Selon Gartner, entreprise américaine de conseil et de recherche dans le domaine des techniques avancées, dans le monde, tous les postes de dépenses IT – depuis le datacenter jusqu’aux logiciels d’entreprise – auront atteint en 2021, 4,1 milliards de dollars, soit une augmentation de 8,4 % par rapport à 2020. La croissance des dépenses en matériel est bien sûr liée à l’impact durable de la pandémie de Covid-19 sur les habitudes de travail des employés et des consommateurs, dit-on auprès de la société, ajoutant que le travail à distance évolue en travail hybride, l’enseignement à distance se transforme en éducation digitale, et les jeux interactifs migrent dans le cloud, si bien que le type et le nombre d’appareils dont les gens ont besoin, qu’ils possèdent et qu’ils utilisent, vont continuer à augmenter. À l’échelle mondiale, le parc d’appareils installés devrait atteindre 6,4 milliards d’unités en 2022, soit en hausse de 3,2 % par rapport à 2021.
Les grands groupes sont en première ligne pour la réalisation de ces investissements. À titre d’exemple, le Groupe BNP Paribas a récemment annoncé un plan triennal de plusieurs milliards d’euros avec le digital en premier objectif. Le Groupe a notamment lancé « Bridge by BNP Paribas », une plateforme numérique d’introduction de capitaux de la banque, proposée exclusivement aux investisseurs institutionnels et aux clients de fonds spéculatifs desservis par l’activité Prime Services du groupe. Il s’agit donc non seulement de développer l’utilisation du digital par l’entreprise, mais également d’habituer, voire d’initier, ses clients à l’utilisation de l’outil digital.
Sauter les étapes, oui mais…
L’Afrique, et le Maroc en particulier, s’efforcent comme ils le peuvent à suivre ce mouvement mondial de développement massif des technologies IT, qui s’est accéléré avec la pandémie. On parle beaucoup des opportunités offertes par le digital de «leapfrog» (franchir à saute-mouton) les étapes en s’appuyant sur des benchmarks internationaux, ce qui est censé permettre aux pays en développement de rattraper leur retard dans le développement des écosystèmes digitaux.
Mais il y a de claires limites à ce potentiel de rattrapage. La première d’entre elles, qui concernent moins le Maroc et les autres pays les plus développés du continent, est celle de l’énergie. L’utilisation de l’outil digital nécessite des réseaux électriques fiables et suffisamment puissants. Et ce réseau doit couvrir l’ensemble du pays, pas seulement les grandes villes. Cela nécessite d’importants financements en général publics, dans un contexte où les budgets des Etats sont déjà sous grande pression. Il faut également développer en complément du réseau mobile un réseau internet fixe à la hauteur. Sur ce point, il faut rappeler que si le Maroc affiche d’excellents indicateurs sur le mobile, il est très en retard sur le terrestre…
Le digital, en brisant les distances, place ses acteurs dans un contexte international, et les force ainsi à se mettre à des normes semblables à celles des pays développés. Cela peut s’avérer être très coûteux, par exemple en termes de transferts ou d’achats de technologies avancées. Et pour utiliser ces nouveaux outils, il faut une population non seulement réceptive, mais également bien formée à l’outil numérique, permettant la mise en place d’une véritable culture digitale. Pour accompagner ce processus, l’éducation nationale doit être modulée vers la maîtrise des technologies nouvelles et la promotion d’un secteur privé dynamique. Par exemple, au Sénégal, le modèle de la «case des tout-petits» est conçu pour en partie permettre de combler rapidement le gap numérique par rapport aux pays développés, en investissant beaucoup sur la maîtrise du numérique à partir de la très petite enfance.
Une fois que la population (ou plutôt une petite partie) commence à être formée et compétente, se dresse l’un des obstacles majeurs au développement de compétences de pointe dans les pays en voie de développement : la fuite des cerveaux.
Travailler à l’étranger… de chez soi
En 2019, certaines entreprises marocaines annonçaient des taux de rotations de leurs postes IT de 30% annuellement ! Et le phénomène s’est empiré avec la pandémie. Le développement du télétravail fait qu’il n’est même plus nécessaire pour le nouvel employé de rejoindre son pays d’emploi, il peut tout faire de chez lui. Quand on parcourt les pages des communautés marocaines orientées IT, on peut lire de nombreux commentaires de jeunes informaticiens ne souhaitant pas quitter leur pays, mais voulant toucher un (bien) meilleur salaire en étant embauchés par un groupe à l’étranger. Et les recruteurs le savent ! Un utilisateur de Reddit témoigne: «Je travaille pour une startup aux États-Unis et je me rôde parfois sur le «subreddit» du Maroc. Nous embauchons actuellement des développeurs à distance et je contacte les profils intéressants par messages privés sur la plateforme».
On aura donc compris que si le Maroc et ses entreprises sont résolument engagés dans un processus continu de transformation digitale, ils doivent être prudents afin de pouvoir rentabiliser leurs investissements. Si l’on dépense sans compter pour mettre en place les infrastructures nécessaires et les formations adéquates, l’accent doit aussi être mis sur la mise en place de conditions propices à la rétention des talents !
Selim Benabdelkhalek