Le Maroc fait face à des besoins importants et divers, que la puissance publique doit affronter dans le champ social notamment (chômage, éducation, santé), mais aussi du fait de la nécessité d’assurer le développement économique.
Mais les ressources de l’État s’avèrent limitées et l’endettement public est déjà fort conséquent.
C’est pourquoi l’idée développée par M. Benchaaboun, Ministre de l’Économie et des Finances sur l’intéressement du secteur privé dans le financement des investissements publics par des Partenariats Public-Privé, est une démarche nécessaire, voire indispensable.
Et ce d’autant que les institutionnels, c’est-à-dire les caisses de retraite, les compagnies d’assurances et autres OPCVM, souffrent de la détérioration de leurs performances.
Et pour cause, les moins-values boursières et la baisse des taux d’intérêts rognent leurs rendements et grèvent leurs charges de provisions imposées par la réglementation de l’ACAPS.
Des besoins grandissants
Donc, cette nouvelle problématique du partenariat Public-Privé, PPP, s’inscrit dans une logique de substitution de l’État par le secteur privé pour des financements ou des refinancements, de certains équipements et infrastructures qui relèvent normalement du Budget de l’État.
On sait, en effet, selon les précisions fournies par plusieurs rapports émanant d’institutions nationales ou internationales, que le développement des infrastructures et des équipements collectifs, matérialisés par plusieurs grands chantiers, a nécessité la mobilisation de 27,5 milliards de dirhams entre 1990 et 2014.
On sait également que le Ministère de l’Équipement et des Transports estime à 166 milliards de dirhams les besoins en financements d’infrastructures pour les cinq prochaines années.
Et que, par exemple, construire une autoroute ou un aéroport représente une lourde charge budgétaire pour l’État ou les établissements publics. Et même s’ils peuvent recourir à l’endettement international pour ce faire, de tels investissements peuvent priver l’État de fonds qui pourraient être affectés autrement.
Il apparaît ainsi comme une évidence que, compte tenu des contraintes budgétaires de l’État et du niveau de la dette publique, (800 milliards de dirhams), le financement de la stratégie de développement infrastructurel ne peut se passer de ce PPP, lequel a été déjà l’objet d’une loi promulguée en février 2015 et qui définit un cadre réglementaire attractif et incitatif.
D’ailleurs, le financement des infrastructures assuré par le privé serait plus efficace parce que lié d’abord à un coût de l’investissement mieux étudié et moins élevé, de même que le secteur privé pourra être plus performant dans la qualité des services rendus, domaines où l’expérience étatique n’a jamais été des meilleures.
Et c’est le rôle du cahier des charges accompagnant le projet d’investissement que de mettre au clair et préciser ce type d’avantages induits par la prise en main de projets de financements pour le compte de l’État.
Un partenariat win-win
Bien évidemment, financer des infrastructures ou des équipements, ne saurait être du ressort de tout le monde et, en ce champ, ce sont les institutionnels nationaux qui sont à même de financer de tels projets. Eux seuls sont des investisseurs permanents et en continu.
D’autant que l’investissement en infrastructures, opéré dans un cadre conventionnel avec l’État, est protégé parce que non soumis à concurrence commerciale, même si le rendement, inscrit dans le cahier des charges, sera donc encadré.
Partant, les institutionnels privilégieront ces investissements si le rendement est équivalent à celui des Bons du Trésor à long terme, de même maturité, augmenté d’une petite prime supplémentaire.
Elle sera destinée à couvrir certains risques liés à l’activité générée par ces investissements comme le trafic pour les autoroutes ou les aéroports, de façon à rémunérer correctement cette mise de fonds de l’institutionnel.
A ce sujet, on ne manquera pas de remarquer que les institutionnels sont friands de ces PPP et les investissements qu’ils portent, sachant qu’à quelques détails près, ils sont tous à la recherche de placements intéressants pour les fonds dont ils disposent.
C’est ainsi, que les cinq caisses de retraites présentes sur le marché cumulent aujourd’hui plus de 300 milliards de dirhams d’investissements, tandis que les compagnies d’assurances disposent de plus de 500 milliards de dirhams d’actifs, des montants qui, au demeurant, augmentent chaque année !
Mais, dans l’ordonnancement des PPP, on peut se poser la question de savoir s’il est préférable de les diriger vers les entreprises publiques ou bien s’il s’agit d’y recourir pour satisfaire les besoins budgétaires de l’État.
Dans la réalité, les deux options sont positives, à la précision près que l’État disposant d’un parc immobilier, destiné aux différentes administrations publiques et qui peut être estimé à plusieurs dizaines de milliards de dirhams, peut offrir un collatéral a ces financements.
Ce pactole est aujourd’hui dormant, mais on pourrait imaginer que les institutionnels rachètent, moyennant 5 ou 6 milliards de dirhams, une partie de ce parc immobilier et le redonner en location à l’État.
Modalités et conditions
Il s’agirait alors d’une privatisation qui devrait s’opérer en bonne et due forme, avec les garanties légales énoncées par des lois ad hoc et qui préserveraient les intérêts légitimes de la puissance publique.
On peut aller plus loin en constatant que les loyers perçus iront in fine aux citoyens qui souscrivent aux caisses de retraite et à la CDG, qui gère les fonds des adhérents à la CNSS.
Par ailleurs, sachant que le financement de ces établissements publics représente 26% du PIB quand le taux global de l’endettement est de 66% du PIB, son transfert au privé reviendrait à ramener l’endettement de l’État à 40% du PIB, ce qui serait, entre autres, très appréciable en termes de visibilité pour les institutions internationales.
