
L’affaire du viol d’une ânesse par une quinzaine de gamins près de Sidi Kacem a fait grand bruit ces dernières semaines.
Ci-après, l’adresse publique que nous envoie cette victime. Elle y fait montre de beaucoup plus d’intelligence et de clairvoyance que nombre d’animaux « à deux pattes » !
FY
Messieurs les censeurs,
Une ânesse a filé la rage à quinze enfants qui l’ont violée. Etre dans le même temps victime d’agression sexuelle et coupable de contamination mortelle c’est peu banal, avouez-le.
L’ânesse violée, c’est moi et je prétends que les enfants violeurs sont des victimes et les hommes les coupables.
J’ai même relevé dans votre presse qu’on parlait de vengeance de l’ânesse et de punition divine ; une espèce d’alliance du diable et du Bon Dieu contre vos enfants.
Foutaise que tout cela !
C’est à eux précisément que vont mes pensées ainsi qu’à leurs familles et je reste convaincue qu’ils s’en sortiront rapidement.
Oui, j’ai été violée par vos jeunes enfants. Le viol des animaux par les hommes, cela existe depuis que le monde est monde.
Il sévit partout, là où l’on n’a que l’ennui pour unique horizon.
Vous appelez cela de la « zoophilie ». A mon avis, le terme est inapproprié. On n’agresse pas par amour et on n’aime pas par agression.
L’amour est un plaisir et le viol une agression. On peut aimer sans violer et je ne sache pas qu’un cyclophile viole les vélos ni qu’un haltérophile s’ébatte avec ses haltères.
C’est curieux ! Pourquoi ne parlez-vous pas d’« homophilie » quand chez vous deux personnes du même sexe s’accouplent ? Vous préférez parler d’« homosexualité », sans doute pour mieux mettre en avant la part du sexe dans une relation jugée peu académique. Ceci pour la sémantique, mais il y a le reste.
Il y a qu’on parle de vengeance. Et ceci est stupide parce que je ne peux de mon propre chef transmettre la rage. Cela aurait été tellement plus facile pour me venger de demander à nos mâles de violer vos hommes.
Ils y seraient arrivés sans grande difficulté parce qu’ils sont plus robustes, plus performants et – sauf votre respect – mieux membrés.
C’est chez vous que les hommes fantasment sur leurs performances sexuelles en cherchant le mieux monté d’entre eux. Mais nos mâles ne violeront pas les vôtres parce que nous avons notre dignité et un certain sens de la pudeur ; ne vous en déplaise !
Ceux parmi vous qui ont des lettres savent que depuis la nuit des temps, l’âne frotte l’âne -( asinus asinum fricat )- et qu’il n’a jamais été question que l’âne frottât l’homme.
Chez nous, l’amour se passe entre individus de notre communauté. Une dérogation nous a été imposée par le père Noé pour produire des mules et des mulets. Je dis bien « produire », car le Patriarche n’a pas trouvé mieux pour autoriser l’embarquement de nos ancêtres que de les charger de copuler avec des juments et inventer des bêtes de sommes stériles.
Nous avons relevé l’information dans ces mêmes colonnes et cela nous a conforté dans notre conviction qu’il existe encore chez vous des journaux et des magazines qui ont le courage de dire la vérité et la volonté d’élargir vos connaissances.
Oui, je me suis laissée violer et j’ai retenu les coups de sabots et les ruades. Je m’en amusais presque, tant les assauts étaient innocents. J’ai éprouvé alors de la pitié pour votre intelligence et découvert votre impéritie pour ne pas avoir vu venir ce pourrissement des sens et ce dévoiement des mœurs.
Oui, je savais que les petits d’homme s’étaient rabattus sur une bête pour ne pas mourir d’ennuis. Et quand les gendarmes sont venus les interroger sur les raisons de leur sortie de route, l’un d’eux, encore trop jeune, a accusé l’oisiveté avec une sincérité troublante et l’innocence de l’enfant qui n’a rien fait de mal.
Non, je ne savais pas que j’étais atteinte de la rage et qu’aurais-je pu faire devant l’assaut collectif de vos jeunes spadassins ?
Du reste, quand bien même l’aurais-je su, comment aurais-je pu dissuader vos jeunes garçons de mettre fin à leurs déchaînements ; sachant comme vous le savez, qu’ils étaient quinze et que dans de tels cas d’excitation, ils se comportent tel des bêtes furieuses.
L’amour chez nous les bêtes, n’a pas besoin de superlatifs. Nous ignorons les frustrations sexuelles et, l’accouplement chez nous est un acte d’amour naturel et on ne peut plus banal, qui a ses propres codes et ses propres préliminaires aussi. Il y a de la chevalerie ( ! ) chez nous et pardon pour l’immodestie.
Votre univers à vous, pèche par votre soumission aveugle à une compréhension très étroite de votre religion.
Je vois bien votre sidération lorsque vous écoutez une ânesse vous entretenir des choses de l’esprit. Passe encore qu’elle parle de sexe diriez-vous, mais diable, qu’a-t-elle donc à se fourvoyer dans des affaires de spiritualité.
Or c’est là que le bât blesse. Excusez le jeu de mot involontaire et qui n’a pas lieu d’être, je le concède.
Je prétends, pour avoir de tout temps écouté vos discours, que la perversité qui est en train de ronger les fondements même de votre société et qui produit des enfants violeurs d’animaux, n’est ni plus ni moins, que la récolte d’une semence importée d’une péninsule prétendument sainte qui a fini par donner des monstres.
Les fondamentalistes et les salafistes ; tous ces frustrés de tout, ont fini par transformer vos enfants en individus sexuellement détraqués et difficilement contrôlables. Non pas en les encourageant à violer les animaux – qu’à Dieu ne plaise -mais en leur martelant que la femme est le diable, exception faite pour la mère ou la sœur.
Alors, forcément cela crée des traumatismes. Vous avez grandi dans la crainte du péché, de l’interdit, de la diabolisation du sexe et dans l’acceptation d’un univers bâti sur les tabous et l’illicite, mais jamais sur le plaisir et la jouissance saine, naturelle et méritée.
Un univers où le beau s’écroule sous le laid pour bannir la tentation et où l’amour devient suspect dès qu’il n’est pas caché.
Quand le père impose à l’enfant cet univers concentrationnaire du sexe et du plaisir diabolisé et quand l’enfant est de surcroît assommé par l’ennui et la monotonie, il ne faut pas s’étonner qu’il cherche ailleurs l’exutoire.
Eh bien messieurs ! L’exutoire, ce fut moi ce jour-là ; pour lui et pour ses camarades. Je revendique mon innocence et je proclame la leur en ayant conscience que j’en ai le droit.
A quel titre me diriez-vous ? Eh bien, au titre de la victime. Pour avoir subi les assauts maladroits, sauvages et somme toute naturels de la part d’une jeunesse qui ne demande pas mieux que de partager avec les autres jeunes du monde, la joie dont elle est privée.
Vos jeunes ont le droit de prendre leur part légitime dans les plaisirs d’une vie saine, sans avoir à s’interroger sur ce que penserait le vigile salafiste.
Je suis d’autant plus à l’aise en vous disant cela que je suis la victime et que j’éprouve de la compassion pour vos enfants, de la mansuétude pour vous et un souverain mépris pour beaucoup de vos prédicateurs qui n’ont toujours pas réglé leur contentieux avec les choses du sexe et qui hantent toujours vos rues et vos mosquées.
Et sachez enfin que c’est en toute modestie et bien sincèrement que je vous transmets la sympathie de la communauté des ânes.
Lettre traduite par :
Saad Khiari Cinéaste-Auteur