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Dans quel scenario aurait-on pu imaginer voir les États-Unis voter conjointement avec la Russie, la Corée du Nord et l’Iran contre une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU qui appelle à un retrait des troupes russes en Ukraine ? A part dans un bon opus Marvel (et même celui-ci s’appelle en l’occurrence Civil War), quand est-ce que les gentils rejoignent si ouvertement le camp de ceux qu’ils désignent habituellement comme les méchants ?
Depuis quand les Européens se réunissent-ils en catastrophe pour accorder leurs violons et nettoyer leurs baïonnettes par peur d’un désengagement américain de l’alliance qui les unit et les protège théoriquement ?
On savait la politique de Donald Trump impulsive, pleine de gouaille et faisant fi des conséquences qui ne l’atteignent pas directement, mais avec la stratégie unilatéraliste du Président américain sur la question ukrainienne, ce sont des années de coopération diplomatique renforcée et coordonnée entre les membres de ce qu’on appelait jusqu’à présent le bloc allié, qui volent en éclats.
L’Europe réalise à ses dépens que sa sécurité ne peut pas dépendre à ce point et indéfiniment du bon vouloir de l’Oncle Sam et le contraste est criant entre la tour Eiffel illuminée aux couleurs de l’Ukraine et Trump qui désavoue et humilie publiquement à la face du monde le leader ukrainien Volodymyr Zelensky. Macron, dans la tradition de De Gaulle ou plus récemment de Chirac, mène la fronde européenne, mais cela ne suffira certainement pas à freiner Trump et l’agenda de son entourage.
Bis repetita placent
La question qui se pose est de savoir quel intérêt a le Président américain à tourner le dos à la vieille Europe et à réhabiliter Vladimir Poutine sur la scène internationale. La réponse parait double mais avec un cynisme certain dans les deux cas. D’abord, Trump est un Président businessman, toutes les négociations sont des rapports de force desquels il aime sortir gagnant avec un petit bonus à la clé. Et il applique cela aussi à la géopolitique mondiale.
C’était déjà le cas dans sa manière de régler la guerre à Gaza, avec par exemple ses déclarations sur la création d’une côte d’azur, et c’est le cas aujourd’hui lorsqu’il évoque un accord dans lequel l’Ukraine partagerait ses ressources naturelles avec les États-Unis en échange de garanties pour sa sécurité. Un accord qui devrait être discuté avec… Volodymyr Zelensky, qui bien affaiblit par les déclarations de Trump, aura à la fois un couteau américain sous la gorge et une épée européenne sur la tête.
L’autre réponse qui pourrait expliquer le schisme américano-européen, c’est l’idéologie qui a porté Trump au pouvoir et qui gagne à la fois du terrain et de la vitesse. Le Vice-Président américain J.D. Vance qui tance les Européens (à Munich…) sur la démocratie ; Steve Bannon et son salut nazi à la convention des conservateurs, après celui déjà d’Elon Musk ; l’entêtement de ce dernier aux relents dictatoriaux et autoritaires, ne sont que la face apparente de l’iceberg.
Le reste est en Europe, avec le parcours du RN français, de Meloni en Italie, de la Hongrie d’Orban, ou encore plus récemment les scores historiques de l’AfD allemande. Même les plus petites secousses finissent par provoquer de grandes failles lorsqu’elles se répètent avec insistance, c’est le pari qui semble être pris. Et tout cela n’est pas le fruit du hasard, les masquent finissent par tomber, car il est désormais indéniable qu’il existe une tendance mondiale, transnationale, une réelle internationale de ce que les plus optimistes appellent le conservatisme de droite et que les plus clairvoyants n’hésitent pas à qualifier de néofascisme d’extrême droite.
Si les causes de la montée de l’extrême droite sont très certainement multiples et même si Trump est un cas atypique où se mêlent rêve américain et populisme « red neck », les conséquences sont déjà bien là, malgré le brouhaha médiatique et l’individualisme ambiant. Les attaques contre les minorités, le sort réservé aux immigrés, les retours sur les acquis des femmes, le mépris pour le sort des victimes des guerres, qu’elles soient palestiniennes ou ukrainiennes, sont des signes inquiétants. Ou pas, mais il faut choisir son camp.
Zouhair Yata