Dans le domaine de la Santé également, en achetant les bâtiments hospitaliers, qui sont sous-équipés au demeurant, les institutionnels permettraient ainsi au Budget public de libérer des sommes importantes pour financer les équipements hospitaliers de pointe.
Sur le plan opérationnel, l’architecture de ce PPP pourrait se présenter sous la forme d’un seul fonds réunissant tous les institutionnels évoqués plus haut, ce qui donnerait à cet outil de financement des moyens conséquents pour accompagner l’État dans ses investissements.
Il pourrait également s’exprimer à travers des protocoles de partenariats individualisés entre chaque institutionnel et l’État.
Une telle formule serait facilitée, comme le souligne le PDG de la CIMR, M. Khalid Cheddadi encore plus si « la réglementation des assurances et des caisses de retraite permet de dégager 15% de nos portefeuilles aux infrastructures, sachant que la catégorie dédiée à l’immobilier n’est même pas affectée, tant l’éclatement de la bulle immobilière a causé de dégâts ».
Les zinzins au taquet
Cette implication des institutionnels dans le partenariat public-privé présente de tels avantages que l’on peut légitimement s’interroger sur le fait que l’État ne l’ait pas déjà utilisée.
Même s’il y a déjà plus d’une année que la suggestion d’un tel modus operandi entre l’État et les institutionnels pour le financement des infrastructures avait été faite au chef du gouvernement M. Saad Eddine El Othmani par des institutionnels qui lui avait remis un rapport sur les benchmarks internationaux et mis l’accent sur le fort intérêt des institutionnels pour ce type d’investissements.
Il permettrait à l’État de bénéficier d’un appui aux prestations des services publics, mais aussi de créer un écosystème attractif pour l’investissement privé, et enfin de créer plus de croissance économique tout en assurant l’équilibre budgétaire.
Et aux « zinzins », quitte à se répéter tant ils attendent ces nouveaux PPP qui leur assureront des investissements dans une classe d’actifs qui offre une visibilité à long terme, ce modus operandi offrirait un rendement assuré et des cash-flow stables et prévisibles.
Comme l’explique M. Khalid Cheddadi, de la CIMR, « les institutionnels accueillent ces possibilités et ces nouveautés de façon très favorable parce qu’aujourd’hui, ils ne disposent que de trois classes d’actifs dans lesquelles ils placent leurs investissements ».
« En effet, la bourse des valeurs, avec une très forte volatilité, constitue plus de 50% de leurs portefeuilles, mais dérange leurs performances parce que d’une année à l’autre, elle produit des plus-values ou des moins-values.
La réglementation imposant de provisionner les moins-values, leurs comptes d’exploitation en sont forcément impactés.
Outre les valeurs boursières, les institutionnels peuvent investir dans les obligations, dont les rendements sont aujourd’hui faibles, voire limités.
Quant aux obligations privées, elles manquent d’attractivité parce qu’elles ne sont pas garanties et que plusieurs émetteurs ont connu de graves défaillances d’impayés alors que la loi s’avère insuffisante pour protéger les créanciers.
Quant au locatif de bureaux, il s’agit d’un marché très fluctuant, où l’offre est supérieure à la demande, où les sociétés peuvent facilement faire faillite et où les rendements ne sont pas très élevés».
Mais, on ne saurait oublier que ces formules de PPP, expérimentées avec succès dans des pays comme le Canada, où les communes sont habilitées à faire appel à l’épargne publique sur les marchés de capitaux, existent également au Maroc avec le système de la gestion déléguée, comme la Lydec le pratique à Casablanca depuis 1996 !
Il faudrait donc, sans nul doute, améliorer la loi sur les PPP de février 2015, en lui associant la possibilité aux collectivités locales de lever des fonds sur les marchés, comme le fait l’État …
Afifa Dassouli
Encadré : Investissements publics générateurs ou non de revenus
Dans la diversité des programmes d’investissements étatiques, il serait utile et même nécessaire d’établir un distinguo entre les investissements générateurs de revenus et ceux qui ont une orientation et des objectifs sociaux et qui, de fait, ne le sont pas.
Une autoroute, un aéroport, un marché ou encore une gare routière pourraient constituer des investissements susceptibles d’intéresser les institutionnels car leur exploitation induirait des rentrées de fonds, contrairement à une école, un dispensaire ou tout autre équipement à caractère social. La qualité première de ces investissements générateurs de revenus est bien que ces derniers puissent assurer le paiement des loyers sur des biens concédés ou vendus par l’État.
De ce fait, ces secteurs générateurs de revenus pourraient être concédés au secteur privé, à titre concessionnel ou sous de nouvelles formules de PPP en gestation, encadrés par des cahiers de charges explicites et contraignants.
Ce qui assurerait la mise en place d’équipements structurants pour répondre aux besoins du pays.
Les communes et les municipalités gagneraient à nouer également ce type de partenariats, déterminés dans le temps, dévolus à des équipements et infrastructures collectifs, en apportant ne serait-ce que le terrain, laissant les institutionnels prendre en charge des financements, puis l’exploitation sur des périodes déterminées sur quinze ou vingt ans.
Nombreux sont les projets que ces PPP pourraient ainsi réaliser pour revaloriser les villes.
Et pour ne prendre que des exemples évidents créateurs de revenus, des marchés de gros, indispensables pour le commerce en milieu urbain ou des abattoirs modernes, aux normes les plus sévères en termes d’hygiène, figurent parmi les projets les plus probants …
AD