Mme Zineb Tirki
Zineb Triki est une artiste de vocation, dont le talent s’exprime par l’engagement quotidien au service de son art et son savoir-faire de sculptrice de céramique. Elle nous dévoile dans cet interview l’essence de sa passion et de son expression artistique.
La Nouvelle Tribune : Zineb Triki, merci de participer à ce numéro spécial de La Nouvelle Tribune, dédié à la journée internationale des droits des femmes. Vous êtes artiste sculptrice de céramique, pouvez-vous présenter à nos lecteurs, votre parcours d’artiste ?
Zineb Triki : Après des études secondaires d’Arts-plastiques à Marrakech, j’ai fait mes études supérieures en Histoire de l’art, arts appliqués et me suis spécialisée en céramique artistique, à Grenade en Espagne. A mon retour à Marrakech, j’ai fondé l’atelier Arterre. Ma passion inassouvie pour la céramique, aussi bien ancienne que contemporaine, m’a conduite à emprunter diverses voies : des montagnes du Rif marocain où je me suis initiée avec les dernières patères à la céramique du néolithique jusqu’au Japon auprès des maîtres du Raku à Kyoto, en passant par Antalya à Tunis. Mes pérégrinations inspirées ont abouti à des installations en céramique aériennes à la fondation Dar Bellarj, pour laquelle c’était une entreprise «première» du «Comment donner forme à la concomitance des éléments et appréhender la matière en fusion, avec ma prose».
J’aime rappeler mon passage à Grenade qui a été très constructif ! J’y avais un atelier de céramique « Suràmica » dans le quartier touristique.
J’ai réalisé et restauré les 400 tuiles manquantes d’époque de la Cathédrale du XVIème siècle de Granada. Un projet très intéressant où j’ai beaucoup appris, tout particulièrement le respect de la terre de nos ancêtres, dans les règles de l’art en assistant mon maître céramiste et restauratrice.
L’occasion m’a été donnée aussi d’organiser des expositions collectives de foires dans des lieux historiques comme le « Palacio de los Cordovas », ce qui m’a ouvert après les portes sur d’autres foires internationales.
Je continue à me former dans des techniques comme le Raku, à Kyoto au Japon. J’ai réalisé des workshops avec exposition, en Turquie, Mexique et en Tunisie au centre de Sidi Kacem Jalizi, un exemple de partage des techniques avec les plus grands maîtres céramistes, coréens, portugais, chinois ou espagnols.
Ma dernière exposition avant le Covid portait sur l’installation artistique à « Dar Bellarj » au cœur de la médina de Marrakech, en céramique suspendue, mesurant 6 mètres par 3, qui invoquait le vol d’oiseaux libres en migration, une belle prouesse technique. D’ailleurs, aujourd’hui je continue mes recherches sur la terre et l’eau, je travaille sur des Jabias et des Oyas pour l’irrigation des plantes, l’argile comme purificateur d’eau. Ainsi que sur des petites coquilles en céramiques émaillées où je laisse l’alchimie du hasard agir avec les éléments, par pur plaisir.
Comment la poterie peut-elle concrétiser vos expressions artistiques, pouvez-vous l’expliciter et le partager avec nous?
La poterie, la céramique ou l’art de la terre est un moyen d’expression multi sensoriel extrêmement puissant. Depuis la nuit des temps, la terre a été le médium le plus approprié à l’homme. Elle comprend le langage des sens comme celui du toucher par le modelage, la sensibilité par l’expression, la vision des proportions.
Le travail de l’argile détient aussi le secret des 4 éléments naturels : la terre, l’eau, le feu, l’air, sans lesquels la malléabilité, la plasticité et la résistance ne seraient pas possible.
L’argile pour moi, est synonyme de Protection, Conservation, Thérapie et Abondance. Protection : par la brique de terre ou l’adobe utilisé pour la construction des logis. Conservation : comme réceptacle d’eau, Jabias, graines et en cuisson comme tajines ou autres poteries. Thérapeutique : utilisée en Art thérapie pour sa plasticité qui offre à l’individu le moyen de s’exprimer de l’intérieur vers l’extérieur en plus de sa forte contenance de minerais, comme le fer pour l’argile rouge, ou le magnésium pour le ghassoul.
