Volodymyr Zelensky sort de l'isoloir dans un bureau de vote à Kiev, le 21 avril 2019 © AFP/Archives GENYA SAVILOV
Avant même d’entrer en fonction, le président élu ukrainien Volodymyr Zelensky est confronté à une montée de tensions autour du conflit dans l’est, exacerbée jeudi par l’adoption d’une loi renforçant l’usage de la langue ukrainienne.
La veille, le président russe Vladimir Poutine avait signé un décret facilitant l’octroi de la nationalité russe aux habitants des territoires séparatistes de l’est de l’Ukraine, une mesure dénoncée d’une même voix par Kiev et ses alliés occidentaux car elle complique l’application des accords de paix dans cette région ravagée par la guerre.
Alors que M. Zelensky, un humoriste sans expérience politique, disait vouloir tendre la main aux habitants des régions séparatistes, prorusses et largement russophones, le Parlement ukrainien a adopté quelques jours après son élection une loi renforçant l’usage de l’ukrainien, notamment à l’aide de mesures punitives.
Un total de 278 députés, sur une minimum requis de 226, ont voté pour ce texte qui rend plus strict son utilisation dans le cadre officiel et privé et introduisant à terme des amendes en cas de violation.
La loi élargit les quotas sur l’usage de l’ukrainien dans les médias audiovisuels et stipule la primauté de l’ukrainien dans les services, y compris dans le secteur privé, tout en introduisant des examens de maîtrise de l’ukrainien pour les fonctionnaires.
M. Zelensky, qui doit être investi d’ici début juin, a aussitôt critiqué une loi « adoptée sans une vaste discussion publique ». Dans un communiqué, il a promis de vérifier qu’elle ne viole pas les droits des minorités.
« L’ukrainien est l’unique langue d’Etat en Ukraine » et cela ne changera pas, a-t-il déclaré. Mais « l’Etat doit contribuer à son développement par l’encouragement (…) plutôt que par des interdictions et punitions ».
M. Zelensky est lui-même plutôt russophone et actuellement à la recherche, selon son épouse, d’un professeur d’ukrainien.
Sans surprise, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a dénoncé une « loi scandaleuse ».
– Passeports russes aux Ukrainiens de l’Est –
Le président sortant Petro Porochenko, partisan d’une ligne dure avec Moscou et qui a mené une politique d’ukrainisation, a lui salué une décision « historique » promettant de promulguer la loi dans les plus brefs délais.
La question de la langue est douloureuse dans ce pays qui fit partie de l’Empire russe puis de l’URSS, où l’usage de l’ukrainien a subi des restrictions, voire par moments une interdiction.
Si la pratique de l’ukrainien progresse depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, encore plus depuis 2014 et le début de la crise avec la Russie, ce pays de presque 45 millions d’habitants compte toujours une importante communauté russophone concentrée dans l’est et le sud.
Selon un récent sondage de l’Institut international de la sociologie de Kiev, 68% de la population considère l’ukrainien comme sa langue maternelle, contre 14% pour le russe et 17% pour les deux langues.
La protection des russophones a été un des motifs officiels de la Russie pour annexer il y a cinq ans la péninsule ukrainienne de Crimée et soutenir les séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine, où le conflit a fait près de 13.000 morts depuis son déclenchement.
Et jeudi, le président russe a répété que les habitants de ces régions étaient « privés de leurs droits les plus élémentaires » pour justifier sa décision de leur octroyer plus facilement la nationalité russe.
Ce décret russe, vu par beaucoup comme une tentative de « tester la résistance » de M. Zelensky, a été fermement condamné par Kiev et ses alliés.
Volodymyr Zelensky a appelé au renforcement des sanctions contre Moscou et l’UE a accusé Moscou « d’exacerber » le conflit armé tandis que le Département d’Etat américain a dénoncé une mesure « hautement provocatrice ».
Berlin et Paris, co-parrains du processus de paix de Minsk qui a permis une réduction des violences dans l’est de l’Ukraine, ont eux condamné un décret qui entre « en contradiction avec l’esprit et les objectifs des accords de Minsk ».
« Des responsables russes cherchent à justifier cette décision en invoquant des préoccupations humanitaires. Pourtant, les communautés qu’ils prétendent soutenir subissent les conséquences d’un conflit déclenché et alimenté par la Russie », a sèchement commenté la diplomatie britannique dans un communiqué.
Faisant la sourde oreille aux critiques, M. Poutine s’est dit prêt jeudi à « rétablir complètement » les relations avec Kiev à condition que cela ne se fasse pas « unilatéralement ».
LNT avec Afp