Un climatiseur installé dans un mobile home à Phoenix, en Arizona, le 20 juillet 2023
Généralisée aux Etats-Unis, décriée en Europe, convoitée en Asie du Sud… Face aux vagues de chaleur qui s’intensifient, la climatisation s’est imposée comme sujet de débat mondial.
Pour le meilleur et pour le pire, elle est l’une des solutions d’adaptation les plus répandues dans un monde qui se réchauffe. Pour des millions d’habitants, l’air conditionné est devenu un quasi-bien de première nécessité, assurant ni plus ni moins leur survie, selon les experts.
Mais si la climatisation apporte un soulagement immédiat, celui-ci est coûteux pour le climat.
Car pour alimenter ces climatiseurs en électricité, des centrales rejettent davantage de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, réchauffant encore plus la planète.
Actuellement, la climatisation est responsable de l’émission d’environ un milliard de tonnes de CO2 par an, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), sur un total de 37 milliards émises mondialement.
Est-il possible d’enrayer ce cercle vicieux ? Oui, plaident les spécialistes, en développant la part des énergies renouvelables, des climatiseurs moins gourmands en énergie, et d’autres techniques de refroidissement.
« Certains puristes pensent que nous ne devrions pas du tout utiliser l’air conditionné, mais je pense que ce n’est tout simplement pas faisable », a déclaré à l’AFP Robert Dubrow, directeur du Centre sur le changement climatique et la santé à l’université Yale.
L’accès à l’air conditionné sauve déjà des dizaines de milliers de vies par an, un chiffre en augmentation, selon un récent rapport de l’AIE, dont il est l’un des auteurs.
Des études montrent que le risque de décès lié à la chaleur est réduit d’environ 75% pour les foyers ayant un climatiseur.
Aux Etats-Unis, où environ 90% des ménages sont équipés, d’autres travaux ont souligné le rôle de la climatisation pour protéger la population, et l’effet potentiellement dévastateur de coupures de courant en pleine vague de chaleur.
Mais au niveau mondial, sur les 3,5 milliards de personnes vivant dans des climats chauds, seules environ 15% ont l’air conditionné, estime l’AIE.
– Multiples défis –
Le nombre de climatiseurs dans le monde (environ 2 milliards aujourd’hui) est donc appelé à grimper en flèche, sous l’effet combiné de la hausse des températures et des revenus. Particulièrement en Chine, en Inde et en Indonésie.
En Inde, la part des foyers équipés de climatiseurs pourrait passer de 10% à 40% d’ici 2050, réduisant significativement l’exposition de la population à la chaleur, selon une récente étude.
Mais l’électricité supplémentaire requise équivaudrait à la production annuelle d’un pays comme la Norvège. Si le réseau indien utilise alors toujours autant d’énergies fossiles, cela signifierait environ 120 millions de tonnes de CO2 émises en plus – soit 15% des émissions du secteur énergétique du pays actuellement.
Les problèmes posés par l’air conditionné ne s’arrêtent pas là.
Les climatiseurs utilisent généralement des gaz réfrigérants (de type HFC) qui peuvent être des milliers de fois plus puissants que le CO2 en matière de réchauffement lorsqu’ils s’échappent dans l’atmosphère.
De plus, en rejetant de l’air chaud dans les rues, l’air conditionné contribue à des effets d’îlots de chaleur urbains. Une étude de 2014 a simulé la hausse de température, de nuit, à 1°C en centre-ville.
La climatisation pose par ailleurs un immense problème d’équité.
Le coût empêche de nombreuses familles d’y avoir accès. Et même lorsque l’appareil est installé, le prix de la facture d’électricité peut les forcer à choisir entre se refroidir et d’autres besoins essentiels.
– Solutions complémentaires –
« Dans certains pays », mais aussi « pour certaines personnes vulnérables », comme les personnes âgées ou enceintes, « nous avons vraiment besoin de la climatisation », juge Enrica De Cian, chercheuse sur ces questions à l’université Ca’ Foscari de Venise. Mais la combiner avec d’autres approches « complémentaires » est essentiel.
D’abord, en continuant à augmenter la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité, afin que celle utilisée par les climatiseurs entraîne moins d’émissions.
Mais aussi en développant et installant des climatiseurs abordables consommant moins d’énergie, ce à quoi des start-up s’attellent. L’AIE plaide pour des normes d’efficacité plus strictes, mais aussi pour que les climatiseurs ne puissent être réglés à moins de 24°C.
Au-delà des émissions, ces aspects permettraient de limiter les risques de coupures de courant liées à une trop forte demande. Les jours de chaleur, la climatisation peut représenter plus de la moitié du pic de consommation.
Mais surtout, les experts martèlent le besoin simultané de mesures d’aménagement du territoire: multiplication des espaces verts et plans d’eau, trottoirs et toits réfléchissants les rayons du Soleil, meilleure isolation des bâtiments…
« Nous devons parvenir à nous refroidir de façon viable », résume Robert Dubrow, car avec le réchauffement climatique « les choses ne feront qu’empirer ». Or beaucoup de ces solutions sont « très faisables », selon lui. « Les mettre en place n’est qu’une question de volonté politique. »
LNT avec Afp