Des combattants yéménites loyaux à la coalition arabe menée par l'Arabie saoudite à côté de véhicules blindés à Taez, le 20 avril 2017, sur une position reprise aux rebelles chiites et houthis © AFP/Archives SALEH AL-OBEIDI
Le conflit au Yémen devient de plus en plus complexe en raison des profondes divisions qui minent les deux camps rivaux, celui du gouvernement « légitime » et celui des rebelles, éloignant encore les perspectives de paix.
La dernière crise en date a été déclenchée jeudi par l’annonce, par des militants séparatistes opposés au président Abd Rabbo Mansour Hadi, de la création d’une autorité parallèle pour administrer le sud du pays, une démarche fermement rejetée par ce dernier.
Et dans le nord, des luttes d’influence semblent désormais miner l’alliance établie entre les rebelles chiites Houthis et l’ex-président Ali Abdallah Saleh lors du coup de force de 2014 contre le gouvernement Hadi.
Pour les experts, cette fragmentation des forces en présence dans chaque camp ne crée pas les conditions d’un règlement à brève échéance de la guerre meurtrière qui ne connaît aucun répit deux ans après l’intervention d’une coalition arabe menée par l’Arabie saoudite.
Côté rebelle, l’alliance, « à l’origine contre nature » entre M. Saleh et les Houthis –l’ex-président avait mené six guerres contre eux–, « montre des signes de fissure », affirme l’expert yéménite Néjib Ghallab.
Selon lui, « cette alliance, qui a tenu jusqu’ici, est tactique, mais les Houthis ne croient pas au partenariat: ils suivent une politique d’exclusion et bâtissent leur propre autorité liée directement à Abdel Malek al-Houthi », le chef de la rébellion.
« Ils contrôlent notamment les services de sécurité et de renseignement. Ils ont aussi infiltré le parti de M. Saleh où ils ont des taupes à leur solde », ajoute M. Ghallab.
Dans ce contexte, les Houthis ont annoncé début mai avoir promu au ministère de l’Intérieur 29.000 officiers et policiers choisis parmi leurs hommes.
Le transfert en septembre du siège de la Banque centrale de Sanaa à Aden (sud), siège du gouvernement Hadi, a privé les rebelles des moyens de payer les salaires des fonctionnaires.
La grogne populaire qui a suivi a accentué les frictions entre les pro-Saleh et les Houthis, lesquels réservent des fonds récoltés dans leurs zones au financement de l’effort de guerre.
– ‘Cinquième colonne’ –
Le camp de M. Saleh a mené une campagne hostile aux rebelles après un appel en mars d’Abdel Malek al-Houthi à combattre ce qu’il a appelé « la cinquième colonne » et « les traîtres dans l’administration », en allusion aux partisans de l’ex-président.
Dans un discours mardi, ce dernier a exhorté ses hommes à « ignorer les provocations ». « Nous nous sommes alliés contre l’agression (de la coalition arabe) et non pas pour se partager le gâteau », a-t-il dit.
Un journaliste pro-Saleh, Mohamed Anaam, s’en est pris « aux tyrans, ces Houthis qui sont une minorité, formée de trois familles chiites ».
Malgré ses rapports tendus avec les Houthis, « Saleh ne peut se désengager de l’alliance. Ce serait une aventure risquée car les Houthis sont maîtres de la situation », estime M. Ghallab.
Signe de son exaspération, l’ex-président a relancé cette semaine son offre de dialogue avec les Saoudiens. Il s’est dit prêt mardi à « aller à Ryad » pour « un dialogue et une entente » avec l’Arabie saoudite.
Ryad semble encourager M. Saleh à prendre ses distances avec les Houthis, comme l’a laissé entendre le vice-prince héritier du royaume saoudien, Mohammed ben Salmane: « Saleh est sous la coupe des Houthis (…). S’il quittait Sanaa, il adopterait une position différente ».
– ‘Sans fondement’ –
Mais de profondes divergences minent aussi le camp soutenu par Ryad. En témoignent les remous provoqués par le récent limogeage par M. Hadi de responsables sudistes, dont le gouverneur d’Aden Aidarous Zoubaidi et le ministre d’Etat Hani ben Brik, commandant d’un puissant service de sécurité mis en place par les Emirats arabes unis, un des piliers de la coalition arabe.
Ces limogeages ont remis en selle le Mouvement sudiste, un large rassemblement politico-militaire partisan d’une sécession du sud du Yémen, qui était un Etat indépendant jusqu’en 1990.
Dans un communiqué publié vendredi à Ryad, le président Hadi a catégoriquement rejeté la création d’un « Conseil de transition du sud » annoncée par M. Zoubaidi, un « acte sans fondement » qui selon lui ne fait que servir la cause de l’ennemi commun, les Houthis.
« L’ampleur de ces divergences se ressent dans la coalition arabe, les dirigeants sudistes limogés étant des partisans des Emirats », qui ont une forte présence dans les cinq provinces du sud reconquises à l’été 2015, explique à l’AFP un responsable loyaliste sous couvert d’anonymat.
Ainsi, le puissant parti islamiste Al-Islah, émanation des Frères musulmans et représenté au sein du camp Hadi, est soutenu par Ryad mais suscite de fortes réserves à Abou Dhabi qui soutient un courant salafiste conduit par le sudiste Hani ben Brik.
En outre, l’implantation des jihadistes d’Al-Qaïda et du groupe Etat islamique dans les territoires contrôlés par le camp Hadi affaiblit ce dernier dans ses rapports avec l’Occident et l’ONU, selon des analystes.
LNT avec Afp