Heurts entre forces de police et manifestants à Caracas, le 24 mai 2017 au Venezuela © AFP JUAN BARRETO
Un jeune brûlé vif, 57 morts et des scènes de pillage : la violence incontrôlée entourant les manifestations au Venezuela contre le gouvernement est une arme à double tranchant pour les deux camps qui menace de dériver en « guerre civile ».
« C’est dantesque qu’un jeune ait été brûlé vif (dans le quartier) d’Altamira », a déclaré mercredi la procureure générale du Venezuela, Luisa Ortega, seule voix discordante au sein du camp présidentiel, qui évoquait l’agression insoutenable d’Orlando Figuera, 21 ans.
Avant d’être transformé en torche vivante courant dans tous les sens, il a été lynché pendant de longues secondes, poignardé, puis aspergé d’essence pendant une manifestation de l’opposition samedi. Le jeune homme a été hospitalisé.
Le président Nicolas Maduro accuse ses adversaires d’avoir pris pour cible cette personne « car elle était chaviste » (du nom de l’ex-président -de 1999 à sa mort en 2013- Hugo Chavez), tandis que l’opposition, qui condamne les faits, assure qu’il s’agissait d’un lynchage de voleur, comme il en arrive régulièrement dans ce pays, parmi les plus violents du monde.
« Nous rejetons la violence, d’où qu’elle vienne », a insisté Mme Ortega, condamnant aussi les débordements de l’opposition : « Les manifestations doivent être pacifiques. C’est un droit que l’Etat doit garantir. Si l’on commence à mener des actions violentes, on perd ce droit ».
« Cette exacerbation de la violence est inquiétante », a-t-elle jugé.
« Assez de ces bandes armées qui pillent (…), de s’en prendre à un être humain et de le brûler vif, la réponse de l’opposition est de mettre le feu à la rue », a réagi le chef de l’Etat, qui assure que son projet d’assemblée constituante apportera la « paix ». Ses opposants n’y voient qu’un moyen de s’accrocher au pouvoir.
Les deux camps s’accusent aussi mutuellement d’être responsables des affrontements quasi-systématiques entre manifestants et forces de l’ordre au cours des défilés qui se succèdent depuis le 1er avril : les projectiles en tous genres et les cocktails Molotov des uns répondent au gaz lacrymogène, balles en caoutchouc et canons à eau des autres.
En une cinquantaine de jours, on compte déjà 57 morts.
– ‘Groupe de choc’ –
« La violence vient de ceux qui utilisent des balles et ont tué un ami. S’ils nous laissaient défiler, on ne ferait rien. Mais ils nous attaquent en premier, c’est pour ça que nous lançons des pierres et des bouteilles », explique à l’AFP Alejandro, 19 ans, membre d’un « groupe de choc » de l’opposition, toujours en première ligne pendant les heurts et également connus sous le nom d' »encagoulés » (« encapuchados »).
Certaines zones du pays, comme Los Pozones, dans l’Etat de Barinas (ouest), berceau d’Hugo Chavez, Flor Amarillo, dans celui de Valencia (nord), ou San Antonio, en périphérie de Caracas, ressemblent à des champs de bataille.
Des dizaines de commerces y ont été pillés, des commissariats incendiés, des voitures et des bâtiments détruits.
Dans l’Etat de Tachira (ouest), frontalier de la Colombie, la situation est particulièrement tendue : le président y a déployé 2.600 militaires.
Mais cette violence ne profite à personne, préviennent les analystes.
« Pour que l’opposition ait du succès, elle doit amplifier la protestation, si elle devient radicale et violente, les gens prennent peur et se focalisent sur les groupes armés », souligne l’analyste Luis Vicente Leon.
Pour Nicmer Evans, politologue chaviste mais critique de Maduro, il y a des partisans de l’affrontement dans les deux camps mais la violence a essentiellement causé du tort à l’opposition.
« On voit des guerriers encagoulés, avec des cocktails Molotov, dans un affrontement stupide entre David et Goliath qui provoque du rejet et l’éloigne de ses objectifs », a-t-il estimé.
Le gouvernement pousse à la confrontation « car il n’a plus de soutien populaire », d’après le sociologue Roberto Briceño Leon, directeur de l’Observatoire vénézuélien de la violence (OVV). « Mais même si les gens ont peur, ils veulent continuer à protester, avec davantage de véhémence et passer à l’offensive », poursuit-il.
Car si la spirale de violence se poursuit, le Venezuela pourrait être au bord de la « guerre civile », prévient Francisco Coello, sociologue de l’université catholique Andrés Bello.
Seule issue, insistent-ils, le dialogue.
« On ne résout pas un problème de ce type, et il n’y a pas de transition, sans négociation politique », conclut M. Leon.
LNT avec Afp