Avec une grande charge mystique vu son côté relié à l’Homme et à son divin. «Nous créâmes l’homme d’une argile crissante extraite d’une boue malléable». (Coran, Sourate Al-Hijr 26). Abondance : La croûte terrestre compte plus de 15 % d’argiles de toutes les couleurs, sous différentes formes et en abondance…
Comment êtes-vous arrivée à cet art ? Pouvez-vous nous en retracer le cheminement ?
Mon parcours était orienté depuis mon enfance, dès 14 ans mon choix d’intégrer la branche artistique au Lycée Hassan II de Marrakech pour le Bac option «Arts Plastiques», puis comme je l’ai dit en réponse à votre première question, j’ai poursuivi des études d’Art à Grenade, où j’ai passé 12 ans d’émerveillement devant la culture hispano-mauresque qui m’a permis de me spécialiser en céramique artistique et restauration du patrimoine.
Cela fait également 12 ans que j’exerce dans mon atelier « Arterre » où je produis des céramiques utilitaires ou artistiques sous ma marque « Min Tourab ».
Au Maroc, les artistes sont très nombreux et éclectiques, mais restent souvent discrets, que faites-vous pour vous faire connaître au Maroc et ailleurs ?
Les projets viennent à moi quand j’en sens le besoin, c’est une question de symbiose, quand on est prêt à donner, les portes s’ouvrent pour pouvoir redonner le meilleur de soi.
Je crois en la bonne énergie de la terre et aux bienfaits de l’argile.
La céramique est un domaine compliqué, physique qui requiert beaucoup de patience.
Il n’est pas facile de se frayer un chemin dans ce domaine, surtout qu’au Maroc la céramique est un domaine réservé à l’homme.
J’ai eu beaucoup de mal au début pour m’intégrer au domaine réservé aux maâlems qui gardent leur savoir bien secret. J’ai eu beaucoup de mal à y accéder. Ma persévérance et ma passion m’ont poussé à m’adapter en trouvant une manière authentique, ma propre voie.
La passion paie toujours !
Comment partagez-vous votre amour pour la poterie ?
L’amour de transmettre est primordial pour moi, j’ai cette sensation et ce besoin de perpétuer ce geste ancestral par le biais de la matière Terre. Depuis l’ouverture de l’atelier « Arterre » j’offre aux élèves, enfants et adultes, des ateliers-découvertes, le temps d’apprendre à se reconnecter avec eux-mêmes et avec la matière, en total liberté et surtout sans jugement. L’approche est très simple, les ateliers débutent par l’apprentissage des premiers gestes reliés aux premiers hommes, du Néolithique aux techniques les plus modernes.
L’intérêt est de comprendre la matière, la respecter pour pouvoir la maîtriser. Modelage, pétrissage, sculpture, ou tournage au tour électrique du potier. Ou encore émaillage pour la couleur, la matière première ne demande qu’à être caressée, modelée par l’expression libre de chaque personne. Donner vie à nos plus profondes sensations, un moyen thérapeutique idéal liée à la transmission.
Je partage aussi à l’occasion des expositions collectives et des foires dans des lieux historiques.
La poterie est une discipline artistique-artisanale qui requiert un savoir-faire technique et manuel, l’expression est intégrée dans la matière pour lui insuffler ce côté artistique.
Comme toute autre discipline artisanale à laquelle est additionnée la créativité, la gravure, sculpture sur bois, bronze ou métal se rapproche de la céramique, ces disciplines ont de commun qu’elles sont toutes accompagnées d’un savoir-faire.
Pouvez-vous nous interpréter votre épanouissement artistique, comment le vivez-vous ?
L’épanouissement s’exprime en moi du fait même de pouvoir vivre l’instant présent avec passion, du ressenti qui va de mon inspiration à mon exaltation face à mes créations.
Mon luxe de vivre chaque jour sans avoir à répéter la même chose. Je ne connais pas la routine monotone du quotidien. Je ne cesse de découvrir, m’extasier et continue à expérimenter des petites choses que nous offrent la chance de vivre dans une ville telle Marrakech, où l’art est partout. Pouvoir voir et savoir apprécier tout cela est un pur épanouissement qui mène à l’inspiration artistique.
Entretien réalisé par Afifa Dassouli