges commerciaux, il ressort de l’étude réalisée par le CMC que le profil de croissance ne parvient pas encore à induire un développement suffisant des marchés d’exportation permettant, à terme, le retour progressif à un équilibre plus soutenable des comptes extérieurs, ont-ils expliqué.
Les trois scenarii pour le Maroc de 2030
Les scénarios de la croissance s’articulent autour de trois axes: la prévision, la prospective et la projection. Le premier axe concerne la démarche positive ( les résultats des indicateurs économiques), le deuxième axe concerne les transformations qui se dérouleront à long terme ( à l’horizon 2037). Cette démarche est purement qualitative et touche, entre autres, les dimensions économiques, sociales, démographiques.
Le troisième axe, quant à lui, se projette sur la démarche normative et les différents scénarios de croissance, anticiper le futur en fonction des choix politiques, économiques, ainsi que les politiques budgétaires. Chaque indicateur économique contient trois scénarios : scénario faible (A), scénario tendanciel ( B), et scénario fort (C).
Selon le scénario de référence, la croissance maintenue sera autour de 4,3 %, et l’économie marocaine ne connaitra pas de profonds changements par rapport à la précédente décennie.
Le scénario de croissance faible présente, quant à lui, une déviation moyenne négative de presque 0,9 point de pourcentage par rapport au scénario de référence. De ce fait, il atteindrait en moyenne sur la période 2016-2030 une vitesse annuelle moyenne de 3,6%.
Pour ce qui est du scénario d’émergence, il se penche sur la sortie de crise des principaux partenaires du Maroc au cours des prochaines années. Cette situation pourrait se traduire par des évolutions positives de ces économies, dont les retombées seraient favorables sur l’économie marocaine. Ce cas de figure présage une accélération de la demande mondiale adressée aux entreprises nationales et se fixerait, selon le CMC, à 3,5% par an.
Une croissance de 4,3% à l’horizon 2030
Sur la base des hypothèses cités, le taux de croissance de l’économie marocain évoluerait progressivement au cours de la période 2015-2030. Le rythme de progression serait de 3.7% au cours du premier quinquennat avant d’atteindre 4.7% en 2021-2025 pour passer à 4.2% les années suivantes. Au total, le rythme de croissance sur les 15 prochaines années serait de l’ordre de 4.3%. La dynamique qui caractérisait cette période, reste comparable à celle observée au cours des 15 dernières années. Elle lui serait même inférieure de 0,2 point de pourcentage du PIB.
Ces évolutions reflètent la dynamique de la demande finale et plus particulièrement celle des investissements dont la vitesse de croissance serait nettement plus rapide que celle du PIB.
Le modèle de croissance au Maroc depuis près d’une quinzaine d’années montre des signes d’essoufflement. Alors que l’économie marocaine s’orientait graduellement vers son potentiel de croissance à long terme tout au long de la décennie 2000, son rythme de progression semble marquer un net infléchissement ces dernières années, avec un différentiel de croissance variant entre 1.5 et 2 points par rapport à la moyenne de la période 200-2010. L’enclenchement d’un processus de croissance entretenu qui a constitué l’un des objectifs majeures des politiques publiques depuis plus d’une décennie se trouve ainsi reporté à plus tard, indique le CMC dans son bulletin annuel.
Sondage CMC : 74,5% des sondés pensent que le Maroc est un pays en voie de développement
En marge de ces scénarios et projections, l’organisme a réalisé, compte tenu des critères économiques actuels et futures, un sondage sur le degrés de l’émergence du Maroc. 17% seulement trouvent que le Maroc est un pays émergent, alors que 83% infirment l’émergence du Maroc. Par ailleurs, 74.5% déclarent que le Maroc est un pays en voie de développement. En outre, 38.3% ont déclarés que le Maroc parviendra à joindre le rang des pays émergents dans 10 ans, contre 19.1% au-delà de 10 ans.
Les intervenants ont énumérés une série de conclusions du rapport du CMC afin d’établir les conditions nécessaires d’une croissance forte et durable. Il s’agit, tout d’abord, d’accélérer et d’étendre les réformes mises dans de nombreux domaines à d’autres activités à forte valeur ajoutée et créatrices d’emploi.
Les investissements, levier de la croissance à l’horizon 2030
Les auteurs du rapport plaident pour des progrès sensibles pour mieux structurer, moderniser et rendre l’économie nationale plus compétitive et à même de relever les défis de l’avenir. Selon eux, un tel objectif ne peut être atteint que si certains obstacles sont levés, à savoir la dépendance de l’économie nationale au secteur agricole, les déséquilibres profonds caractérisant le marche du travail, les finances publiques, le commerce extérieur, le poids du secteur informel dans l’économie et le déficit de sa compétitivité.
Toujours dans le cadre des scénario prévisibles, le CMC note que les projets structurants lancés par le gouvernement et dont les réalisations s’étaleront sur plusieurs années, laissent penser que les investissements publics pourraient continuer de croitre à un rythme soutenu et seraient l’un des principaux leviers de la croissance à l’horizon 2030. En revanche, cet effort d’investissement pourrait connaître un relâchement dans le cas où l’économie marocain venait à subir des chocs exogènes tels que subis par le passé comme une hausse brutale des prix de l’énergie, des sécheresses sévères, un déclin de la compétitivité, ou une contraction de la demande.
Globalement, ce scénario dit faible, est fondé sur une demande étrangère adressée à l’économie marocaine croissant à un taux ne dépassant guère 3%, des dépenses publiques variant à un rythme inférieur à 5% en moyenne, conclut le CMC.
Notons que le CMC, créé en 1990, est spécialisé dans l’analyse et le suivi de la conjoncture, la prévision et l’évaluation d’impact. Le CMC a développé, depuis sa création, un dispositif d’informations, d’enquêtes, de sondages, d’analyses et de prévisions mis à la disposition des opérateurs économiques.
Imane Jirrari