Un vieil homme vote à Istanbul aux élections parlementaires et présidentielle du 24 juin 2018 en Turquie. © AFP Yasin AKGUL
La Turquie votait dimanche lors d’élections présidentielle et législatives à hauts risques pour le chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan qui fait face à des vents économiques contraires et une opposition déterminée à stopper sa course vers davantage de pouvoirs.
En 15 ans de règne, M. Erdogan s’est imposé comme le dirigeant turc le plus puissant depuis le fondateur de la République, Mustafa Kemal. Il a transformé la Turquie à coups de méga-projets d’infrastructures et en libérant l’expression religieuse, et fait d’Ankara un acteur régional clé.
Mais ses détracteurs accusent le « Reïs » âgé de 64 ans de dérive autocratique, en particulier depuis la tentative de putsch de juillet 2016, suivie de purges massives qui ont touché des opposants et des journalistes et suscité l’inquiétude de l’Europe.
Plus de 56 millions d’électeurs sont appelés à voter jusqu’à 14H00 GMT pour ce double scrutin présidentiel et législatif qui marquera le passage du système parlementaire en vigueur à un régime hyper-présidentiel voulu par M. Erdogan, mais décrié par ses opposants.
S’il pensait mettre toutes les chances de son côté en convoquant ces élections pendant l’état d’urgence et plus d’un an avant la date prévue, M. Erdogan a été rattrapé par la dégradation de la situation économique et surpris par un sursaut de l’opposition.
Voyant dans ces élections leur dernière chance d’arrêter M. Erdogan dans sa quête d’un pouvoir incontestable, des partis aussi différents que le CHP (social-démocrate), l’Iyi (nationaliste) et le Saadet (islamiste) ont noué une alliance inédite pour le volet législatif des élections, avec l’appui du HDP (prokurde).
Le candidat du CHP à la présidentielle, Muharrem Ince, un député pugnace, s’est imposé comme le principal rival de M. Erdogan pour la présidentielle, électrisant des foules aux quatre coins du pays et réveillant une opposition assommée par ses défaites successives.
« A chaque élection, j’ai de l’espoir. Mais cette année, j’y crois beaucoup plus », a déclaré à l’AFP Hulya Ozdemiral devant un bureau de vote à Istanbul.
– Majorité parlementaire en jeu –
Si M. Erdogan reste le favori de la présidentielle, il n’est pas assuré de récolter les plus de 50% des voix nécessaires pour éviter un second tour qui se déroulerait le 8 juillet.
Surtout, les observateurs n’excluent pas que l’alliance de l’opposition puisse priver l’AKP de sa majorité parlementaire, ce qui plongerait la Turquie dans l’inconnu au moment où elle affronte une situation économique délicate.
L’économie, qui a longtemps été l’atout de l’AKP, s’est imposée comme un sujet de préoccupation majeur avec l’effondrement de la livre turque et une inflation à deux chiffres.
Pendant la campagne, M. Erdogan a semblé sur la défensive, promettant par exemple de lever rapidement l’état d’urgence ou encore d’accélérer le retour dans leur pays des réfugiés syriens, mais uniquement après que M. Ince eut promis la même chose.
Ce dernier a mené une campagne énergique en promettant notamment d’inverser le passage à un régime présidentiel qui deviendra effectif après ces élections, au terme d’un référendum constitutionnel controversé remporté par le président en avril 2017.
Pour M. Erdogan, cette réforme qui supprime notamment la fonction de Premier ministre et permet au président de gouverner par décrets, est nécessaire afin de doter le pays d’un exécutif fort et stable. Mais ses opposants l’accusent de vouloir monopoliser le pouvoir.
– Vote kurde crucial –
La campagne a été marquée par une couverture médiatique très inéquitable en faveur du président turc, dont chaque discours a été retransmis in extenso par les télévisions.
Le candidat du parti prokurde HDP, Selahattin Demirtas, a été contraint de faire campagne depuis une cellule : accusé d’activités « terroristes », il est détention préventive depuis 2016.
« Je suis persuadé que le résultat sera excellent », a-t-il toutefois écrit sur Twitter après avoir voté depuis sa prison.
L’un des facteurs déterminants de ce double scrutin sera précisément le vote de l’électorat kurde.
Si le HDP franchit le seuil de 10% des voix permettant d’entrer à l’Assemblée, l’AKP pourrait perdre sa majorité parlementaire. Mais s’il échoue à franchir ce seuil, alors l’AKP récolterait, par redistribution, la plupart de ses voix.
Craignant des fraudes, en particulier dans le sud-est à majorité kurde, opposants et ONG ont mobilisé plusieurs centaines de milliers d’observateurs pour surveiller les urnes.
Après avoir voté dans son fief de Yalova (nord-ouest), M. Ince a indiqué qu’il se rendrait à Ankara pour attendre les résultats devant le siège de la haute autorité électorale.
LNT avec AFP