Sur le site de Mercedes-Benz à Vance, tout près de Tuscaloosa, dans l'Alabama, le 7 juin 2017 © AFP/Archives Andrew CABALLERO-REYNOLDS
La rhétorique incendiaire de Donald Trump contre l’Allemagne et le libre-échange sème le trouble dans l’Alabama, Etat rural et républicain du sud des Etats-Unis où Mercedes-Benz est l’un des moteurs de l’économie.
C’est à Tuscaloosa, dans l’ouest de l’Etat, une ville qui abrite l’université d’Alabama, que la marque allemande s’est installée. Aucun signe de sa présence n’est visible, si ce n’est cette bretelle d’autoroute baptisée « Mercedes Drive », qui conduit à un immense site frappé de son étoile.
Ici cohabitent deux usines: une destinée à la production de la berline C-Class, qui a remplacé le 4×4 de ville (SUV) M-Class, premier modèle produit en 1997 sur le sol américain, et une seconde fabricant les modèles GLE, GLE coupé et GLS, vaches à lait de Mercedes aux Etats-Unis.
Environ 7.000 personnes passent les portiques de sécurité par jour, dont 3.600 employés à temps plein.
Entré chez Mercedes en 2002, David Harbin, ancien combattant et père de deux enfants, énumère ses « nombreux avantages » (couverture santé, frais d’ophtalmologie et dentaires…). Ce quinquagénaire, travaillant 40 heures par semaine à la logistique et rémunéré 50.000 dollars par an sans les heures supplémentaires, doute de pouvoir retrouver du travail si l’escalade verbale entre Washington et Berlin sur le libre-échange débouche sur une guerre commerciale. « Ca serait très dur », confie-t-il à l’AFP.
– ‘Cataclysmique’ –
Donald Trump, qui avait utilisé la limousine Mercedes Maybach lors de son mariage avec Melania à Palm Beach en 2005, a menacé en janvier d’imposer 35% de taxes douanières sur les importations de voitures allemandes, accusées d’alimenter le déficit commercial américain vis-à-vis de Berlin.
Une telle décision pourrait déclencher une guerre commerciale et remettre en cause l’engagement de Mercedes-Benz aux Etats-Unis.
« On peut imaginer que des milliers et des milliers de personnes vont perdre leur emploi du jour au lendemain, sans possibilité de transiter facilement vers un autre secteur. Ce serait cataclysmique », s’alarme Walter Maddox, le maire de Tuscaloosa.
« Quand j’étais enfant, tout le monde travaillait à la mine. Mercedes offre un travail qui change de la mine », raconte Bo Hicks, co-propriétaire du brasseur local Druid City Brewing. Il affirme que des sanctions anti-Mercedes se traduiraient par un effondrement de son chiffre d’affaires.
Au-delà de l’économie, le groupe allemand est, selon le maire, l’une des rares fenêtres sur l’étranger pour un grand nombre des 90.000 habitants de cette ville au coeur de la « Bible Belt » (ceinture de la Bible), cette zone du sud-est des Etats-Unis où se trouve la plus grande concentration de fidèles évangéliques et qui reste encore marquée par le racisme.
Dans ce bastion républicain ayant voté massivement pour Donald Trump à la présidentielle (62%), la marque allemande a donné en 1993 le coup d’envoi de la « révolution » automobile. En moins d’une vingtaine d’années, elle a permis de freiner l’exode des habitants et de relancer une économie plombée notamment par la fermeture des mines de charbon.
Pour attirer Mercedes, les autorités locales avaient déroulé le tapis rouge et offert des subventions totalisant 253 millions de dollars, sous forme d’abattements fiscaux et de frais de formation des employés.
« Mercedes a été le catalyseur de l’Alabama », défend Greg Canfield, le secrétaire au Commerce de l’Etat. En conséquence, « je dirais au président Trump que tout ce qui vise à sous-estimer ou insulter un de nos alliés économiques est inapproprié », renchérit Jim Page, président de la chambre de commerce de Tuscaloosa.
– ‘Made in Alabama’ –
Pour l’instant, les attaques de M. Trump n’ont pas affecté les ventes: Mercedes a écoulé 145.658 voitures entre janvier et mai, en baisse de 0,9%, contre un recul de 2% pour l’industrie.
En 2016, le site de Tuscaloosa a produit un peu plus de 300.000 voitures, soit le maximum possible. Mercedes a toutefois écoulé 380.000 véhicules sur le sol américain, autrement dit la marque a importé 80.000 voitures de plus comparé à ce qu’elle a produit.
« Nous sommes quasiment à l’équilibre », se défend Jason Hoff, le patron du site.
Mercedes a promis récemment d’utiliser davantage de pièces « made in Alabama » dans ses véhicules. Selon l’agence de la sécurité routière américaine NHTSA, 80% des pièces de la Mercedes C-Class 2017 viennent actuellement des Etats-Unis et du Canada, contre 55% en 2016.
Le groupe a également annoncé en 2015 une expansion du site pour un coût de 1,3 milliard de dollars, afin d’y produire la nouvelle génération de SUV, portant à 5,8 milliards de dollars ses investissements totaux en Alabama. Environ 300 emplois supplémentaires devraient être créés, même si l’usage de robots a augmenté.
Considérée localement comme un « vote de confiance », l’arrivée de Mercedes a suscité un flux d’investissements étrangers dans l’Etat.
Toyota, Honda, Hyundai, Kia et des dizaines d’équipementiers automobiles y ont construit des usines, de sorte que le secteur employait 38.730 personnes en 2016, selon l’Economic Development partnership of Alabama (EDPA), pour un million de véhicules produits, ce qui en fait le cinquième Etat automobile américain.
LNT avec AFP